Malgré la polémique le modèle français de financement public du cinéma reste nécessaire<!-- --> | Atlantico.fr
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Une salle de cinéma, photo d'illustration AFP
Une salle de cinéma, photo d'illustration AFP
©ABDULMONAM EASSA / AFP

Culture

En France, le modèle de financement public du cinéma est très interventionniste, quel que soit le gouvernement en place. Et ce n'est pas une mauvaise chose.

Olivier Amiel

Olivier Amiel

Olivier Amiel est avocat, docteur en droit de la faculté d’Aix-en-Provence. Sa thèse « Le financement public du cinéma dans l’Union européenne » est publiée à la LGDJIl a enseigné en France et à l’université internationale Senghor d’Alexandrie. Il est l’auteur de l’essai « Voir le pire. L’altérité dans l’œuvre de Bret Easton Ellis» et du roman « Les petites souris», publiés aux éditions Les Presses Littéraires en 2021.

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On ne peut pas blâmer Justine Triet d’avoir voulu profiter de son discours de remise de la Palme d’or et de l’exposition médiatique mondiale pour donner son opinion sur le sujet de son choix… On peut seulement regretter qu’elle gâche cette occasion par une intervention de politique nationale au lieu de parler tout simplement de cinéma.

Par contre, sa remarque « La marchandisation de la culture que ce gouvernement néolibéral défend est en train de casser l’exception française » est blâmable car particulièrement de mauvaise foi alors qu’il n’y a pas plus interventionniste (et tant mieux) que notre système de financement public du cinéma quel que soit le gouvernement en place.

Son film a d’ailleurs bénéficié des diverses aides d’Etat, des collectivités locales, de crédit d’impôt, d’obligations de diffuseurs télévisuels… pour plusieurs millions d’euros.

Malgré l’affirmation erronée de la réalisatrice, la France conserve le système d’aides le plus important au monde, symbole d’un soutien public ayant permis la survie singulière d’une industrie cinématographique face à l’hégémonie hollywoodienne.

Il serait dommage et contreproductif que par sa sortie polémique et infondée, Justine Triet et ses défenseurs soient les idiots utiles des détracteurs de notre modèle de financement public du cinéma.

Historiquement les États se sont longtemps très (voire trop) intéressés au cinéma. De l’URSS soviétique, en passant par l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie, les régimes totalitaires ont souhaité contrôler ce fantastique moyen d’expression artistique mais surtout de communication de masse. Cette mainmise étatique passe par une censure classique et propagandiste, mais aussi et surtout par un financement public tellement nécessaire pour une activité aussi coûteuse, que les professionnels s’autocensurent pour entrer dans le cadre souhaité par le pouvoir. Même dans les démocraties modernes, le risque d’une censure déguisée (une sorte de Jdanovisme) réside par les coteries des commissions d’attribution d’aides.

La France n’échappe pas à cette règle historique puisqu’une partie de la base de son modèle de financement public du cinéma provient du régime de Vichy. Mais à la différence d’autres pays, elle a continué d’aider massivement son industrie cinématographique avec un système conçu en réaction au libre-échange imposé par les accords franco-américains « Blum-Byrnes » de 1946, et pérennisé par André Malraux. Cela permit de contenir l’invasion des images hollywoodiennes. C’est pour cela également, que la France a longtemps été un pays défenseur isolé de l’exception culturelle dans le cadre des cycles de négociations commerciales multilatérales du GATT ou de l’OMC, avant que son combat soit repris avec succès, notamment par l’Europe et l’Unesco au nom de la diversité culturelle.

L’enjeu est de taille, car depuis son origine la machine à rêve hollywoodienne masque un rouleau compresseur industriel, artistique mais également civilisationnel. Le cinéma a une capacité de « projection nationale » pour reprendre le terme de Jean-Michel Frodon et le danger a toujours été de laisser une seule représentation des peuples par une vision globalisée alors que comme le rappelle Jean-Claude Batz : « sans représentation de lui-même, un peuple serait voué à disparaître, à renoncer à ses repères ». Cette projection nationale et cette représentation des peuples, passe par l’ensemble de la communication audiovisuelle, que cela soit la cinématographie ou l’ensemble du contenu télévisuel et désormais numérique. Il y a forcément le risque d’une censure dans l’imaginaire collectif, imposée de façon insidieuse par l’hégémonie des États-Unis d’un côté, et par la soumission des autres pays.

