Mais pourquoi la droite ne sait-elle plus rassembler l’électorat Fillon ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
François Fillon lors d'un débat organisé par BFMTV et CNews entre les onze candidats à l'élection présidentielle, le 4 avril 2017.
François Fillon lors d'un débat organisé par BFMTV et CNews entre les onze candidats à l'élection présidentielle, le 4 avril 2017.
©Lionel BONAVENTURE / POOL / AFP

Sondages

Quel que soit le candidat LR ou LR compatible testé dans les sondages, le score réalisé reste plusieurs points en dessous de celui enregistré par François Fillon en 2017 malgré une campagne calamiteuse. Le révélateur d’une ligne politique orpheline ?

Jérôme Besnard

Jérôme Besnard

Jérôme Besnard est journaliste, essayiste (La droite imaginaire, 2018) et chargé d’enseignements en droit constitutionnel à l’Université de Paris.

Voir la bio »

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

Voir la bio »

Atlantico : Quel que soit le candidat de la droite testé dans les sondages, le score reste toujours plusieurs points en dessous des 20% obtenus par François Fillon en 2017. Comment expliquer que l'électorat filloniste de l'époque ne soit plus au rendez-vous ? A-t-il migré vers le RN ?

Jérôme Besnard : D’abord, il faut noter que le score tout à fait honorable obtenu par François Fillon (comparable à ceux de Jacques Chirac aux premiers tours de l’élection présidentielle de 1995 ou 2002), devait beaucoup à la conjonction de sa stature politique d’ancien Premier ministre, à un programme très travaillé et au rassemblement, plutôt cohérent, des tendances conservatrices et libérales de la droite. Aux élections législatives de 2017, une bonne partie de cet électorat s’est réfugié dans l’abstention, favorisant l’élection d’une majorité parlementaire inexpérimentée et protéiforme aux mains d’Emmanuel Macron. L’élection présidentielle de 2017 a été un tournant tragique pour la droite qui se retrouvait autour du parti unique LR. L’abandon de François Fillon par une partie des élus de droite a contribué à casser la corde de l’arc de cette famille politique, désorganisant le parti LR. Orpheline, une fraction de son l’aile droite, illustrée par des personnalités comme Jean-Paul Garraud ou Thierry Mariani se retrouve aujourd’hui dans une alliance cohérente avec le RN autour d’un bonapartisme centré sur la demande d’autorité. L’aile libérale du parti, ainsi qu’une partie du centre ont pu trouver des postes ministériels ou une cohérence intellectuelle dans l’offre libérale et progressiste du macronisme. Les LR, sauvés temporairement par les succès électoraux locaux, se limitent donc aujourd’hui au noyau le plus légitimiste des fillonistes et aux sarkozystes qui ont toujours la main sur l’appareil.

À Lire Aussi

2021 : la droite LR saura-t-elle changer ?

Christophe Boutin : Effectivement, le sondage IFOP pour Le journal du dimanche et Sud-Radio que vous évoquez donne, au premier tour de l'élection présidentielle de 2022, les scores suivants pour quatre des différents candidats potentiels de la droite : 14 % pour Xavier Bertrand, 11% pour Valérie Pécresse, 7% pour  Laurent Wauquiez  et 6% enfin pour Bruno Retailleau.

Bien sûr, la première réponse que l'on pourrait apporter ici serait de dire de se méfier d'une comparaison entre, d'une part, ce qui n'est jamais qu'un sondage réalisé à un an d'une élection, et, d'autre part, les résultats d'une élection. C'est d'autant plus le cas lorsque le dit sondage ne retient les scores que des électeurs qui font un choix, alors qu’à cause de la division actuelle de la droite et de l'absence d'émergence d'un candidat clairement identifié, il est possible qu'une partie des électeurs potentiels n'aient pas encore véritablement fait leur choix.

