Marseille en grand ou les illusions générales de l’Etat projetées sur la cité phocéenne<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron à Marseille.
Emmanuel Macron à Marseille.
©GUILLAUME HORCAJUELO / POOL / AFP

Emmanuel Macron à Marseille

Emmanuel Macron est à Marseille depuis ce lundi pour tirer le bilan de Marseille en grand dont il se félicite.

Elodie Messéant

Elodie Messéant

Juriste de formation, Élodie Messéant a travaillé dans le secteur des cryptomonnaies. Chargée d'études à l'IREF, elle collabore également avec le média Young Voices Europe.

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Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Atlantico : Emmanuel Macron est à Marseille pour tirer le bilan de Marseille en grand dont il se félicite. Que faut-il en penser ?

Gérald Pandelon : Ce que je pense, c'est qu'au-delà des bonnes intentions - je ne remets pas en question la volonté d’Emmanuel Macron de bien faire- il s'agit d'une problématique bien plus profonde qui risque de compromettre l'efficacité de toute action superficielle. Le problème de Marseille perdure depuis 30 ans, d'ailleurs, je l'ai expliqué il y a trois ans dans mon livre intitulé "La France des caïds". Il s'agit d'un décalage entre les discours et les actes, plus précisément entre les actes, et la réelle gravité de la situation. Pour le dire simplement, sur une échelle de gravité allant de 0 à 10, Marseille se situe à 9, tandis que les discours se situent à 5 et les actes à 2, voire à 0. Tant que nous ne réaliserons pas que, malgré toutes les mesures et les initiatives superficielles, nous restons en deçà de la réalité, nous ne parviendrons à rien résoudre. L'ajout de 55 caméras dans les quartiers Nord ou le renforcement minime de la présence policière n'apporte rien. Pire encore, cela ne fait qu'aggraver le phénomène, comme je l'explique depuis des années. Les assassinats perpétrés dans les Bouches-du-Rhône n'ont jamais été aussi nombreux, notamment à Marseille. Depuis 2023, on en dénombre 23, ce qui ressemble à une dérive à la mexicaine, une forme de cartellisation à laquelle nous assistons. Malheureusement, tant que nous ne nous attaquerons pas véritablement au problème et que nous ne proposerons pas des politiques publiques adaptées en matière pénale, je crains que la situation ne fasse qu'empirer. C'est ce que je déclare, ce que je soutiens et ce que j'écris depuis plusieurs années.

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Ira-t-il dans les quartiers nord de la cité phocéenne ?

Élodie Messéant : Lorsque l'on regarde les statistiques sur la criminalité et le taux de chômage, il n'y a pas vraiment de quoi se féliciter : Marseille fait partie des villes de France les plus touchées par les homicides liés au trafic de stupéfiants, sachant que le bilan s'aggrave depuis une décennie si l'on s'en tient aux propos de Frédérique Camilleri, la préfète de police des Bouches-du-Rhône. Quant au chômage, il a certes baissé sur les dix dernières années (9,6 % en 2023 contre 18,5 % en 2013), mais il reste supérieur à la moyenne nationale (7,2 %). L'opération de communication du gouvernement peine à masquer cette réalité.

Renoncement vis à vis des collectivités locales mauvaises gestionnaires 

Élodie Messéant : Marseille illustre l'impossible simplification de la décision locale : l'opposition des élus locaux au mouvement de métropolisation, initié dès les années 80, a conduit à un éclatement de la décision publique entre les mairies marseillaises, les communes, les conseils territoriaux, la métropole d'Aix-Marseille, le département des Bouches-du-Rhône et la région PACA. À cela s'ajoutent des difficultés de désendettement de la région (8 ans contre 4 ans pour les métropoles de Lyon et Lille, par exemple) et des capacités d’autofinancement par habitant très inférieures à la moyenne nationale (189 € contre 330 €). Les tentatives de rationalisation de l'action et de la dépense publique ne s'attaquent pas à la racine du problème, à savoir le trop grand nombre d'échelons administratifs, comme l'IREF a pu le démontrer.

Renoncement vis à vis de ceux qui détournent l’intérêt général à leur profit 

Élodie Messéant : Le renoncement de l'Etat favorise indirectement les éléments les plus nocifs de la vie politique française. Si on prend l'exemple du grand port de Marseille-Fos, son très mauvais classement à échelle mondiale (315e place sur 370) n'est pas étranger à l'action nocive des syndicats. Pendant la réforme des retraites, les grèves de la FNPD (Fédération nationale ports et docks) CGT n'ont fait qu'aggraver les pénuries de carburant en France, alors mêmes que les salaires des dockers marseillais peuvent atteindre, voire dépasser, environ 4 500 euros net/mois pour un travail effectif de 12 à 16 heures par semaine.

