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Menace d’épidémie mondiale : mais où est passé le vaccin contre la fièvre jaune ?
©Reuters

Sueurs froides

Une épidémie de fièvre jaune frappe l’Afrique centrale (Congo et Angola) et menace de contaminer la planète via la capitale de Kinshasa. En cause : une pénurie de vaccins. En réponse, les autorités tentent tant bien que mal de vaporiser de l'insecticide pour éradiquer le moustique responsable de l'épidémie.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : L’explosion d’une épidémie de fièvre jaune en Afrique centrale (Congo, Angola) menace de contaminer l’ensemble du globe. En cause : la pénurie de vaccins destinés à soigner cette maladie. Comment expliquer le fait que le stock de vaccins disponibles pour guérir de la fièvre jaune soit épuisé ?

Stéphane Gayet : Que sont la fièvre jaune et son virus ? La fièvre jaune doit son nom au fait qu’il existe une jaunisse (hépatite) dans les formes graves. C’est une maladie infectieuse due à un virus, le virus amaril (amarillo est un adjectif espagnol qui signifie jaune) qui a été découvert en 1901. Les virus sont des microorganismes infra cellulaires, non vivants au sens classique de la vie qui est constituée de cellules. Lors de l’infection d’une cellule par un virus, le virus est en réalité passif, c’est la cellule qui absorbe le virus, l’ouvre, lit son génome et réplique la particule virale en quantité industrielle, pour le plus souvent en mourir et ainsi disperser le virus (cas du cycle viral dit létal, c’est-à-dire aboutissant à la mort cellulaire).

Qu’est-ce qu’une zoonose virale ? Contrairement aux virus de la rougeole et des oreillons qui sont strictement humains, mais à l’instar de ceux de la fièvre Ebola et de la rage, le virus amaril passe d’autres mammifères à l’homme : c’est une zoonose virale. Les zoonoses, plus généralement, sont ainsi des infections dont l’agent se transmet de façon naturelle des animaux vertébrés à l’Homme et vice-versa. Avec certaines zoonoses virales, l’animal, qui constitue le réservoir de virus, ne souffre pas voire pas du tout de l’infection virale (les cycles viraux n’étant alors pas létaux) : il conserve un état de santé apparemment satisfaisant, mais contribue largement à diffuser le virus. Dans le cas de la fièvre Ebola, il s’agit de grosses chauves-souris frugivores qui disséminent le virus par leurs déjections. Dans le cas de la fièvre jaune, il s’agit de singes de la forêt tropicale. À la différence du virus Ebola, mais comme ceux de la dengue et de la fièvre Zika, le virus amaril est transmis par la piqûre de moustiques, principalement du genre Aedes, mais aussi parfois du genre Haemogogus. Ceci nous amène à distinguer trois types de fièvre jaune.

Que sait-on de l’épidémiologie (répartition et propagation) de la fièvre jaune ? Les pays du Monde touchés par la fièvre jaune se limitent aux régions intertropicales de l’Afrique, de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud. La fièvre jaune sporadique (cas isolés) est la forme selvatique (selve : forêt tropicale). Les singes infectés (réservoirs naturels du virus amaril) des forêts tropicales humides sont piqués par des moustiques sauvages (ne se reproduisant que dans la nature) qui transmettent ensuite le virus à d’autres singes. Mais des êtres humains venant dans la forêt peuvent être accidentellement piqués par des moustiques ainsi colonisés et développer alors la fièvre jaune. Cette forme selvatique donne des cas isolés, parfois groupés, mais pas d’épidémies. La fièvre jaune intermédiaire est la forme rurale. Les singes infectés et vivant non loin de villages sont piqués par des moustiques semi-domestiques (se reproduisant aussi bien dans la nature que près des habitations) qui transmettent ensuite le virus à d’autres singes, mais aussi à des êtres humains. De nombreux villages isolés et situés dans une même zone géographique peuvent ainsi connaître des flambées épidémiques simultanées, mais cela ne dure pas longtemps et n’a pas une grande ampleur. C’est le type de fièvre jaune le plus courant et le plus classique en Afrique. La fièvre jaune épidémique est la forme urbaine. Beaucoup de personnes ayant été infectées en zone rurale se rendent dans une zone très peuplée et dans laquelle il y a une forte densité de moustiques. Les moustiques domestiques transmettent donc le virus d’individu à individu, comme dans le paludisme. Une grande épidémie peut alors se développer si la plupart des gens sont peu ou pas immunisés. Mais cette forme nécessite une forte densité de moustiques, ce qui ne correspond pas au cas général d’une ville ; cependant, c’est la réalité dans certaines villes du continent africain.

Qu’en est-il des stocks de vaccin contre la fièvre jaune ? Le vaccin contre la fièvre jaune est l’un des plus sûrs et efficaces qui existent aujourd’hui. Il s’agit d’un vaccin préparé à partir d’une souche atténuée (le virus du vaccin est répliquant et nous infecte vraiment, mais d’une façon bénigne) du virus responsable de la maladie (souche 17D). Il a été mis au point en 1937 par Max Theiler. Ce vaccin s’administre en une seule injection et protège au moins dix ans. Il est obligatoire pour se rendre dans certains pays (essentiellement des pays africains) et il est réservé aux centres agréés de vaccinations internationales. Il existe une réserve mondiale de vaccins antiamarils organisée depuis 2001 : c’est un stock reconstitué chaque année et qui comporte de l’ordre de six millions de doses. Ce stock est géré par le Groupement international de coordination ou GIC, constitué de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), du Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF), de la Fédération internationale de la Croix rouge et de Médecins sans frontières (MSF). Dès qu’un signalement d’épidémie de fièvre jaune parvient à l’OMS, elle se donne 48 heures pour prendre une décision. Quand sa décision est de vacciner, elle envoie le stock nécessaire dans les sept jours. Depuis 2001, les six millions de doses de la réserve mondiale ont toujours suffi.

Pourquoi une telle consommation de vaccins en Angola et en RDC ? Avec l’épidémie qui a frappé cette année l’Angola et la République démocratique du Congo (RDC, Congo Kinshasa, ex-Zaïre, ex-Congo belge), la réserve a été épuisée, puis reconstituée et de nouveau épuisée. Il a fallu en tout 13 millions de doses. Il faut préciser qu’en cas d’épidémie, on doit vacciner 90 % de la population pour pouvoir la contrôler. L’OMS a en effet décidé cette année de frapper fort face à cette importante épidémie. C’est essentiellement avec les besoins de l’Angola que la réserve a été doublement épuisée. Or, ce vaccin est long et lourd à préparer. La culture du virus amaril ne peut se faire légalement que dans un laboratoire ayant un niveau 3 (sur une échelle allant jusqu’à 4) de biosécurité. Cela correspond à d’importantes contraintes de construction, d’équipement, d’organisation et de fonctionnement du laboratoire de production. Tout cela coûte très cher et prend du temps. On comprendra que l’on ne fabrique pas du vaccin contre la fièvre jaune aussi facilement que du vaccin contre la grippe, pourtant déjà laborieux à préparer. D’où la pénurie actuelle, très préoccupante il est vrai.

Pour pallier la pénurie de vaccins destinés à soigner la fièvre jaune, les autorités congolaises et angolaises pulvérisent de l’insecticide à tout va, dans l’espoir d’éradiquer le moustique "Aedes aegypti", porteur de la maladie. Pensez-vous que cette politique de santé publique a des chances d’endiguer l’épidémie de fièvre jaune ? Par ailleurs, les insecticides peuvent-ils être dangereux pour la santé ? Comment lutter contre les moustiques ?

La fièvre jaune est l’une des rares maladies pour lesquelles la prévention est principalement vaccinale. Quand on se trouve dans cette situation exceptionnelle de pénurie de vaccins, que faire ? Il reste en effet ce qu’il est convenu d’appeler la lutte anti-vectorielle. Car le virus amaril fait partie des Arbovirus (Arthropod borne viruses, c’est-à-dire virus transmis par des Arthropodes, de type Insecte ou Acarien, principalement des moustiques et des tiques). Les maladies dues à un arbovirus sont appelées des arboviroses. Les deux arboviroses les plus fréquentes dans le monde sont la fièvre jaune et la dengue. Nous l’avons vu, la fièvre jaune est transmise par des moustiques, principalement du genre Aedes, mais aussi parfois du genre Haemogogus. La lutte anti-vectorielle et plus précisément ici antimoustiques comprend plusieurs volets. Un volet essentiel consiste à lutter contre toute forme d’eau (douce) stagnante pouvant servir de lieu de reproduction pour les moustiques. C’est là leur point faible : ils ne peuvent pas se reproduire sans eau stagnante. L’eau agitée comme celle des ruisseaux et des rivières ne leur convient pas. En revanche, une très petite quantité d’eau est suffisante pour le développement des larves aquatiques : un simple pneu abandonné et ayant recueilli un peu d’eau de pluie est suffisant. C’est dire que les pots, bassines, barriques, flaques, mares et marigots sont d’excellents lieux de prolifération des moustiques. Mais leur suppression relève d’une politique de salubrité et d’éducation sanitaire, qui ne se met pas en place en huit jours. Le deuxième volet de la lutte antimoustiques porte sur la protection individuelle vis-à-vis des moustiques : éviter de sortir au crépuscule, porter des vêtements aussi couvrants que possible, clairs et propres, ainsi que se laver souvent (les moustiques sont attirés par l’odeur de macération). La nuit, l’usage de moustiquaires est plus que nécessaire, elle est impérative. De nombreuses moustiquaires sont imprégnées de répulsifs et sont de ce fait plus efficaces. Les ventilateurs (qui consomment bien sûr du courant et font du bruit) font fuir les moustiques qui sont dérangés par les turbulences. Tous ces moyens sont efficaces et doivent être additionnés les uns aux autres.

Quelle est la place des produits insecticides ? Parmi les différents moyens de lutter contre les moustiques, l’utilisation d’insecticides est l’un des plus dangereux. Ce sont des produits tantôt irritants (conjonctivite, rhinite, pharyngite, laryngite, trachéite) et pouvant devenir sensibilisants (allergies), tantôt carrément toxiques. Leur toxicité peut être grave en cas d’absorption accidentelle, d’inhalation forte ou même de simple contact, mais prolongé ou répété, avec la peau. Cette toxicité paraît également avérée en cas d’ingestion régulière de résidus d’insecticide dans l’alimentation ou l’eau de boisson. Comme avec tous les pesticides dont font partie les insecticides, il existe des risques cancérigènes, immunosuppresseurs, neurotoxiques et perturbateurs endocriniens. En outre, ces produits peuvent également être dangereux pour l’environnement en polluant les eaux. Ils sont en tout cas à déconseiller auprès des enfants en très bas âge, des femmes enceintes et des personnes très âgées. Ces insecticides ont bien sûr un impact sur tous les autres insectes, parmi lesquels les abeilles. De plus, ils induisent des résistances. Certes, ce sont des produits qui rendent service ponctuellement et qui de nous n’en a jamais utilisé ? Mais les employer de façon massive n’est certainement pas la meilleure action à effectuer pour lutter contre les moustiques. Alors, quel peut être l’effet de telles mesures ? Il est indéniable que l’utilisation massive d’insecticides en pleine flambée épidémique de fièvre jaune peut contribuer à faire régresser cette épidémie, mais ce n’est vraiment qu’une mesure d’urgence, un pis-aller, et qu’il faut mettre en œuvre avec beaucoup de discernement. 

Plusieurs cas de fièvre jaune ont été détectés à Kinshasa, la capitale du Congo, qui est une ville ayant de multiples connexions avec le reste du monde. Dans quelle mesure l’épidémie de fièvre jaune pourrait-elle contaminer le reste du monde ? Y a-t-il des pays ou continents particulièrement menacés ?

L’hypothèse d’une flambée épidémique au cœur de la métropole Kinshasa : Kinshasa est une gigantesque ville de plus de neuf millions d’habitants qui possède deux aéroports internationaux. Elle est donc comparable à l’Ile-de-France. Elle est jumelée notamment avec Dakar et Ankara. Il est vrai que, si une importante épidémie de fièvre jaune urbaine flambait au cœur de Kinshasa, cela constituerait une menace très préoccupante. Nous l’avons vu, la fièvre jaune de type urbain évolue de façon épidémique et s’autonomise, car dès l’instant où beaucoup de personnes sont infectées par le virus et qu’il existe une forte concentration de moustiques domestiques, c’est-à-dire vivant près des habitations, la maladie n’a plus besoin de son réservoir naturel (le singe) et peut donc évoluer de façon interhumaine autonome. Les pays qui ont de nombreux échanges avec la République démocratique du Congo seraient en première ligne : les pays limitrophes et plus particulièrement le Congo (Congo Brazzaville), les autres pays africains francophones et tous les pays du Monde en liaison avec cet immense pays dont la Turquie puisqu’Ankara est jumelée avec Kinshasa. Mais les plans sanitaires se mettraient très rapidement en action…

Si une telle épidémie devait survenir au centre de Kinshasa, les réactions politiques et sanitaires ne se feraient pas attendre. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) se réunirait d’urgence et tous les pays du Monde ayant une organisation sanitaire digne de ce nom apporteraient une réponse très rapide à ce risque majeur. Les vols à destination et surtout de retour de Kinshasa seraient limités au maximum (voire supprimés) et pour le moins très sécurisés, les aéroports en lien avec la RDC feraient l’objet de mesures sanitaires énergiques et strictes, et, dans l’hypothèse où des vaccins seraient de nouveau disponibles, une campagne de vaccination de toutes les personnes à risque serait décidée et rapidement mise en œuvre. De nombreux pays industrialisés et plus particulièrement la France, échaudés par les alertes ou menaces de charbon (bioterrorisme), de grippe pandémique, de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), de fièvre Ebola, etc., sont réellement prêts à faire face à une telle éventualité.

Mais il ne faut pas baisser la garde. Il faut surtout continuer à faire une veille épidémiologique régulière et aussi exhaustive que possible, ce qui est réalisé dans le cadre de l’OMS, et à continuer à transmettre les alertes en temps réel. Décidemment, nous vivons une époque dangereuse dans un Monde dangereux.

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