Multiculturalisme anglo-saxon VS Universalisme Républicain : le double échec des modèles d’intégration européens<!-- --> | Atlantico.fr
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"Marche pour la Palestine", dans le cadre d'une manifestation nationale pro-palestinienne, à Londres le 14 octobre 2023.
"Marche pour la Palestine", dans le cadre d'une manifestation nationale pro-palestinienne, à Londres le 14 octobre 2023.
©JUSTIN TALLIS / AFP

Polarisation

Que ce soit en France ou au Royaume-Uni, la polarisation de l'opinion est très forte.

Stéphane Audrand

Stéphane Audrand

Stéphane Audrand est consultant en risques internationaux (armements, nucléaire, agriculture), historien, officier de réserve.

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Atlantico : Quelques jours après l’emballement médiatique sur la frappe contre l’hôpital de Gaza, quel constat faites-vous sur la situation ?

Stéphane Audrand : Ce que nous voyons est un emballement que nous ne savons maîtriser qu'en Occident, ce qui est le paradoxe. Aujourd'hui, les gouvernements en Israël et aux Etats-Unis, qui sont très prudents sur cette affaire, ont une communication qui concorde avec les analyses indépendantes. L’OSINT, vivace dans les pays occidentaux, permet de mettre les faits devant les opinions. La réalité est qu’il n’y a pas eu d’hôpital détruit, que l’explosion sur le parking ne ressemble pas à celle d’une arme israélienne et que le bilan fourni par les Palestiniens – donc sous contrôle du Hamas – a sans doute été tragiquement exagéré. Surtout, rien à ce stade ne permet de dire qu’il s’agissait d’un acte délibéré, d’une frappe volontaire. Mais l’importance de ce doute sur l’intention échappe complètement à beaucoup de soutiens de la cause palestinienne, tout à leur volonté de ramener les violences à un phénomène équidistant, largement imputable à Israël. Et il y a beaucoup de pays où les faits n’ont plus de portée dans l’espace public. Comme nous avons vu ce vendredi, le ministre des Affaires Étrangères jordanien dire qu'il ne « croyait pas à la version d'Israël », qui leur mentait depuis longtemps. Les faits ne comptent plus, seule la posture.

Il ne s’agit pas d’ailleurs de dire qu’Israël ne ment jamais ou ne commet jamais de crimes. Mais c’est une démocratie parlementaire, avec une société civile vivante, qui défend vaille que vaille un héritage d’état de droit et de gouvernement par les lois, y compris contre les dérives du Likoud. Lorsque la journaliste Shireen Abu Akleh a été tuée, Israël a nié son implication, mais la vérité a fini par émerger. Lorsque le Hamas nie, personne dans les territoires qu’il contrôle ne peut s’opposer au mensonge. Et, hélas, les militants pro-palestiniens refusent de voir cette réalité en face : en essentialisant la cause palestinienne, ils ferment les yeux sur la réalité de mouvements totalitaires, xénophobes, homophobes, misogynes, aux méthodes terroristes, soutenus par une puissance étrangère, l’Iran. Là encore, la posture compte d’avantage que les faits.

Nous sommes dans un moment fascinant de post-vérité, plus de 10 ans après le Printemps Arabe où beaucoup de régimes se sont contentés de mettre la poussière sous le tapis tout en cherchant à assurer leur développement économique et le confort matériel de leur population pour assurer leur acceptabilité. Cependant, sur ces questions d'embrasement, d'opinion et de passion ; des gouvernements arabes ont indéniablement peur d'une insurrection s’ils soutiennent ouvertement Israël face au Hamas ou s’ils reconnaissent simplement les faits. Donc il vaut mieux pour eux maintenir une position qui accepte le mensonge pour ne pas avoir une révolution dans la rue en disant qu'Israël n'a rien détruit ou même que le doute est permis. La Jordanie en est un exemple. Ils ne sont pas très confortables quant à leur capacité à maintenir l'ordre s'il y a un embrasement social, à l'instar de la Tunisie ou du Maroc. Ce dernier, qui a normalisé ses liens avec Israël et dont la population est très pro-palestinienne, marche un peu sur des œufs. 

On a vu des manifestations pro-palestine s’organiser en France et dans d’autres capitales européennes. Nous avons importé le conflit chez nous ? 

Nous avons importé une version essentialisée, simplifiée, de la question, qui constitue un enjeu politique dans l’espace médiatique. Cette vision un peu fantasmée et simpliste de ce conflit est devenu un marqueur socio-politique. Mais le conflit actuel entre Israël et le Hamas n’est un des épisodes, partiels, de ce cette grande question qui se pose au monde depuis 1949. Refuser de la voir dans toute sa complexité est un piège.  

Cette importation simplifiée du conflit est très nette au Royaume-Uni et en France, où nous observons des sociétés qui se polarisent beaucoup, plus encore que dans d’autres pays européens. Or des deux côtés de la Manche, nous avons construit, dans nos trajectoires historiques, des modèles d’intégration antagonistes, tous deux mis en échec aujourd’hui.