Renoncement à rétablir l'ordre dans les quartiers

Gérald Pandelon : Il est alarmant de constater, lors de discussions avec certains politiciens qui pourraient réfléchir à la situation, que l'urgence paradoxale consiste à ne rien faire. Pourquoi ? Parce qu'ils craignent constamment d'être stigmatisés, d'être perçus comme racistes ou discriminatoires envers une population spécifique. Cela porte gravement préjudice à l'efficacité de toute action. J'ai rencontré de nombreux hommes politiques lors de mes enquêtes sur le terrain, et ils ont toujours peur de dire la vérité, de crainte de faire face à des accusations de racisme, de discrimination, et ainsi de suite, comme je l'ai mentionné précédemment. Par conséquent, le politiquement correct prévaut. Il y a un consensus selon lequel, en privé, on reconnaît que la situation est extrêmement grave, mais en public, on affirme qu'il y a toujours des solutions, que la situation n'est pas si grave, qu'il ne faut pas exagérer, et ainsi de suite. Tant que les discours sur la délinquance dans les quartiers sensibles ne seront pas dépénalisés d'une certaine manière, nous ne pourrons pas avancer.

Pensez-vous qu'il y ait une certaine crainte ou une sorte de spectre persistant de ce qui s'est passé en 2005, qui pourrait expliquer également une certaine réticence ou hésitation ?

Gérald Pandelon : Cela fait très certainement partie du problème. Malheureusement, compte tenu de l'aggravation de la situation, que nous l'acceptions ou le déplorions, il y a une alternative qui se présente. Il y a deux choix possibles. Soit nous souhaitons résoudre le problème, et cela nécessitera inévitablement l'utilisation de la violence. Une violence légitime qui impliquerait l'intervention de l'État dans les quartiers sensibles, que ce soit par le biais des forces de police ou même de l'armée. Soit nous ne souhaitons pas réellement résoudre le problème, et dans ce cas, il faut cesser de croire que de simples mesures symboliques pourront tarir le trafic. C'est une question presque intellectuelle, voire philosophique, qui se pose à notre société. Voulons-nous réellement résoudre ce problème ? Est-ce que nous sommes réellement prêts, en France, pays des droits de l'homme, à prendre les mesures nécessaires ? Au cours de ces dix dernières années, les divers plans mis en place, tels que le Plan Cité ou les initiatives de Castaner, ont tous montré une inefficacité flagrante, selon de nombreuses personnes qui travaillent avec eux. Je leur ai dit : "Arrêtez de sous-estimer la situation. Ne prenez pas les gens pour des imbéciles. La situation est extrêmement grave.

Renoncement en ce qui concerne les questions d'intégration

Gérald Pandelon : C'est un échec criant. C'est un échec flagrant en ce qui concerne l'intégration, et il convient de préciser que les notions d'intégration, d'insertion et d'assimilation sont des concepts politiques vides de sens. Il n'y a pas plus d'intégration que d'insertion ou d'assimilation. D'ailleurs, à quoi devrait-on s'intégrer ? De leur côté, les populations, en grande majorité, préfèrent conserver leur propre religion plutôt que d'adopter celle du pays qui les accueille, surtout lorsqu'il s'agit de communautés musulmanes. Du côté français, nous rencontrons de plus en plus de difficultés, et que pouvons-nous réellement offrir ? C'est un problème qui concerne les deux parties. Les deux côtés sont responsables de cette situation. Et cette problématique ne fait qu'aggraver constamment la question de la délinquance dans les quartiers.

Aujourd'hui, j'entends des jeunes clients ainsi que leurs parents me dire : 'Avant, on pensait que pour réussir, il fallait faire des études, etc. Mais maintenant, ma carrière, c'est dans le trafic de drogue.' Et ce qui est encore plus préoccupant, c'est qu'ils considèrent que s'ils gagnent de l'argent en s'engageant dans ce type de 'carrière', cela serait une preuve de réussite absolue. Nous sommes bien loin de la méritocratie républicaine, du concept de travailler dur à l'école que nous enseignons à nos enfants pour décrocher de bons postes. Nous sommes très éloignés de cela. Eux, ils sont fiers aujourd'hui... Je peux vous dire à quel point nous sommes déconnectés. Ils sont fiers de dire : 'Peut-être que nous allons réussir dans ce domaine.' C'est comme si c'était quelque chose d'inattendu, d'extraordinaire pour eux."