Le visage de cet « impérialisme » a par contre changé. De celui des majors hollywoodiennes, il passe aujourd’hui à celui des géants d’Internet de la Silicon Valley, ces « nouveaux Léviathans » comme les nomme le philosophe Robert Redeker.

Le box-office mondial des entrées en salle avait atteint le record de 42,3 milliards de dollars en 2019, mais dans le même temps le chiffre d’affaires de la diffusion à domicile par Internet était passé à 42,6 milliards. La pandémie a forcément accentué ce transfert d’usage, et même si l’exploitation en salle connaît un rebond cette année, l’écart est creusé durablement par la diffusion sur Internet.

Par ce nouveau poids économique en matière de recettes, ces « Léviathans » sont devenus également incontournables dans le financement des œuvres et imposent donc à leur tour une censure par leur position dominante. Si ce n’est pas une propagande patriotique comme dans les régimes totalitaires, cela va plus loin que l’imposition d’une esthétique comme dans les commissions d’attributions d’organismes démocratiques d’Etat. En effet, ces plateformes défendent une vision idéologique de la société, prétendument progressiste, prônant l’« éveil » des consciences sur les discriminations subies par les minorités raciales, sexuelles ou de genre. Au nom de cette idéologie toutes les œuvres produites doivent faire attention à ne froisser aucune minorité et à défendre la bienveillance et la discrimination positive. Cela touche forcément la liberté de créer, mettant en place une sorte d’autocensure des cinéastes voulant obtenir ce financement devenu primordial.

Non content de s’attaquer à la liberté de créer les œuvres du présent, ce mouvement manie également « l’effacement » des œuvres culturelles ne se conformant pas à cette idéologie. Un des exemples les plus médiatisés ces dernières années reste celui du film « Autant en emporte le vent » attaqué en raison de ses « préjugés racistes » conduisant à des avertissements la plateforme de streaming HBO, et tant pis si le film a obtenu dix Oscars dont un pour l’actrice Hattie McDaniel première afro-américaine récompensée en 1940… Pas plus tard que cette semaine, c’est le film « The French Connection » qui subit non plus seulement un avertissement mais une réelle censure : lauréat de l’Oscar du meilleur film en 1972, il a été coupé sans aucune explication sur des plateformes du groupe Disney, d’une scène dans laquelle le personnage de policier bourru blanc utilise le mot « nègre », et tant pis si le film et cette scène en particulier étaient justement considérés comme le témoignage nécessaire du racisme à une certaine époque…

Cette nouvelle censure puritaine des géants américains du numérique est-elle inévitable par leur mainmise du financement du cinéma et de l’audiovisuel ?

Le spécialiste de droit du cinéma, Marc Le Roy, se veut rassurant sur le nouveau contexte économique : « Comme dans toute révolution, il y a des gagnants et des perdants. Les gagnants sont souvent ceux qui ne refusent pas le progrès et cherchent au contraire à y participer ».

La contestation stérile d’une domination économique établie doit ainsi faire place à une intégration des acteurs numériques dans le système d’aides financières au cinéma français, comme c’est le cas par un décret de 2021 qui doit apporter un investissement de plusieurs centaines de millions d’euros par an…

L’astuce du modèle français a toujours été d’alimenter un mécanisme d’« autofinancement » de la profession qui en taxant les entrées en salle (même les films américains) fait profiter la production nationale des résultats de films étrangers sur le territoire national. Le modèle peut et doit donc s’adapter aux nouveaux modes de consommation des films, notamment par la participation financière des plateformes numériques.

La France a donc encore une fois la solution en matière de défense de la diversité culturelle face au danger que courent les peuples dans le monde de se voir imposer un nouvel « imaginaire unique », encore faut-il éviter les caricatures et polémiques inutiles au sujet de notre modèle de financement public du cinéma.

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