Mélenchon remporte une victoire culturelle pour l’extrême-gauche, la droite enchaîne les défaites. La faute à qui ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Luc Mélenchon prononce un discours lors de la convention d'inauguration des membres de la Nupes. Aubervilliers, le 7 mai 2022.
Jean-Luc Mélenchon prononce un discours lors de la convention d'inauguration des membres de la Nupes. Aubervilliers, le 7 mai 2022.
©JULIEN DE ROSA / AFP

Gramscinsoumis

Indépendamment du succès qu’elle rencontrera ou non dans les urnes, la Nupes est une réussite idéologique pour l’extrême-gauche puisqu’elle est parvenue à convaincre 78% des sympathisants de gauche qu’elle était justifiée, quelles que soient les lourdes entorses à la culture démocratique et républicaine dont elle est porteuse. En face, la droite reste toujours aussi aliénée…

Philippe d'Iribarne

Philippe d'Iribarne

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Il a notamment écrit Islamophobie, intoxication idéologique (2019, Albin Michel) et Le grand déclassement (2022, Albin Michel) ou L'islam devant la démocratie (Gallimard, 2013).

 

D'autres ouvrages publiés : La logique de l'honneur et L'étrangeté française sont devenus des classiques. Philippe d'Iribarne a publié avec Bernard Bourdin La nation : Une ressource d'avenir chez Artège éditions (2022).

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Atlantico : Comment interpréter les résultats du sondage ViaVoice qui indique que même s’ils ne croient pas véritablement à une victoire dans les urnes, 78% des sympathisants de gauche approuvent l’union entre une gauche sensée être républicaine et une extrême-gauche qui ne l’est pas ? 

Philippe d’Iribarne : Dans cette approbation, on trouve un mélange de réalisme et de fidélité à un mythe. Côté réalisme, 82 % des sympathisants de gauche interrogés par Viavoice jugent « nécessaire pour la gauche de faire des alliances pour espérer avoir une majorité à l’Assemblée nationale ». Il est clair que, à se présenter en ordre dispersé, les partis concernés seraient voués à un rôle marginal dans la future assemblée. L’alliance électorale promet d’être payante, même si elle ne permet pas d’obtenir une majorité. Ce réalisme conduit à accepter le fait, bien reconnu par les deux tiers des intéressés, que, dans cette alliance, socialistes, verts et communistes ont renoncé à des valeurs et des idées fondamentales.  Pour beaucoup, ce renoncement est considéré comme possible sans perdre son âme du fait de l’existence du mythe de la gauche comme une entité transcendante dont  les diverses composantes ne constitueraient que des déclinaisons particulières. 53 % des sympathisants de gauche déclarent que « les différences d’idées et de valeurs sont moins importantes que ce qui réunit ces partis et mouvements de gauche ». Ce mythe s’ancre dans toute une représentation de l’histoire comme un combat séculaire entre le Bien, la gauche, les partisans du progrès, de la justice, de la liberté, et le Mal, la droite, les partisans de la réaction, de l’injustice, de l’oppression. Quand ce mythe marque les esprits, les divergences du moment peuvent paraître peu de choses.

Comment expliquer que la droite qui se croyait redevenue culturellement dominante dans le pays paraisse si désemparée dans la campagne des législatives ? Un sondage Ifop indiquait d’ailleurs ce mardi que 49% des Français souhaitent un premier ministre de gauche.