Pour autant, même avec ces réserves de principe, il est bien certain, en regardant dans le détail les chiffres du sondage, que l'électorat Fillon de 2017 est actuellement très partagé, et nullement dans le sens que l’on attendrait. Quel que soient en effet les quatre candidats de droite évoqués, un tiers des anciens électeurs de Fillon choisirait en 2022… Emmanuel Macron (29 % pour l'hypothèse Bertrand, 34 % pour les hypothèses Pécresse et Retailleau, et jusqu’à 35 % dans l'hypothèse Wauquiez). Si l’on prend maintenant les potentiels ex-fillonistes ralliés à Marine Le Pen, ils ne seraient que 9 % dans l'hypothèse Bertrand, 11% dans l'hypothèse Pécresse et 16% dans les hypothèses Retailleau et Wauquiez. Et y agréger, pour avoir une vue d’ensemble de la « dérive à droite », les électeurs potentiels de Nicolas Dupont-Aignan (entre 4 et 6%) ou Jean Lassalle (autour de 3 %), est partiellement compensé par les ex-fillonistes qui voteraient Lagarde (3%) ou Hidalgo (3%).

À Lire Aussi

Petite radioscopie des électeurs (fidèles ou potentiels) de droite à l'attention des candidats à la candidature de 2022

Si l’effacement constaté des Républicains est lié à une migration de leur électorat plus qu’à son retrait dans le silence et l’abstention, on constate donc que cette migration est deux fois plus importante vers leur gauche que vers leur droite. Bien sur, avec 9%, les anciens fillonistes sont le plus grand apport en voix pour Marine Le Pen entre 2017 et 2022, mais ce sont aussi 5% des anciens électeurs de Jean-Luc Mélenchon qui seraient maintenant prêts à voter pour elle, et le jeu des vases communicants n’est donc pas celui que l’on croit.

Il faut donc évoquer une autre explication touchant à la politique suivie par Emmanuel Macron et à son positionnement. En 2017, l’ancien ministre de François Hollande, dont le livre-programme est Révolution, apparaît aux électeurs de droite comme un homme de gauche. Le vote Macron est d’ailleurs géographiquement celui du vote Hollande de 2012, siphonnant les voix d’un PS en ruines, et peu d’anciens électeurs de Nicolas Sarkozy se portent sur lui, préférant pour certains revenir au FN d’où le vibrionnant ministre de l’Intérieur les avait attirés en 2012.

Cinq ans plus tard, droite centriste et bourgeoisie aisée, qui sont souvent les mêmes, la droite populaire étant plus volontiers gaulliste, bref, pour reprendre la célèbre distinction de René Rémond, la droite orléaniste, a les yeux de Chimène pour Emmanuel Macron. L’homme a fait les réformes que la droite n’osait faire quand elle était au  pouvoir, les imposant au besoin par la force contre cette rue populacière que les orléanistes abhorrent, et s’est pour cela entouré d’ex-jeunes pousses sarkoziennes et de figures de droite. « Qu’il est joli garçon, l’assassin de papa » se disent en 2021 tout émus nos ex-fillonistes, qui trouvent beaucoup moins d’attraits aux figures qu’on leur propose : ils méprisent l’agent d’assurance comme le Vendéen, et considèrent que les deux autres ont atteint leur niveau d’incompétence. Ce n’est pas avec ceux-là pensent-ils que l’on va rebâtir la France après cette crise sanitaire qui a malencontreusement interrompu le train de réformes lancé par le républicain en marche, mais bien en permettant à ce dernier de les continuer.

À Lire Aussi

Ci-gisent Les Républicains : ce tragique constat pour la droite qui se cache dans les détails des sondages pour 2022

Ces faibles résultats dans les sondages montrent-t-il que la ligne politique libérale-conservatrice défendue par Fillon jadis est aujourd'hui orpheline ? La droite aurait-elle davantage intérêt à miser sur celle-ci ?

Jérôme Besnard : La faiblesse inhérente au conservatisme libéral, ce grand impensé de notre vie politique où il a été importé d’Angleterre par l’écrivain Chateaubriand sous la Restauration, c’est que le libéralisme a toujours tendance à reprendre le dessus. Depuis 1871, le point d’équilibre déterminé par les élus locaux va toujours à la modération, favorise le centre et la neutralisation des grands débats. Les élus de droite sont, de ce fait, toujours plus centristes que leur électorat qui lui s’est surtout reconnu au XXe siècle dans des figures conservatrices comme le colonel de La Roque puis le général de Gaulle. La droite, si elle veut revenir au pouvoir, est dans l’obligation de retrouver un équilibre renouvelé entre la demande d’autorité, qui se tourne vers le vote RN et les attentes entrepreneuriales d’un pays qui n’a toujours pas digéré une désindustrialisation galopante depuis 40 ans. De surcroît, son discours à l’international ne peut se limiter à accompagner la dérive technocratique de l’Union européenne.

