Marine Le Pen remet le paquet sur la sortie de l’euro : dans les coulisses du pari de "Mme Frexit"<!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen remet le paquet sur la sortie de l’euro.
Marine Le Pen remet le paquet sur la sortie de l’euro.
©Reuters

Exit la France

Dans une interview donnée au journal Bloomberg, Marine Le Pen s’autoproclame “Madame Frexit”, en référence au Brexit et au Grexit. Alors qu’elle avait clairement marqué une pause sur cette thématique, elle fait le choix de reparler d’une sortie de la France de la zone euro. Une bourde pour certains, une carte postale pour d'autres.

Vincent Tiberj

Vincent Tiberj

Vincent Tiberj est chargé de recherche à Sciences Po. Diplômé et docteur en science politique de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris, il est spécialisé dans les comportements électoraux et politiques en France, en Europe et aux Etats-Unis et la psychologie politique,

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Lorrain de Saint Affrique

Lorrain de Saint Affrique

Lorrain de Saint Affrique est un ancien journaliste.

Proche du Front national, conseiller en communication de Jean-Marie Le Pen de 1984 à 1994, secrétaire départemental du FN dans le Gard et conseiller régional du Languedoc-Roussillon, de 1992 à 1998. Il avait été écarté du FN en 1994 à l’occasion d’un conflit avec Bruno Mégret. Il a publié Dans l'ombre de Le Pen (Hachette Littératures) en 1998. A la suite de l’exclusion de Jean-Marie Le Pen du FN, il renoue avec celui-ci : depuis le 1er octobre 2015, il exerce la fonction d’assistant parlementaire du député au Parlement européen, en charge des questions de presse.

 

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Atlantico : Si Marine Le Pen avait procédé à une pause sur les quatre souverainetés essentielles (territoriale, monétaire, législative et économique) et la sortie de la France de la zone euro, elle sonne la charge et s'autoproclame "Madame Frexit". Pourquoi revient t-elle maintenant à ses fondamentaux ? 

Lorrain de Saint Affrique : Elle prenait effectivement ses distances sur ce sujet et commet, à mon avis, une bourde, une gaffe. A chaque fois qu'elle souhaite la chute de l'euro, elle perd une partie de son électorat venue de la droite. Marine Le Pen s'était rendu compte que cette idée provoquait un blocage. 

Je pense que la principale explication est à chercher du côté du nouveau groupe au Parlement européen. Elle est devenue co-présidente de ce groupe, avec tout ce que cela signifie (nouvelle fonction, recrutements de nouveaux cadres, voitures, chauffeurs, etc). Ce groupe doit être la principale cible de Marine Le Pen. Elle souhaite rassurer ses nouveaux partenaires sur sa vision europhobe, et consolider un groupe qui pour l'instant est assez fragile. Ce groupe se consolidera sur ce type de thématique. Sur cette ligne anti-union, elle pourra également rassembler d'autres partis. Si je dois trouver une habileté à ce terme, je dirai qu'il est accessible en anglais, et la formule est ainsi compréhensible dans une langue commune. Je ne vois pas du tout cela efficace sur une opinion populaire. 

L'enjeu pour ce groupe parlementaire est de tenir. Simplement tenir. Et éventuellement de sortir de la ligne rouge, car son groupe ne tient qu'à un fil. Elle souhaiterait plus de marge, et une divergence pourrait anéantir l'élan. Si les membres de ce groupe sont assez d'accord sur le rejet de l'Union, de l'euro et de la politique européenne en général, mais ils ont des considérations nationales. 

De plus, je crois que Marine Le Pen est sur la même ligne que Florian Philippot. Et cette formule est révélatrice, alors qu'elle se détachait du sujet, de la pression et de l'angle que lui impose son principal conseiller, Florian Philppot, dont l'avenir politique est liée à la chute de l'Union et de l'euro... Il pourrait être la victime d'une réorientation. 

Vincent Tiberj : J'imagine une structure d'opportunité médiatique : l'Europe est au centre des débats depuis deux semaines, avec la Grèce ; Monsieur Cameron et ses déclarations sur le Brexit ont également fait du bruit. Pour le mouvement souverainiste, il s'agit du bon moment pour faire entendre leur musique. 

Marine Le Pen a également effectué un gros travail en initiant un groupe au sein du Parlement, et elle continue de s'ancrer dans le paysage politique européen. Cette présence sur la scène européenne ne lui permet pas de gagner beaucoup de voix, mais renforce sa stature de femme présidentiable. Pour Marine Le Pen, il y a une nécessité de se positionner, comme les autres candidats en 2017, sur des sujets européens et internationaux, pour gagner en légitimité. 

