Mexique : Enrique Peña Nieto, un Président dépassé par la déliquescence du pays<!-- --> | Atlantico.fr
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Enrique Peña Nieto.
Enrique Peña Nieto.
©Reuters

Corruption

Pendant les 18 mois qui ont suivi sa prise de fonctions, le Président mexicain Enrique Peña Nieto a mis en place des réformes d'envergure, notamment sur le plan économique. Peu après la vapeur s'est renversée et l'enthousiasme des Mexicains est retombé face aux nombreux scandales en matière de corruption.

Gaspard Estrada

Gaspard Estrada

Gaspard Estrada est politologue à Sciences Po et directeur exécutif de l'Observatoire politique de l'Amérique latine et des Caraïbes (OPALC). 

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Atlantico : Si les Mexicains nourrissaient beaucoup d'espoirs à l'égard de Enrique Peña Nieto lors de son élection à la tête du pays, la déception domine dans les esprits. Comment expliquer que le discours volontariste du président ne semble pas suivi d'effet sur le terrain ?

Gaspard Estrada : En effet, l’élection, en juin 2012, d’Enrique PeñaNieto à la Présidence de la République avait suscité de grands espoirs, notamment dans les milieux économiques. Depuis 1997, le Mexique avait été incapable de mener à bien des réformes de structure, que ce soit sur le plan économique, social, judiciaire ou politique. La volonté du Président d’associer dès son investiture les principaux partis d’opposition, de droite (Parti d’Action Nationale) comme de gauche (Parti de la Révolution Démocratique), à l’élaboration puis au vote de ces réformes avait été perçue, à l’époque, comme une réelle nouveauté. Cette « coalition informelle », qui prit le nom de « Pacte pour le Mexique », permit l’adoption d’un vaste nombre de réformes (politique, économique, du travail…). Mais, comme toujours pour les projets de loi, les décrets d’application ont tardé à être publiés. Surtout, sur le terrain de la sécurité (ou plutôt de l’insécurité) et de l’économie – les thèmes prioritaires pour les Mexicains -, les résultats se font attendre. Globalement, la violence s’est maintenue à un niveau très élevé, et la croissance reste désespérément atone. D’où cette sensation d’un hiatus croissant entre le discours volontariste et positif du gouvernement, et la perception négative et pessimiste d’une frange importante de la société mexicaine qui estime que le compte n’y est pas.

Dans quelle mesure les autorités locales ou nationales sont-elles proches des narcotrafiquants ? On se souvient par exemple, en septembre 2014, du scandale à Guerrero au sud du Mexique, les narcotrafiquants étaient de mèche avec les autorités locales dans plusieurs …

Le crime organisé dispose d’une très grande capacité corruptrice dans le sens où ses moyens financiers sont extrêmement importants. De leur côté, les forces de police au Mexique sont mal recrutées, mal formées, et mal payées. De ce fait, face à la puissance de l’argent, il est difficile de maintenir ces forces de police à l’écart de la corruption, d’autant plus que plusieurs élus ont déjà, par le passé, fait appel aux cartels pour financer leurs campagnes électorales. D’autre part, les forces de police au Mexique sont extrêmement fragmentées : on y trouve près de 1600 corps de police. Ce qui permet d’expliquer en bonne partie le manque de coordination entre ces différentes forces, et surtout le manque de volonté de partage d’informations venant des services de renseignement. Ces tensions internes ne contribuent pas à améliorer la lutte de l’Etat contre ces groupes mafieux.

Le président semble placer la loyauté personnelle au-dessus de la responsabilité publique. Est-il possible d'être élu au Mexique sans se compromettre ? Le combat contre la corruption et la criminalité est-il un combat vain ?

Il n’est pas impossible d’être élu au Mexique sans se compromettre, mais il est clair que le cadre général de la compétition électorale a été complétement bouleversé par l’irruption des cartels dans le jeu politique : plusieurs candidats à des postes de maire, et gouverneur ont été explicitement assassinés par des cartels. Par ailleurs, les multiples affaires de corruption et de conflits d’intérêts, qui restent malheureusement impunis au Mexique malgré l’alternance politique à la tête de l’Etat, nuisent au développement d’un véritable état de droit au Mexique.

Le combat contre la corruption et la criminalité n’est pas un combat vain, mais il me semble qu’il doit être attaqué à la source : c’est-à-dire sur le plan financier. Or, s’attaquer aux finances, de mon point de vue, veut dire s’attaquer au marché international des drogues. La mise en place, il y a quarante ans, d’une politique du tout répressif concernant la pénalisation de l’usage de stupéfiants, s’est soldée par un échec. D’où la volonté de plusieurs pays latino-américains (de gauche comme de droite) d’entamer un débat sur la dépénalisation des drogues, afin d’endiguer la puissance des cartels. Cette initiative, soutenue par des personnalités telles que Koffi Annan ou Georges Soros, a abouti à l’inscription de ce débat à l’ordre du jour de la prochaine conférence de l’ONUDC, en 2016.

A l'aune des prochaines élections, Enrique Peña Nieto peut-il encore changer la donne face à la déception des Mexicains ?

Aujourd’hui, le Président PeñaNieto se trouve face à un problème majeur de crédibilité : comment faire repartir la croissance du Mexiqueet diminuer la violence, alors que le prix du pétrole a diminué de moitié entre 2014 et aujourd’hui (près de 40% des ressources de l’Etat sont issues de la rente pétrolière), et que l’impunité des cartels reste de mise ? Sans la mise en œuvre d’actions volontaristes sur le plan politique et économique, le mandat du Président PeñaNieto sera celui des illusions perdues.

Propos recueillis par Rachel Binhas

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