Christophe Boutin : Ce que montre cette évolution, c’est la difficulté à mettre en place une ligne libérale-conservatrice. C'est d’ailleurs un débat récurrent que de savoir s’il y a ou non compatibilité entre les deux termes et, derrière, entre les deux visions du monde qui les sous-tendent. Les conservateurs reprochent aux libéraux d’être des progressistes déguisés, qui centrent toute leur politique sur la défense des droits des individus contre la société ; les libéraux voient eux dans les conservateurs des réactionnaires privilégiant les pesanteurs sociales (famille, nation) au détriment de l’épanouissement individuel. Et il est vrai que si les conservateurs sont historiquement « de droite », une part au moins des libéraux ne le sont devenus qu’après avoir été chassés de la gauche par plus à gauche qu’eux, dans le fameux « sinistrisme » ou « mouvement sinistrogyre » décrit en 1932 par Albert Thibaudet dans Les idées politiques de la France.

À Lire Aussi

Si Xavier Bertrand est un produit politique, quelle est la droite la plus en demande ?

Or les Républicains sont nés d’une alliance des deux : pour faire simple, et trop schématique, on me le pardonnera j’espère, ils sont nés de l’alliance entre des conservateurs réunis derrière le gaullisme au pouvoir (RPR) et les centristes giscardiens de l’UDF. Une alliance à vocation électorale, destinée à prendre le pouvoir et, si possible, à le garder, mais qui n’a jamais réussi à établir véritablement un programme, une doctrine libérale-conservatrice. Parce que la chose serait impossible en fonction de leurs origines diverses ? Sans doute pas, tant il est évident qu'il y a un juste milieu entre les libertés individuelles et les nécessaires contraintes sociales.  Curieusement d’ailleurs certaines des approches de Nicolas Sarkozy allaient dans ce sens, ce qui lui a permis d’attirer en 2012, au second tour mais même au premier, des conservateurs déçus du chiraquisme et partis au Front national.

S’il n’y a pas eu de doctrine ou de programme, c’est parce qu’il ne s’est jamais agi que d’une alliance électoraliste d'intérêts destinée à permettre de conserver des places. Cela ne posait en fait pas de problèmes tant que cette alliance s'affrontait à ce qui apparaissait comme étant « la gauche », quand bien même la gauche mitterrandienne au pouvoir allait-elle très rapidement abandonner un certain nombre de ses préoccupations sociales pour se couler dans le moule de l'européisme d'abord, de la mondialisation ensuite, camouflant ce revirement, on le sait, par diverses réformes sociétales. Cela restait « la gauche », et « la droite » pouvait sembler unie – sembler, car François Fillon était toujours dans un équilibre particulièrement instable entre d’une part la partie conservatrice de son parti, avec notamment Sens commun et une large part des militants, et, d’autre part ceux, notamment des élus cette fois, qui, comme Valérie Pécresse ou d'autres, souhaitaient au contraire que les positions les plus libérales soit clairement affichées. Mais face à un Emmanuel Macron dan sa position de 2021 l’attelage bringuebalant ne pouvait qu’éclater.

Bruno Retailleau semble être le plus filloniste des potentiels candidats de la droite. A-t-il une carte à jouer ?

Jérôme Besnard : Bruno Retailleau est le candidat le plus proche de l’ADN de François Fillon, alliant comme lui un conservatisme sociétal et un libéralisme économique tempéré. Il a donc évidemment une carte à jouer au sein de son camp. Il a dû abandonner sa fonction de président de la région Pays de la Loire en 2017 à cause la loi sur le cumul des mandats. Au Sénat, il occupe un poste stratégique, celui de président du groupe majoritaire dans une institution elle-même située dans l’opposition au gouvernement. Après 1981, le poste avait été occupé par Charles Pasqua qui en avait fait une pièce maîtresse dans la reconquête du pouvoir par la droite en 1986. Son principal handicap est une notoriété plus faible que certains de ses concurrents puisqu’il n’a pas été ministre.