Cette stratégie est enfin, à la manière d'un Nicolas Sarkozy, une stratégie de carte postale. Marine Le Pen médiatise un certain nombre de ses voyages (Moscou, New York Egypte). Ele veut montrer sa capacité à pouvoir représenter la France à l'international. 


Ce surnom risque t-il de s'ancrer dans le paysage politique ? Pourquoi Marine Le Pen l'annonce lors d'un entretien avec nos amis américains ? 

Lorrain de Saint Affrique : Je pense que personne ne comprends ce que ce surnom signifie. Il n'a aucune portée populaire. 

Vincent Tiberj : L'acronyme n'est pas très heureux. "Frexit", ça ne sonne pas très bien ... Nul besoin d'employer des termes aussi complexes pour remettre le débat au goût du jour. Cette manière de parler de l'Europe est ancienne. Cette idée de sortie de l'Europe, sur une base fermée et souverainiste, est ancrée chez certains électeurs, et le parti capitalise sur ces fondamentaux depuis longtemps. Après une interview au Times à New York, cet entretien à un média américain, élitiste, participe à sa stratégie de femme politique internationale, et muscle sa légitimité. 

Ce retour sera t-il un des étendards les plus agités pendant sa campagne présidentielle de 2017 ? Un thème phare de son combat ?

Lorrain de Saint Affrique : 2017, c'est très loin. Pour le moment, la question est plutôt de savoir ce qu'elle annoncera le 30 juin dans sa conférence de presse pour les régionales dans le Nord-Pas-de-Calais Picardie. Va t-elle y aller ? Normalement, elle y va. Et l'horizon deviendra régionale. 

Un combat immédiat est également de ne pas perdre les soutiens du père. Le 2 juillet aura lieu l'annonce du tribunal de Nanterre sur le cas Le Pen. Je pense qu'il se battra en justice jusqu'au bout, jusqu'à ce qu'il a la force de le faire. En interne, les choses sont mouvementées. J'ai l'impression que cette éviction ne passe pas bien. Certains tabous très ancestraux ont été violés. C'est une rupture dans l'histoire du Front national. Les remous seront peut-être plus fort qu'on ne le pense.

Vincent Tiberj : L'Europe est une figure des campagnes électorales françaises depuis le référendum de Maastricht en 1992. On note que l'Europe continue à structurer les clivages. Mais les thèmes de multiculturalisme, d'islam et d'immigration permettront davantage à Marine Le Pen de capitaliser des voix et de souder son électorat ; et ces thèmes vont de pair avec l'Europe bien sûr. Je pense que la formule de Madame Le Pen trouve davantage écho dans un enjeu de légitimation, que dans un investissement dans un nouveau terrain électoral. 

Dans un contexte de crise grecque et de possibilité pour la Grèce de sortir de la zone euro, prend t-elle un risque ? La situation grecque pourrait empirer d'ici à 2017, et ainsi mettre en difficulté la rhétorique de Madame Le Pen...

Lorrain de Saint Affrique : Le Front national ne pari que sur le pire. Donc Marine Le Pen parie sur le fait que l'euro s'effondre, que tout se passe mal, que le système se dissolve complétement, etc. Le Front national souhaite que le pire arrive. Marine Le Pen a annoncé la fin de l'euro, depuis 2008, de très nombreuses fois ! Elle a failli avoir raison en 2009. 

Vincent Tiberj : Je ne pense pas que Marine Le Pen prenne un risque en abordant ce sujet dans le contexte que vous décrivez. Si la Grèce sort de la zone euro, et que la situation devient terrible, il sera facile pour Marine Le Pen de mettre en avant la responsabilité de l'Europe, et pas forcément celle des Grecs. Quelque soit le scénario grec, le discours du Front passera le "crash-test". C'est d'autant plus vrai qu'on ne sait pas ce qu'il va se passer, si la Grèce restera ou pas, mais cela n'empêchera pas à Marine Le Pen de faire existe des discours europhobe. Ce discours est cohérent avec leurs idées et construit depuis très longtemps. 

De plus Marine Le Pen cultive l'ambiguité sur Syriza : si elle soutient le parti dans ses négociations, elle ne soutient pas l'ensemble de la politique de Syriza, et ne partage pas sa vision de société et sa vision de l'économie intérieure. 

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