Que ce soit le mode d’intégration britannique par le respect de toutes les différences dans l’espace public ou le cadre français où l’on essaye de gommer les différences dans l’espace public ; on voit qu’aucun des deux cadres n’empêche la société de se polariser de manière violente sur ce conflit qu’on importe chez nous en le simplifiant. Pas plus notre modèle que le modèle anglo-saxon qui a essayé de cacher des problèmes sociaux derrière des questions ethno-linguistiques et culturelles.

Cette polarisation en France et au Royaume-Uni est plus forte qu’ailleurs, notamment du fait de leurs liens historiques et migratoires avec la région. Ce sont les deux anciennes puissances mandataires du Proche-Orient, qui y cultivent une longue tradition de présence et d’ingérence dans les affaires locales. Cette histoire partagée – pour le meilleur et le pire – avec cette région qui fait que nous importons ces conflits d’une manière beaucoup plus exacerbée qu’ailleurs. Depuis une trentaine d’années, nous voyons monter l’importance de ce conflit dans nos espaces publics. C’est désormais un conflit qui définit une génération sur le plan de l’activisme. Tout comme le changement climatique est en train de définir aussi une nouvelle génération. 

Rétrospectivement, je pense que j’ai connu – sans en discerner les conséquences à l’époque –  ces années de montée lente d’une forme d’antisémitisme et d’hostilité de principe à Israël qui se cachait derrière un antisionisme militant pendant la deuxième moitié des années 90 quand j’étais à la fac. On critiquait – à juste titre – la mauvaise volonté du gouvernement israélien dans le processus de paix, on citait Desproges parce que c’est une icône de gauche et donc on pouvait faire des blagues sur les juifs. Mais on ne faisait pas de blagues sur les arabes parce que c’était pour le FN. Avec aussi, toujours, la culpabilité française vis-à-vis de l’Algérie. Au final, se moquer des Juifs est devenu acceptable pour une partie de la gauche et se moquer des Arabes totalement tabou. On ne pouvait plus rire de tout, mais avec n’importe qui.  En parallèle s’est mise en place une myopie chronique de la responsabilité des pays arabes ou de l’Iran dans la crise. Or si le Likoud a eu une responsabilité historique dans le sabotage du processus d’Oslo et la poursuite de la colonisation, il s’est trouvé face à des mouvements qui, comme le Hamas, avaient tout intérêt à la poursuite du conflit. Par idéologie mais aussi par service de l’Iran. Et les pays arabes qui auraient du intégrer et soutenir les Palestiniens depuis 1948 se contentaient du service minimum. Si en Europe nous avions traité les millions de réfugiés de 1945 comme les pays arabes l’ont fait, nous aurions des camps de centaines de milliers de personnes un peu partout sur le continent. Ainsi, on dénonce régulièrement le fait que Gaza est une prison « à ciel ouvert » du fait de la seule responsabilité israélienne, tout en ignorant le rôle de l’Egypte. Prison à ciel ouvert qui abrite plusieurs milliers de combats surarmés.

Cette myopie face à la complexité a été celle de toute une génération, qui a petit à petit, essentialisé la question des « droits palestiniens ». Il y a cependant un vrai sujet. Nous ne sommes pas capables d’assurer objectivement aux Palestiniens une vie, une sécurité et une tranquillité qui soient dignes. De la même façon qu’Israël ne garantit toujours pas sa sécurité vis-à-vis de son voisinage. Il garantit sa sécurité face à des invasions, mais pas face à une menace terroriste permanente. Et quand je dis « nous » ne sommes pas capables, je ne pense pas uniquement à l’Occident ou aux grandes puissances, mais principalement aux pays de la région. C’est une des malédictions de ces terres que les problèmes y sont d’abord « l’affaire du monde » avant d’être « l’affaire des locaux ». 

Les réseaux sociaux jouent-ils un rôle dans cette importation du conflit ? 

Les réseaux sociaux sont des accélérateurs de problèmes. Pas des générateurs de problèmes. Les racines de cette importation de conflit sont très longues. Elles sont liées à notre passé historique dans la région. La France a été puissance mandataire en Syrie et au Liban. Les Anglais étaient puissance mandataire en Palestine. Nous avons contribué à façonner une partie de l’histoire de cette région. Nos élites y sont restées très attachées. 

Il y a aussi de forts moments de culpabilité dans notre histoire. La colonisation bien sur, mais pas seulement. La France a eu une histoire vis à vis de la Shoah qui a été difficile. Les Britanniques aussi s’en sont voulu pour un certain nombre de choses pendant et après la seconde guerre mondiale. Il y a une extrême sensibilité liée à nos histoires. Et, hélas, il y a un enjeu électoral à construire sur l’essentialisation de ce conflit. Clairement, ni le modèle britannique, ni le modèle français ; il n’y en a pas un qui marche mieux que l’autre face à cette importation du conflit. Des deux côtés de la Manche, nous avons quelque chose à repenser sur la façon dont nos sociétés perçoivent et interagissent avec ce conflit. Et la classe politique a un examen de conscience à opérer sur la mise en avant de ce conflit comme enjeu électoral majeur clivant. Au-delà des questions d’opinion ou de ressenti, qui ont leur importance, l’acceptation et la mise en avant des faits devrait être primordiale en politique.

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