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Mais qui sont réellement
les rebelles syriens ?
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L'Orient, ce n’est jamais noir ou blanc

Les opposants à Bachar el-Assad occupent désormais plusieurs postes-frontière avec la Turquie. Des jeunes, qui souvent accomplissaient leur service militaire... Mais qui sont ces rebelles qui veulent renverser le régime syrien ?

Wassim Nasr

Wassim Nasr

Wassim Nasr est journaliste et veilleur analyste. Il est diplômé à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) et du Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques (CEDS).

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Un combattant d’Al-Qaïda au passage frontalier de Bab el-Hawa le 19 juillet, où l’on voit clairement le drapeau de l’organisation terroriste en arrière plan.

Sans tomber dans la propagande étatique du régime baasiste, force est de constater que la Syrie est désormais une terre de Djihad ! Il est vrai qu’au début des événements, la contestation était pacifique, et que seul le régime évoquait la question du « terrorisme » pour justifier sa répression sanglante. Mais à l’heure actuelle, le conflit a pris une tout autre tournure, l’armée régulière et les Chabihas n’ont plus le monopole de la violence. Ceux qui se battent contre les troupes d’Assad sont certes les militaires et les appelés qui ont fait défection, mais aussi des djihadistes rompus au combat. Une réalité sur laquelle s’accordent les chancelleries occidentales, Moscou et tous les acteurs du dossier syrien.

"Celui qui cuisine le poison finit toujours par le goûter". Ce dicton levantin s’applique parfaitement au régime baasiste, qui n’a cessé de jouer le pompier-pyromane dans la région. Bachar el-Assad subit le revers de cette politique qu’il a suivie - comme son père Hafez el-Assad  - dans les rapports avec les pays frontaliers de la Syrie. (1)

Comment les rebelles s’arment-ils ?

Ce rappel est indispensable pour comprendre que ce sont les mêmes réseaux de trafics d’armement et de combattants vers le Liban et vers l’Irak qui sont aujourd’hui utilisés dans le sens inverse. Ce sont les mêmes clans et trafiquants qui passent les armes, les munitions, les moyens de communication et les hommes. Les motivations sont souvent matérielles, loin des revendications politiques. 

Ces réseaux, bien établis depuis des décennies, sont maintenant utilisés par des pays comme le Qatar, l’Arabie Saoudite et parfois même avec la complicité des douanes syriennes moyennant une rétribution. Une fois la frontière passée, il n’y aucun moyen de pister les armes. La CIA et d’autres services essayent tant bien que mal de filtrer l’aide pour que certaines catégories d’armes ne tombent pas entre les mains de groupes affiliés à Al-Qaïda. D’où la présence d’agents à la frontière turque, depuis laquelle l’acheminement du matériel est le mieux contrôlé.

L’Armée Syrienne Libre (ASL)

L’ASL est constituée d’une majorité de jeunes qui accomplissaient leur service militaire dans les différents corps de l’armée. Ces appelés ont décidé de quitter leurs lieux d’affectation pour rejoindre la rébellion ou leurs villes et villages à travers le pays. En premier lieu, pour protéger les manifestants des attaques des Chabihas ou juste pour être auprès de leur famille, puis pour harceler l’armée d’Assad, avant de passer aux attaques frontales qui se sont multipliées avec le début de l’été.

Ces hommes inexpérimentés et mal équipés constituent cette armée qui n’en est pas une en vérité. En l’absence de moyens de communication et de structures de commandement pour mener des opérations coordonnées, l’ASL est plus une revendication et une allégeance. Dans les meilleurs des cas, ces soldats ont fuit avec leur équipement personnel (kalachnikovs ou au mieux avec des lance-roquettes RPG-7), très peu de munitions et sans moyens de transport. Quelques officiers ont fui le pays ou rejoint la rébellion, mais aucune défection de bataillon ou de brigade avec hommes et équipements n’a été signalée (mis à part la défection le 10 juin dernier d’une base de défense anti-aérienne de Sam-2 à Ghanto dans la région de Homs). (2)

Qui sont les groupes djihadistes qui se battent en Syrie ?

La propagande baasiste - pointant du doigt les monarchies du Golfe et évoquant le spectre Al-Qaïda - s’est matérialisée. Depuis novembre dernier, 6 000 combattants Al-Qaïda seraient entrés en territoire syrien. Plusieurs figures de l’organisation Jound el-Cham ont quitté les camps palestiniens du Liban pour se joindre au combat en Syrie. (3) Le nouveau chef Al-Qaïda à Billad el-Cham est le saoudien Majed Mouhamed el-Majed. Ce dernier a quitté le camp palestinien d’Aïn el-Heloué au Sud Liban il y a un peu plus d’un mois. El-Majed est à la tête des Brigades Abdallah Azzam, il figure sur la fameuse « Liste des 85 » terroristes recherchés par les renseignements saoudiens.