Renoncement en matière d'immigration

Gérald Pandelon : Bien entendu. On hésite à l'exprimer, de peur d'être qualifié de raciste, mais la véritable question au cœur du sujet est celle de l'immigration. Les fondements, les causes profondes, ne relèvent en aucun cas du racisme. Nous, les Français de souche, ou du moins ceux qui se considèrent comme tels, refusons de reconnaître ce que les immigrés eux-mêmes, qui se sont intégrés, reconnaissent pourtant. C'est une catastrophe. Mentalement, c'est une catastrophe. C'est une lâcheté individualiste et une lâcheté typiquement française, surtout de la part de nos élites. Je ne parle pas du peuple, car il y a de nombreuses personnes qui ont une vision parfaitement réaliste de la situation, mais ce sont nos élites qui nous tirent vers le bas.

En d'autres termes, est-ce que la situation à Marseille illustre de manière exemplaire les illusions plus générales de l'État en matière de politique ?

Gérald Pandelon : Marseille, en tant que quartier situé au carrefour, en tant que port, avec son héritage historique marqué par une forte immigration, aggrave d'une certaine manière un phénomène qui est national, voire général. Ce qui se passe dans le 9-3 et le 9-4, ce qui se déroule dans la région lyonnaise, à Toulouse et au Mirail, ce qui se passe actuellement dans le Nord, à Rennes en Bretagne, et même ce qui se passe à Nantes aujourd'hui, c'est un cri d'alerte. Depuis 20 ans, je répète que c'est trop facile de faire de Marseille le bouc émissaire de cette criminalité. C'est un problème généralisé. Les discours, bien qu'ils soient largement insuffisants et les actions qui en découlent, en deçà de ce qui est nécessaire, ne peuvent qu'empirer la situation. Je suis généralement optimiste dans la vie, mais sur cette question-là, en tant que spécialiste, je crains le pire.

Mais Marseille incarne l'effondrement de l'État. Je me souviens de mes études à Sciences Po dans les années 90, où l'on discutait constamment de la crise de l'État-nation, de la crise de son autorité. Mais ce que nous vivons aujourd'hui ne relève pas de la crise, c'est une véritable explosion. Nous sommes presque face à une sécession. Certains de mes clients m'ont toujours dit : "Nous sommes prêts. Si l'armée ou la police veut intervenir, nous les attendons. Nous ne sommes pas limités, je le dis avec mes mots, moralement à tirer sur tout ce qui bouge. Vous avez vos lois, la légitime défense, et tout le reste. Mais nous, nous nous en fichons de tout cela. Nous voulons préserver notre territoire." Nous sommes au-delà de la crise de l'État, de l'État-nation, de l'autorité, et de toutes ces balivernes. Nous avons dépassé cela. C'est ce qu'ils veulent tous vous dire en privé, croyez-moi. En public, personne ne l'avoue, sauf quelques personnes non pas courageuses, mais réalistes.

Que faudrait-il faire ?

Gérald Pandelon : Selon moi, la seule mesure dissuasive serait de pénaliser les consommateurs. En effet, sans consommateurs, il n'y aurait pas de vendeurs. En surveillant de manière plus étroite les mouvements dans les quartiers Nord, nous connaissons tous, les policiers marseillais ainsi que d'autres dans toute la France, les zones de trafic de drogue. Si nous parvenons à éliminer les acheteurs, nous assécherons automatiquement le marché. Ainsi, je pense qu'il est primordial, premièrement, de sanctionner sévèrement les consommateurs. Deuxièmement, pour tenter de tarir ces pratiques, il pourrait être envisagé, bien que cela ne me convainc pas entièrement pour le moment, d'expérimenter la légalisation de certaines drogues douces. Il s'agirait d'une démarche expérimentale et limitée, en excluant les drogues dures. Pourquoi ? Parce que la majeure partie du trafic de stupéfiants concerne le cannabis. Bien entendu, le cannabis est une drogue, surtout lorsqu'elle est consommée de manière régulière et quotidienne, mais dans l'ensemble, elle reste moins dangereuse que l'héroïne, le crack ou la cocaïne. L'aspect expérimental de la législation n'est pas nouveau. Comme vous le savez, il existe déjà des lois spéciales pour certains territoires au niveau étatique. Donc, il serait tout à fait envisageable de mener des expérimentations législatives concernant un certain nombre de faits, qu'ils soient anciens ou d'actualité. Cette possibilité est prévue dans les textes. Enfin, le troisième élément consisterait à renforcer les conditions d'entrée et de séjour des Marocains en France, car c'est principalement le Maroc qui est le premier producteur et exportateur de cannabis vers la France.

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