Mélenchon absent du débat public, les communistes inaudibles, le NPA inexistant : l’extrême gauche française est-elle morte ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Luc Mélenchon.
Jean-Luc Mélenchon.
©Reuters / Charles Platiau

Paix à son âme

NPA, PR, PCF et EELV sont des formations coupées des préoccupations populaires. S'ils peuvent espérer atteindre la barre des 5% aux prochaines régionales, les formations anti-capitalistes ne pourront pas faire l'économie d'une réorientation pour peser en 2017.

Julien Gonzalez

Julien Gonzalez

Julien Gonzalez est l'auteur pour le think tank Fondapol de "Trop d’émigrés ? Regards sur ceux qui partent de France" où il s'intéresse aux raisons et aux coûts de l'émigration des Français.

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Pascal Cauchy

Pascal Cauchy

Pascal Cauchy est professeur d'histoire à Sciences Po, chercheur au CHSP et conseiller éditorial auprès de plusieurs maisons d'édition françaises.

Il est l'auteur de L'élection d'un notable (Vendemiaire, avril 2011).

 

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Atlantico : Dans quel état se trouve l’extrême gauche française ? Est-elle proche d'une mort certaine ? 

Julien Gonzalez : L’extrême gauche française – ou plutôt ce que l’on entend par cette expression – n’est pas un bloc homogène. Si toutes ces formations politiques usent de la même rhétorique anti-capitaliste, leur filiation renvoie à des héritages historiques et idéologiques quelque peu différents ; le trotskisme pour le NPA (anciennement Ligue communiste révolutionnaire) et Lutte ouvrière, le communisme "officiel" et institutionnalisé pour le Parti communiste. De plus, alors que l’on peut raisonnablement douter de la volonté du NPA ou de Lutte ouvrière d’exercer réellement le pouvoir, le Parti de Gauche de Mélenchon ou le Parti communiste semblent davantage se positionner dans une logique de contestation de l’hégémonie du PS au sein de la gauche de gouvernement.

A ce titre, le Front de Gauche (regroupant le Parti de Gauche et le Parti communiste), marque clairement le pas, avec une incapacité manifeste, lors des scrutins intermédiaires (législatives partielles, municipales, européennes, départementales), à confirmer le bon score réalisé par Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle de 2012.

Pascal Cauchy : Les "extrêmes gauches" de nature révolutionnaire, souffrent en premier lieu d'une morosité objective : chômage, baisse de croissance, augmentation de la pauvreté. Il est difficile pour un parti révolutionnaire, dans ce contexte, de séduire avec la perspective d'un monde meilleur. D'autre part, il n'est pas dans la nature de ces mouvements de mobiliser le chômeur, le sans logis et même l'immigré. Leur ADN c'est le monde ouvrier en activité, socle stable de la révolte future et de la compétition électorale présente. 

Comment expliquer cette lente désintégration ? Les stratégies personnelles des uns et des autres -Jean-Luc Mélenchon et Pierre Laurent notamment- ont-elles participé à cette décrépitude ? Le FN a-t-il aussi participé à cela ?

Julien Gonzalez : Les difficultés du Front de Gauche tiennent d’après moi à trois causes principales.

D’abord, la concurrence du Front national concernant l’incarnation d’une force politique social-étatiste. Alors que le FN de Jean-Marie Le Pen portait un discours que l’on qualifierait probablement aujourd’hui d’ "ultra-libéral", Marine Le Pen défend les 35h, la retraite à 60 ans, l’encadrement des prix de premières nécessités et se pose en adversaire résolue du MEDEF et du "grand capital".

S’ajoute à cela une dimension nationale et protectionniste que s’interdit la gauche de la gauche, ce qui amène à nous intéresser à la deuxième explication : l’universalisme du Front de Gauche. Alors que la propagande du Parti communiste de l’après-guerre était bien volontiers franchouillarde – voire carrément xénophobe à l’endroit des Américains – et que le parti n’était pas franchement pro-immigration (n’oublions pas les actions "anti-travailleurs immigrés" des maires communistes des banlieues parisiennes dans les années 1980 ou les discours virulents de Georges Marchais sur l’immigration), l’extrême gauche est aujourd’hui tout autant anti-capitaliste qu’anti-raciste et tiers-mondiste, ce qui la coupe d’une grande partie de l’électorat populaire.

Enfin, la gauche de la gauche perd progressivement la bataille des idées, dans une sorte de dérive des idées pures. Pris au piège de la prestigieuse histoire de la gauche, dans la recherche constante de l’extension du domaine des droits, le camp progressiste d’hier incarne aujourd’hui celui de la déresponsabilisation à outrance, l’émancipation individuelle a fait place à un misérabilisme destructeur ; par un singulier clin d’œil du destin, alors que la gauche communiste était hier le symbole de la primauté du collectif sur l’individu, la gauche dite "radicale" ou "extrême" est aujourd’hui le farouche défenseur de l’individu délesté de toute contrainte.

Pascal Cauchy : Il y a bien entendu, des choix stratégiques mauvais. Pendant trop longtemps, et encore aujourd'hui, le discours est trop proche de celui de la gauche socialiste, sur le sociétal. Un discours inaudible dans le monde ouvrier que l'on continue d'appeler "les salariés", alors que le monde des services, trop atomisé, reste peu perméable aux idées de rupture (sauf dans les services publics).  D'une certaine façon, la chute du PS accélère celle des poissons pilotes de la gauche.   De ce point de vue le FN a parfaitement compris qu'il existait là une fenêtre de tir. Si on ajoute un discours nationaliste qui retrouve le principe de solidarité sociale, une conjonction oubliée depuis plus d'un siècle mais qui fut réelle dans la seconde partie du XIXe siècle, on comprend mieux, alors, les progrès frontistes.

A quoi peut-on s'attendre pour les futures échéances électorales ? Quel peut-être malgré tout son poids dans les futures élections régionales ?

Julien Gonzalez : Dans de nombreuses régions (Provence-Alpes-Côte d’Azur et Nord-Pas-de-Calais-Picardie notamment), le Front de Gauche et Europe Ecologie Les Verts font listes communes au premier tour du scrutin. Au prix de quelques entorses à la cohérence d’ensemble (le Parti communiste étant historiquement pro-nucléaire), le Front de Gauche opère d’ailleurs depuis quelques mois un verdissement de son discours, avec pour thèmes centraux les questions environnementales et la décroissance, alors que, jusqu’ici, le Parti communiste a toujours été plutôt productiviste.

Cette recomposition permettra certainement d’atteindre dans la plupart des régions le seuil des 5% autorisant la fusion au second tour avec la liste du PS et, ainsi, donnera l’occasion de peser davantage dans le rapport de forces au sein de la gauche. Mais, là aussi, deux problèmes vont se poser : la menace de victoire du FN qui risque de renforcer le réflexe du vote utile et donc de délester le Front de Gauche d’une partie de ses électeurs, et le peu de régions qui pourraient rester dans l’escarcelle du PS (3 ou 4 d’après les sondages), réduisant l’influence de la gauche de la gauche dans les territoires.

Pascal Cauchy : Les sondages sont clairs. L'extrême gauche, y compris sa composante verte, comptera sans doute très peu. Reste que l'élection est un moment nécessaire pour exister. Ce sont des réunions, des slogans, des affiches... et parfois des voix. Le problème est pour les socialistes. Jusqu'alors l'extrême gauche pouvait être considérée comme une réserve de voix en milieu populaire. Désormais ce capital (sans jeu de mot) semble bien mince. Sans doute en sera-t-il de même en 2017. 

Y-a-t-il encore une chance pour l'extrême gauche de retrouver son lustre d'antan ? Comment ?

Julien Gonzalez : Les responsables de ces formations devraient s’interroger : pourquoi la France n’a t-elle pas son Podemos, son Syriza ? Pourquoi le mouvement des Indignés a-t-il été si discret en France ? Qui est notre Pablo Iglesias, notre Alexis Tsipras ?

Le débat politique français se polarise autour de deux thèmes : l’emploi – et donc l’économie – et l’identité. Sur le premier, les amortisseurs sociaux français ont été le plus puissant rempart à la montée des forces de gauche "radicale". Le second thème n’occupe pas la même place dans les débats espagnol ou grec, qui ont été archi-dominés par la lutte contre les politiques d’austérité, que la France n’a pas connues, qu’on le veuille ou non. Sur toutes les thématiques inhérentes au malaise français – la sécurité, l’identité, la responsabilisation individuelle – l’extrême gauche est dans une impasse et n’est pas prête d’en sortir.

La question politique de ces prochaines années sera l’unité du pays, le rétablissement d’un "commun". Hors, le "parti des fusillés" est devenu celui des "Roms et de la Palestine". Dans ces conditions, l’extrême gauche se condamne à être ultra-minoritaire, malgré un marasme économique et social qui devrait être pour elle un terreau fertile.

Pascal Cauchy : L'avenir d'une gauche révolutionnaire est peut-être dans une déconsidération longue du socialisme de gouvernement. Il y aurait alors des places à prendre face à une droite désormais ultra majoritaire si l'on additionne FN et républicains. Quel que soit l'avenir du lien entre nationalistes et gaullo centristes, il y a fort à parier que le contexte politique soit favorable à nouveau à une protestation radicale. Après 2017, le temps sera venu aussi, et très certainement, d'une autre génération de leaders. Et puis, ce sera le centenaire d'Octobre...

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