Ces groupes sont très actifs dans la zone qui s’étend entre Idlib et la frontière turque, où des camps d'entraînement accueillent des combattants de différentes nationalités. Des  combattants en provenance d’Irak, des pays du Golfe et de tous les théâtres de conflit du Proche/Moyen-Orient affluent en Syrie « pour combattre les infidèles ». On évoque même la présence de combattants africains, d’AQMI et Talibans. Ce sont ces combattants, drapeau Al-Qaïda à la main, qui ont investi le poste de frontière de Bab el-Hawa avant de déclarer la région  « émirat islamique »

Depuis un mois, les combattants libyens du Lioua el-Ouma sont très actifs dans cette même région d’Idlib. Cette brigade est formée de combattants syriens et libyens, avec à leur tête Mehdi el-Harati, vice-président du Conseil Militaire de Tripoli et Abdel-Hakim el-Machari, en charge de la communication de ce même conseil. Ce groupe a été formé en territoire syrien *. Ils ont conduit plusieurs opérations réussies, dont celle de Wadi el-Daïf à Maraat el-Nouman. Les Libyens assurent l’entraînement et partagent avec les Syriens leur expérience du combat. On note aussi la présence d’une équipe médicale libyenne, indispensable pour les rebelles privés des infrastructures de santé.

Ce sont ces différents groupes qui fournissent les meilleurs combattants et artificiers aguerris au combat. Les résultats sur le terrain sont probants, car ce n’est sûrement pas avec des lances roquettes RPG-7 qu’on pulvérise un char T-72. 

Le scénario du pire

Tous ces djihadistes sont unis par le combat contre les forces gouvernementales, mais cela n’empêche pas les querelles intestines. Le groupe le plus puissant sur le terrain était Jabhat el-Noussra, mais, suite à son affaiblissement, on voit les Brigades Abdallah Azzam gagner en influence. La différence entre les deux groupes réside dans le modus operandi de chacun. Alors que Jabhat el-Noussra revendique des attentats en zone urbaine qui touchent la population, les Brigades Abdallah Azzam refusent d’opérer de la sorte. Ces derniers adoptent l’appel d’El-Majed qui demande « de ne pas utiliser les attentats suicides et les voitures piégées en milieux urbains, pour que la révolution reste populaire », il demande aussi d’ « épargner les chrétiens et les druzes qui demeurent neutres dans le conflit ».

Une réelle guerre d’influence est en cours entre les deux formations pour avoir la main haute et représenter Al-Qaïda en Syrie. Sans oublier que des heurts avec l’ASL ont été signalés à la première apparition Al-Qaïda dans la région de Tel-Kalakh début 2012. Le Libanais Walid el-Boustani du groupe Jound el-Cham - accusé de racket, de kidnapping, etc. - et 34 de ses combattants ont été jugés et exécutés par l’ASL. Cela alors qu’au sein même de l’ASL, une lutte d’influence oppose les groupes financés par Doha à ceux financés par Ryad.

Un conflit confessionnel

Tous les acteurs de la scène syrienne s’accordent sur le danger imminent d’une confessionnalisation des affrontements. Même si on n’est pas encore dans un schéma d’affrontement sunnites-chiites, la violence des combats et l’aspect passionnel du conflit risquent de nous mener droit vers un massacre. Des appels au meurtre et à l’exclusion des Chiites et des Alaouites sont recensés tous les jours. Les vidéos d’exécutions sommaires et d’interrogatoires musclés nous rappellent les heures les plus sombres du conflit irakien et du conflit libanais avant lui. 

La Syrie est au début d’un tunnel qui s’annonce long et semé d’embûches. La fin de Bachar el-Assad et de son régime ne signifie en rien la fin de l’injustice. Beaucoup de sang a coulé et beaucoup de Syriens sont directement impliqués dans ce qui est devenu une guerre de survie pour les uns comme pour les autres. Les réfugiés qui affluent dans les pays frontaliers ne sont pas tous des sunnites fuyant le régime, mais parmi eux beaucoup de chiites et d’alaouites qui fuient les rebelles. Un climat d’insécurité et de suspicion s’est installé dans le pays. La chute du régime ne sera certainement pas suivie de l’instauration d’une démocratie rayonnante, mais plutôt d’une guerre entre les différentes factions sur le terrain. Il est inutile de rappeler qu’une guerre civile est un brasier incontrôlable. A Damas, les chrétiens d’Irak faisant le chemin inverse vers Bagdad et les chiites de Sit-Zeynab fuyant vers Beyrouth, nous démontrent bien que la peur a changé de camp et qu’en Orient, ce n’est jamais noir ou blanc !

* Le communiqué à 01 :58

(1) Le double jeu de Damas :

- Au Liban, tout le long de la guerre et durant la période de tutelle syrienne en attisant le conflit confessionnel 1970-à nos jours / 1976-2005 occupation directe.

- En  Jordanie, en essayant de destituer le roi Hussein et en appuyant l’Organisation de Libération de la Palestine (le fameux septembre noir 1970).

- Avec l’OLP, en l’aidant à s’installer au Liban pour après la combattre et obligé Yasser Arafat de quitter Tripoli en catastrophe en 1983, après un premier départ forcé par les Israéliens en 1982. La guerre des camps 1985-1988 avec Amal (formation chiite pro-syrienne).

- En Turquie, avec le soutien au Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) avant d’obliger Abdullah Öcalan chef du parti à quitter la Syrie en 1998 pour être arrêté par les Turcs un an plus trad. 

- En Irak, dans le soutien à la rébellion kurde et dans l’alliance avec l’Iran (durant la guerre Irak-Iran 1980-1988) et puis en participant à l’effort de  guerre de l’opération Tempête du Désert en 1991 ; avant de faciliter à partir de 2005 le passage des combattants djihadistes, tout en étant un pilier de la « guerre contre le terrorisme ».

(2) 10 jours avant l’affaire du F-4 Phantom turc abattu le 22 juin.

(3) Le régime syrien qui avait naguère appuyé cette organisation voit ses combattants se retourné contre lui.

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