La droite a pu se croire culturellement dominante. Mais c’était une illusion. Regardons le service public de l’audiovisuel, ou encore un quotidien tel que Le Monde qui reste pour beaucoup une référence. Ils sont massivement à gauche. La gauche domine l’université, avec la place croissante qu’y occupe la nébuleuse woke. Il est vrai que les idées « de droite » tendent à devenir majoritaires dans l’opinion, s’agissant de l’immigration, de l’islam, de l’insécurité, mais de manière un peu honteuse, en étant associée à tout un courant « populiste », à Trump, au Brexit, aux démocraties « illibérales ». Les hésitations de Valérie Pécresse concernant ces idées sont révélatrices. Elle a quitté son parti les Républicains quand, au moment des dernières élections européennes, il a paru, en prenant François-Xavier Bellamy comme tête de liste, trop sensible à ces idées. Puis, au moment de la campagne des présidentielles, avec la place qu’a prise Eric Ciotti dans la primaire, elle les a retrouvé, faisant scandale quand elle a osé parler des « Français de papier ». Emmanuel Macron est franchement à droite dans la sphère économique, mais est farouchement internationaliste et n’a pas de mal à s’allier à une gauche diversitaire. Ses projets concernant les retraites font peur à beaucoup. Il est sans doute attendu d’un premier ministre de gauche qu’il ait une tripe sociale et corrige ainsi les liens du président avec les puissances d’argent.

La gauche n’a cessé de traquer le fascisme, le racisme, l’extrémisme supposé ou la lepénisation des esprits alors qu’il s’agissait le plus souvent de fantasmes ou de mauvaise foi crasse et la droite l’a largement accepté ? Comment expliquer cette soumission à l’intimidation idéologique ? Quelles en sont les racines et les mécanismes ? 

L’opposition entre un camp du Bien, héritier de la Révolution française, du Front populaire, de la Résistance, et un camp du Mal, héritier des « heures les plus sombres de notre histoire », structure profondément notre imaginaire politique, quelque écart qu’il puisse y avoir entre le mythe et la réalité. Le communisme, quels que soient ses crimes, reste vu comme appartenant au camp du Bien. Au contraire, tout ce qui peut être rapproché, fût-ce avec la plus grande mauvaise foi, du Nazisme, incarnation majeure du camp du Mal, est aussitôt marqué d’un sceau d’infamie. On est dans le registre du pur et de l’impur. Tout ce qui touche ce qui est impur devient impur par contamination, et contamine à son tour ce qui le touche. Dans cette fantasmagorie, la gauche joue sur du velours, alors que la droite est à la peine, sans cesse sommée de montrer qu’elle n’a aucun lien avec le camp du Mal, qu’elle résiste à l’impureté. 

Marine Le Pen a fait preuve d’une forme de maturité démocratique en refusant une alliance avec Reconquête en invoquant des valeurs différentes et la nécessité de ne pas susciter la confusion auprès des électeurs au nom de la seule efficacité électorale. S’agit-il d’un bon calcul ? Devrait-elle tenter une union des droites ?

Les progrès électoraux réalisés par Marine Le Pen entre 2017 et 2022 suggèrent qu’elle n’a pas fait un mauvais calcul en travaillant à se « dédiaboliser ». Elle a sans doute satisfait sa base électorale, bien différente de celle d’Eric Zemmour. Mais le projet de rassembler une France populaire, au-delà du clivage droite/gauche, ce qui implique de refuser une union des droites, paraît quelque peu utopique, en tout cas dans l’immédiat et pour longtemps sans doute. On ne voit pas sa base sociale et celle de Jean-Luc Mélenchon se rejoindre.

L’alliance entre la gauche et l’extrême-gauche ouvre-t-elle la voie à une alliance symétrique à droite ? Ou a minima à ce que les interdits politiques et autres excommunications médiatiques ou sociales tombent en désuétude ?

L’interdit lié à la diabolisation de l’« extrême droite », à l’association faite entre celle-ci et Vichy et la Shoah, s’effrite avec le passage du temps. Il paraît beaucoup moins fort chez les jeunes que chez les retraités. Mais de là à une tombée en désuétude, la marge reste grande. Celui qui entend rester pur doit surtout refuser tout contact avec ce qui est jugé impur. On est bien sûr dans l’imaginaire, mais, en politique, l’imaginaire tient une place essentielle. 

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