Christophe Boutin : Pour l'instant, les sondages, qui en font, des quatre candidats potentiels, celui qui recueillerait le moins de suffrages, peuvent laisser planer le doute. Il est vrai que le sénateur de Vendée est moins connu que les autres, et cela ne peut que jouer dans ce sondage effectué à un an des élections. Il faudrait pour changer les choses, d’abord, que Bruno Retailleau soit le candidat adoubé par les Républicains. Dans son cas, et il l’a bien compris, les primaires seraient le meilleur type de désignation possible : outre que cela lui confèrerait une certaine légitimité, ce mode de désignation, comme cela a été le cas pour François Fillon en 2016, laisse la part belle à des militants volontiers plus radicaux que les élus du parti. Ce n’est qu’une fois ainsi désigné qu’il pourrait espérer un « bruit médiatique » qui lui permette de décoller dans les sondages, mais encore faudrait-il savoir alors s’il y a ou non des candidatures dissidentes à droite – et l’on pense par exemple à celle d’un Xavier Bertrand qui sortirait dopé par une victoire aux élections régionales.

Comment se fait-il que malgré les mauvais sondages qui s'accumulent, la droite ne change pas de candidat, ni de ligne ?

Jérôme Besnard : La droite parlementaire est immobilisée par deux défaites majeures, celle de 2012 et celle de 2017. Il plane toujours sur elle la victoire non transformée de Nicolas Sarkozy en 2007. Celle-ci n’a été possible que par la destruction préalable des lignes cohérentes qui structuraient le RPR et l’UDF : gaullisme souverainiste (Philippe Séguin et Charles Pasqua), ordo-libéralisme (Charles Millon), démocratie-chrétienne des héritiers de Jean Lecanuet. Nicolas Sarkozy avait à sa disposition une machine politique sans âme, alliant la modération des notables centristes à un fonctionnement interne autoritaire hérité du RPR. Cette situation était trop déséquilibrée pour fonctionner longtemps. Pour s’opposer aux forces cohérentes que représentent Emmanuel Macron et Marine Le Pen, la droite ne sait opposer qu’une façade gestionnaire qui a pris le dessus depuis la mort du général de Gaulle sur le nationalisme tempéré qui l’habitait depuis la fin du XIXe siècle. C’est d’ailleurs l’analyse des contestataires internes au sein du parti LR qui ont voté pour le député Julien Aubert face à Christian Jacob. Mais cette analyse, qui a le mérite de la cohérence, peine à s’imposer tant cette famille politique est déboussolée. Pour espérer à une disparition partisane semblable à celle du CNIP en 1962, la droite LR devrait revenir à des  fondamentaux : proposer un autre modèle européen, défendre les libertés publiques, retrouver une ambition économique et stratégique nationale… Est-elle encore capable de cette réforme intellectuelle et morale ?

Christophe Boutin : De candidat, elle en aurait plutôt trop que pas assez, mais le temps de la clarification n’est pas encore venu. Quant à la ligne, nous retrouvons ici la question d’une ligne libérale conservatrice qui pourrait être adaptée aux inquiétudes des Français. L’une des solutions pour la bâtir serait sans doute d'opposer à la dérive à la fois individualiste et communautarisme que connaît notre pays - car les deux vont parfaitement ensemble -, à cette logique de dilution dans la globalisation plus ou moins européiste ou mondialiste selon les cas, qui va du centre-droit à l'extrême gauche, à la déstructuration des classes moyennes comme au déclassement général, une logique radicalement opposée. Une ligne qui rétablirait les valeurs de travail - en le payant à sa juste valeur -, d’autorité, quand elle est légitime, et de solidarité entre membres d’une même Cité ; une ligne dès lors nécessairement souverainiste, nationaliste, et par là même, et c'est sans doute là que le bât blesse, identitaire. Or ce thème de l'identité, diabolisé par le multiculturalisme ambiant, empêche la droite politique, tétanisée par la pression du politiquement correct médiatique, de faire de tels choix.

D’où l’impossibilité de changer de ligne autrement que de manière marginale. D’où aussi, traduisant ce manque, ce vide, la montée en puissance de ceux qui osent faire leur le choix d’une telle ligne, venus d’ailleurs de la droite ou de la gauche, qu’il s’agisse par exemple d’Éric Zemmour sur CNews ou de Michel Onfray dans Front populaire, et qui, par leur liberté de ton, réalisent ces taux d’audience dont rêveraient nos politiques. Et répondre à cela que que c’est sans doute plus facile pour ceux qui ne sont pas aux affaires, même si ce n’est pas totalement injustifié, est oublier aussi que rien n’interdit à ces derniers de s’appuyer directement sur le peuple souverain pour affirmer leur légitimité… 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !