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Maîtrise du territoire et autorité de l'Etat : la descente aux enfers de la France.
Maîtrise du territoire et autorité de l'Etat : la descente aux enfers de la France.
©Reuters

Régal-rien

Pour le criminologue Xavier Raufer, "face aux malfaiteurs, l'autorité de l'Etat s'élime chaque jour un peu plus", cette dernière risquant même de perdre la maîtrise de territoires entiers de la France métropolitaine. Premier épisode d'une série sur la sécurité en France.

Bruno Beschizza

Bruno Beschizza

Bruno Beschizza est conseiller régional d'Île-de-France, élu en mars 2010 en Seine-Saint-Denis et Secrétaire National de l'UMP à l'emploi des forces de sécurité.

Avant 2010, il était commandant fonctionnel de Police, secrétaire général du syndicat Synergie-Officiers.

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Christophe  Naudin

Christophe Naudin

Christophe Naudin est criminologue, docteur de la Sorbonne, chercheur enseignant pour l’Université Paris II Panthéon-Assas. Spécialisé dans la lutte contre la criminalité identitaire et le terrorisme aérien, il est également formateur pour la police nationale et la gendarmerie nationale. Il a exercé pendant 20 ans dans de nombreux pays sur les 5 continents, dans le cadre de la coopération technique policière et de défense.

 
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Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Un instrument sécuritaire français clairement désaccordé

Xavier Raufer : De commissariat en gendarmerie, de couloir de palais de justice en vestiaire de gardiens de prison, ce fut d'abord un sourd murmure. Mais depuis cet été, la rumeur enfle et devient le lourd grondement d'états-majors et de grandes directions, comme celle de la Sécurité publique, dont les 66 000 fonctionnaires sont en première ligne dans les rues et les quartiers.

>>> Lire aussi - Hommes (et femmes) au bord de la crise de nerfs : pourquoi les policiers et les militaires français n'en peuvent plus

>>> Lire aussi l'épisode 2 - La France face à la perte de la maîtrise de son territoire : la justice en perdition

>>> Lire aussi l'épisode 3 - La France face à la perte de la maîtrise de son territoire - l'explosion de "braquages" de proximité

>>> Lire aussi l'épisode 4 :  La France face à la perte de la maîtrise de son territoire : ces victimes oubliées de la vague criminelle en cours

Ce qui émane du continuum français de la sécurité (police-justice-pénitentiaire) et dont le gouvernement perçoit encore mal la gravité, c'est ceci : face aux malfaiteurs, émeutiers et trafiquants, l'autorité de l'Etat s'élime chaque jour un peu plus ; l'Etat risquant même d'y perdre la maîtrise de territoires entiers de la France métropolitaine.

Depuis l'été en effet, les clignotants s'affolent :

  • Vers le 14 juillet, la guérilla urbaine sévit autour de Paris et Lyon. A la Courneuve, "une médiathèque, l'école de la deuxième chance et un commerce sont incendiés" ; A Neuilly-Plaisance, le local de la police municipale est bombardé de cocktails-Molotov "par une centaine d'individus". Ailleurs en Ile-de-France ou dans le Rhône, policiers et pompiers sont attirés dans des embuscades et ciblés par les tirs tendus de mortiers d'artifice.
  • Au même moment, deux bombes explosent dans un site "Seveso" (activité industrielle dangereuse) de Berre l'Etang ; deux cuves s'embrasent, l'une pleine d'essence, l'autre de naphtaline. L'épaisse fumée noire se voit à 40 km.
  • Peu auparavant, 180 détonateurs, dix pains de plastic et 40 grenades sont volés sur un site militaire de Miramas : un clair acte de guerre - là encore, silence-radio.

En première ligne face à tout cela, des policiers et gendarmes harcelés et épuisés.

Harcelés

En 2014, 7 603 de ces fonctionnaires et militaires ont été blessés en opération, 20 par jour, +46% depuis 2008. En 2014, le nombre de gendarmes blessés par arme est à +28%, la plus forte poussée en dix ans. A Paris, les "atteintes aux porteurs de l'autorité" sont à +8%, de juillet 2014 à juin 2015.

"Porteurs de l'autorité" ? Désormais, c'est une blague. Policiers et gendarmes constatent que les voyous veulent "tuer du flic", fonçant sur eux en voiture ou les ciblant avec des armes de guerre aujourd'hui banalisées. Pour les forces de l'ordre, "casser" un point de trafic de drogue expose maintenant à des représailles, type attaque de commissariat. Rien qu'en août dernier :

  • Prévenus du braquage d'un supermarché au nord de Marseille, des policiers essuient le feu de bandits en fuite, leur véhicule étant atteint de plusieurs balles,
  • A Pantin, un policier surprend deux cambrioleurs dans le site du Service central automobile de son ministère et reçoit une balle dans le ventre. Cette "tentative d'homicide" pousse un syndicat policier à dénoncer la "multiplication des actes graves visant les policiers".
  • Aux Tuileries, des policiers contrôlant en plein jour des vendeurs de babioles à la sauvette sont roués de coups par ces clandestins qui ensuite, disparaissent.

Epuisés

Tout ceci, en pleine mobilisation anti-terroriste. "Charlie", hyper-Casher, tentative d'attaque d'une église de Villejuif, décapitation de Chassieu dans le Rhône, attaque d'un Thalys Bruxelles-Paris... Ces chocs secouent depuis janvier des policiers ou gendarmes toujours plus épuisés - quoique gavés de fictifs "jours de congés" ou "heures supplémentaires".

Résultat : naguère, le professionnalisme de l'appareil sécuritaire français était admiré partout en Europe ; or clairement, l'instrument est désormais désaccordé.

Pourquoi ?

  • Par la dislocation d'une justice titubant entre bourdes, bévues et bavures à la base et fumées idéologique au sommet.

Comment l'établit-on ?

  • Par l'explosion de "braquages" de proximité, les commerces - voire les particuliers, des enlèvements à domicile, etc.
  • Par l'enracinement de supermarchés de la drogue dans les quartiers hors-contrôle, où les fameuses "zones de sécurité prioritaires" n'ont pas d'effet.
  • Par le pillage d'une "France périphérique", où vit quand même 58% de la population de la métropole,

Nous aborderons tout à tour ces quatre points dans les prochains épisodes sur Atlantico.

Xavier Raufer 

Atlantico : Représentant des forces de l'ordre, criminologue, partagez-vous le constat effectué par Xavier Raufer ?

Bruno Beschizza : Xavier Raufer pointe malheureusement une réalité ressentie par nos concitoyens. Les policiers peuvent faire un formidable travail sur le terrain, mais le problème c'est l'autre côté de la chaîne pénale avec la justice. Aujourd'hui, on a l'impression que les voyous ont plus de droits que les victimes. La situation s'est aggravée avec la nomination de Christiane Taubira en tant que Garde des sceaux. C'est un triptyque qui est mis en place comme objectif politique avec le laxisme judiciaire, l'impunité institutionnelle et la culture de l'excuse.  Cela se passe donc en deux temps. D'abord une inefficacité dans l'application de la loi pénale et ensuite la tentative de mise en place d'un nouvel ordre dans certains territoires qui n'est pas l'ordre républicain. Les normes pénales sont alors remplacées par les normes des voyous. Je partage donc l'analyse même si je la nuancerai sur la question des émeutiers. Souvenez-vous en 2005, toutes les banlieues ne se sont pas embrasées. Beaucoup ont alors mis en exergue un pseudo vivre-ensemble, mais c'est que Marseille était déjà passé dans l'après, et on le voit aujourd'hui avec les multiples règlements de compte. Les trafiquants sont des businessman. Ils ne cherchent donc pas forcément "le bordel". Ils cherchent au contraire le calme pour leurs affaires. Le grand non-dit de 2005, c'est que lorsqu'une banlieue ne s'est pas embrasée ce n'est pas parce que l'ordre républicain régnait et était respecté, mais plutôt parce qu'il était déjà remplacé par un autre ordre.

Christophe Naudin : Xavier Raufer a prouvé depuis des années qu’il était un criminologue visionnaire. Plus que jamais, la France s’enferme dans une logique d’aveuglement bercée par les illusions d’une gouvernance dépassée et par l’idéologie d’une presse bien-pensante. Non, je ne suis pas énervé ; je suis dépité… Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, surtout quand elles sont politiquement incorrectes. La seule police qui fonctionne désormais, c’est celle de la pensée ! Qui l’aurait cru après 1968 ?

En France nous avons 150 points chauds (450.000 personnes concernées) qui mériteraient une surveillance permanente. Surprise ! Ce ne sont que des cités, des "quartiers", qui ont été entièrement territorialisées par des groupes criminels. Djihadisme, prosélytisme, émigration clandestine, trafics de stupéfiants, de voiture, de femmes, s’y abritent hors de tout contrôle régalien. Le droit républicain n’y a plus sa place. C’est une autre forme de droit qui y règne. Par peur de l’amalgame, le mot à la mode, l’Etat préfère fermer les yeux et repousser le problème. La démocratie perd du terrain. Est-ce raisonnable ? Non. C’est une bombe à retardement.

Comment cela se traduit sur le terrain, comment l'observez-vous ?

Bruno Beschizza : C'est simple. Rien qu'en Seine-Saint-Denis, il ne se passe pas une semaine sans qu'une même histoire se répète. Un voyou est arrêté par la police qui fait son travail et est ensuite relâché par le juge. Il retourne du coup, libre, dans son quartier et la police est humiliée. Le signal envoyé c'est celui d'une justice à deux vitesses et nos compatriotes le vivent très mal. Ne payez pas vos impôts, vous verrez que très vite la sanction tombe. Mais volez une voiture, vous mettrez des mois à être jugé et finalement vous n'écoperez que de sursis avec mise à l'épreuve.

Christophe Naudin : Il existe de multiples signes. Je n’en choisirai que deux : moral des troupes et budget régalien. L’autorité de l’Etat s’émousse progressivement. Le constat le plus flagrant : les forces de l’ordre ne croient plus en leur mission du fait des instructions contradictoires qui leur sont donnés (interdiction d’agir dans certaines cités, tolérances envers les migrants, minimiser le nombre de plaintes afin de masquer la réalité criminelle, ne plus traiter les vols en deçà de 600 euros, fini les escroqueries à la carte bancaire c’est désormais les problèmes des banques, et j’en passe…).

A force d’être injustement mal considérés par des associations qui sont persuadées de représenter le pauvre, la veuve et l’orphelin étranger, à force de se voir imposer à nos policiers des règles de déontologie – comme s’ils étaient les seuls à en manquer – le moral est dans les chaussettes.

Et puis, il y a le nerf de la guerre. Policiers, Gendarmes, douaniers sont majoritairement écœurés de mendier sur le paillasson de la république les 3 sous légitimes et indispensables dont ils ont besoin pour travailler normalement voire dignement. Au lieu de cela, alors qu’ils ont à peine la possibilité de faire le plein d’essence de leur véhicule, on envisage de supprimer leur carte de circulation pour faire 32 millions d’économies sur le budget de l’Etat. De qui se moque-t-on ? Plus pauvres encore, les surveillants de l’administration pénitentiaire. Déjà habitués à bricoler de bric et de broc pour faire fonctionner les 160 établissements pénitentiaires de France dans des conditions de travail douteuses, la grande majorité des crédits disponibles est attribuée à l’amélioration des conditions de détention de la population pénale. On marche sur la tête !

Quelle est la considération des citoyens à l'égard du travail effectué par les agents judiciaires, de police, et du milieu pénitencier ?

Bruno Beschizza : Je pense qu'il y a de l'incompréhension. C'est un système pénal qui devient fou avec deux catégories de personnes. Ceux qui n'ont jamais affaire à la justice et sont plus sévèrement sanctionné alors que ceux qui obtiennent tous les jours une visite guidée du commissariat de leur quartier eux ne craignent plus rien. Bien sûr, la première catégorie vit très mal ce deux poids deux mesures qui bien sûr, s'il n'est pas tout le temps vrai en réalité, l'est quelque fois et conduit à une police qui ne se sent plus soutenue par nos compatriotes.

Christophe Naudin : Les citoyens ignorent tout du travail des forces de l’ordre et de la réalité auxquels sont confrontés nos agents. Sans compter ceux qui ne veulent pas savoir, persuadés qu’ils savent déjà tout.

Désormais, si les forces de l’ordre essayent de faire respecter la loi, c’est presque une bavure. Reste la police de la route. Au moins, c’est rentable... A force d’analyses télé politico-émotionnelles, le grand public finit par adhérer à celui qui pleure le plus. C’est le jeu. A nous de changer la tendance, si c’est encore possible.

A force de bafouer les symboles français, d’être complaisant vis-à-vis de ceux qui défient la République, à force de nourrir les communautarismes plutôt que de célébrer l’unité française, nous avons fini par affaiblir notre pays. Le point de non-retour est dépassé.

Prochain épisode sur Atlantico : Comment l'appareil sécuritaire français est désaccordé par la dislocation d'une justice titubant entre bourdes, bévues et bavures à la base et fumées idéologique au sommet.

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