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Mais comment faisaient Giscard, Mitterrand ou Sarkozy pour garantir l’influence française en Europe… Petit manuel de stratégie politique à l’intention de François Hollande
©Reuters

Stratégie politique

A l'heure où la position française est affaiblie en Europe à la suite des élections européennes de dimanche, rappel des grands faits marquants pris par les anciens présidents français. Sur le fond... comme sur la forme.

Jean-Luc Mano

Jean-Luc Mano

Jean-Luc Mano est journaliste et conseiller en communication chez Only Conseil, dont il est le co-fondateur et le directeur associé.

Il anime un blog sur l'actualité des médias et a publié notamment Les Perles des politiques.

 

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Jean-Marc Daniel

Jean-Marc Daniel

Jean-Marc Daniel est professeur à l'ESCP-Europe, et responsable de l’enseignement de l'économie aux élèves-ingénieurs du Corps des mines. Il est également directeur de la revue Sociétal, la revue de l’Institut de l’entreprise, et auteur de plusieurs ouvrages sur l'économie, en particulier américaine.

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Atlantico : Quels ont été les principaux coups politiques des anciens présidents de la Ve République pour garantir et maintenir ? S'il fallait retenir une mesure symbolique ?

Jean Luc Mano : Des mesures de fond politique et d'images ont été prises. Il y a une constante : tous les présidents de la République ont massivement considéré que ce qui faisait la politique française et la force politique c'était d'affirmer l'axe franco-allemand. On peut lire essentiellement les mesures prises selon cette grille de lecture. Par exemple quand François Mitterrand et Helmut Kohl sont main dans la main à Verdun c'est une initiative franco-allemande et en même temps une volonté de construire l'Europe. Certains gouvernements ont été tentés de s'éloigner de l'axe franco-allemand par exemple Lionel Jospin qui a tenté d'avoir une alliance avec les Anglais pour rétablir l'équilibre face aux Allemands.

Le thème le plus emblématique c'est la PAC (politique agricole commune). Le président français a souvent tempété et a dit qu'il ne céderait pas, que l'intérêt des agriculteurs était sacré.

Je me souviens d'un sommet européen avec une crise sur la PAC en cohabitation. Jacques Chirac avait fait venir à Bruxelles toutes sirènes hurlantes le ministre de l'Agriculture François Guillaume. C'était une mise en scène.

L'affrontement avec la Grande- Bretagne a été une autre constante. La France a fait l'Europe avec des ennemis héréditaires historiques et il y a toujours ce rappel au combat et au rapport de force.

Valéry Giscard d'Estaing a fait des très gros efforts pour améliorer le fonctionnement de l'Europe autour de la question monétaire avec le Système monétaire européen (SME). Il est le précurseur de  l'idée de l'euro mais il doit subir les assauts des demandes de dévaluations. De François Mitterrand on retiendra le passage à l'euro et le courage d'aller à un référendum difficile. Ensuite, l'accord référendaire sur l'euro a été sauvé par Jacques Chirac.

Sous Jacques Chirac c'est plus compliqué. C'est le début de l'évidence du déclin de la France dans le monde et dans l'Europe. La France est incontournable mais elle compte moins, il y a moins d'actes symboliques. Lors de la guerre en Irak la France emporte la décision des européens mais pas totalement avec l'Angleterre. Il va toutefois initier la réforme institutionnelle signée ensuite par Lionel Jospin lors de la cohabitation et il ne faut pas non plus oublier qu'il a joué un rôle important lors de la guerre des Balkans en faisant un discours sur l'ex-Yougoslavie qui a été décisif et a emporté l'adhésion des européens.

De Nicolas Sarkozy on retiendra l'énergie et le leadership déployé au moment de la crise monétaire et bancaire en 2010. Il se comporte alors comme un chef de guerre et impose un leadership incontestable en lien avec l'Allemagne.

Jean-Marc Daniel : On pense évidemment à la politique de la chaise vide du général de Gaulle en 1965. Il en est sorti le compromis de Luxembourg et un renforcement du pouvoir des Etats. On peut néanmoins s’interroger sur les conséquences à long terme de ce coup de force qui a rompu la dynamique initiale du projet.

Je pense aussi au discours de Mitterrand en janvier 1983 au Bundestag sur les missiles soviétiques en Europe de l’Est et sur la nécessité d’une installation de Pershing américain. C’était un discours clair, une position ferme et un programme de solidarité européenne.

On peut également revenir sur la construction monétaire où la France a toujours été très allante que ce soit sur le SME ou sur l’euro, tout en fragilisant le dispositif par des politiques budgétaires qui n’étaient en conformité avec ce projet. 

Ont-ils profité de ces coups d'éclat sur la scène nationale ?

Jean-Luc Mano : Pas vraiment car l'Europe a toujours été un sujet très lointain pour les Français, un sujet sur lesquels les gouvernements français se faisaient engueuler par la  population avec une défiance qui montait. Il y a aussi l'idée que ça peut être réglé en catimini par les européens et tout le monde s'en porte mieux. L'Europe n'est pas un thème de faire valoir pour un politique français quand il est au pouvoir, c'est plutôt le cas pour les anti-européens et ça marche pas mal.

Jean-Marc Daniel : Je ne pense pas. David Lange, premier ministre néo-zélandais travailliste des années 80, disait que pour faire passer des réformes intérieures, il faut mener une politique étrangère « lyrique ». Le lyrisme français est plus mondial qu’européen. C’est Jacques Chirac sur l’Irak ou Hollande sur le Mali. 

Les questions économiques et diplomatiques sont-elles les deux principaux moyens d'influence de la France en Europe ? On sait que la France a une grande tradition diplomatique et un réseau particulièrement développé…

Jean-Luc Mano : Le problème de la France c'est que c'est d'un pays souffrant à un pays franchement malade.

La France ne peut plus s'imposer mais l'Europe ne peut pas développer sans une France forte. La faiblesse économique de la France est aujourd'hui plus forte et le déclin économique est  beaucoup plus visible que le déclin diplomatique où elle a encore des beaux restes.  Aujourd'hui il n'y pas de discours européen qui tienne s'il n'évoque pas la croissance et l'emploi.

Jean-Marc Daniel : La France a un passé prestigieux et une langue qui est identifiée comme une langue de culture. Mais si le monde entier connaît Jean Jacques Rousseau, Napoléon Ier ou Victor Hugo, plus aucun intellectuel ou homme politique français n’a de renommée mondiale. Ce qui est le plus important dans notre réseau diplomatique, ce sont à mon avis les lycées français  qui accueillent encore dans beaucoup de pays les enfants des élites locales. Mais une fois sortis de ces lycées, ils vont dans les universités anglo-saxonnes  et pas seulement par effet de mode. L’état de notre enseignement supérieur le rend peu attractif. 

Un des éléments importants de l'influence d'un pays repose dans la culture et la langue française au sein des institutions. Comment les présidents se sont battus à ce sujet ?

Jean-Luc Mano : Les présidents se sont battus avec constance en refusant de lâcher quoi que ce soit. Tous les présidents se sont par ailleurs battus pour maintenir la présence du Parlement européen à Strasbourg et ce n'est pas demain la veille qu'un président lâchera dessus. C'est un élément d'influence, en tout cas un témoignage de ce qu'a été l'influence de la France et aucun responsable politique ne veut revenir là-dessus.

Il y a aussi le prestige de la langue et de la culture française… il y a plus de cadres à Bruxelles et d'européens dans le monde qui sont capables de citer un peu de Victor Hugo que de Schiller ou Goethe sans parler d'autres artistes d'autres pays.

Jean-Marc Mano : Il y a de fait une conscience du rôle de la francophonie. Mais elle a peu de moyens. Et le combat est plus un combat au jour le jour où nos représentants dans diverses organisations doivent se mettre en valeur en parlant français tout en maîtrisant la langue internationale du moment qu’est l’anglais. Concernant nos présidents, une chose est sûre, c’est qu’à part de Gaulle qui avait vécu au Royaume-Uni, ils ont tous eu une  maîtrise telle de l’anglais que l’on avait plutôt envie de leur parler français….

Y avait-il des stratégies politiques élaborées dans l'entourage des présidents par des conseillers et des communicants ?

Jean-Luc Mano : Les communicants ont de manière générale ont considéré que c'était des emmerdements surtout après VGE et que don il fallait essayer d'y parler le moins possible… mais du coup plus de 50 % d'abstention. C'est un sujet technique compliqué et pas très porteur pour gagner des électeurs.

Jean-Marc Daniel : Le rapport au statut de la France et du français est ambigu. Il y a les grands principes mais il y a aussi la formule de VGE : "la France est la première des puissances moyennes". Ce n’est pas nouveau puisque Louis Philippe employait déjà cette formule. Mais pour Louis Philippe, il s’agissait de faire profil bas pour ne pas effrayer une Europe traumatisée par Napoléon. Pour nous aujourd’hui, c’est un constat de repli et VGE en la matière n’était pas le pire. La France et ses élites politiques et intellectuelles sont très tournées vers elles-mêmes et sont restées fondamentalement protectionnistes. Le succès de Montebourg et de son provincialisme économique et le vote FN  sont révélateurs de cet état d’esprit. Les communicants politiques sont donc plus impliqués dans un discours franco-français que dans la promotion d’une dynamique de grande puissance. 

La stratégie passe par les nominations, principalement au niveau du président de la commission européenne, du parlement européen et des commissaires européens. A ce sujet, la France a-t-elle bien oeuvrée ?

Jean-Luc Mano :La France est jugée en Europe comme étant un Etat fondamental, pas d'ambiguïté sur la présence de commissaires français par exemple. La France a toujours défendu sa place et a dans ses nominations présenté des gens qui faisaient consensus.

L'aspect négatif c'est nous sommes le seul pays qui envoie des recalés du suffrage universel national au parlement européen. C'est un sujet qui revient quand on parle avec d'autres députés européens. Le fait que la France change de ministre des Affaires européennes trois ou quatre fois par mandat ne va pas dans le sens de l'influence française. On envoie un message détestable en nommant un ancien responsable du PS qui a totalement échoué à la direction du PS.

Jean-Marc Daniel : Nous sommes en recul. Les hauts fonctionnaires français sont  reconnus mais ils sont de moins en moins nombreux en position de responsabilité. Et les démissions forcées de J Attali à la BERD et de DSK au FMI n’ont pas amélioré la situation. Les organisations internationales de référence sont de plus en plus à vocation économique. Nous avons des économistes réputés bien placés comme O. Blanchard au FMI, mais dans les échelons intermédiaires, le discours économique ambiant en France paléo-dirigiste fait que nos candidats arrivent  avec une image négative. Quant à nos députés européens, à part une poignée de gens de très bonne qualité, ils sont célèbres pour leur amateurisme et leur absentéisme. 

Comment François Hollande pourrait restaurer l'influence française ou moins la limiter ?

Jean-Luc Mano : Les résultats électoraux ont fini de l'affaiblir. Le gars qui représente 14 % sur sa ligne dans son propre pays après les européennes n'est pas en position de force. Il faut déjà qu'il sauve sa position en France avant de restaurer celle de son pays en Europe. Il est prouvé que tout gouvernement fortement et sérieusement affaibli dans son propre pays l'est aussi sur la scène européenne.

Jean-Marc Daniel : Il faut d’abord qu’il rompe avec la pratique qui consiste à tenir un langage à Berlin, un autre à Bruxelles et un troisième à Paris. Nous prenons cela pour de l’habileté, mais nos partenaires le prennent pour de la naïveté prétentieuse qui finit par les agacer. Ensuite, on voit que Mme Merkel bénéficie de la santé économique de leur pays et donc le rétablissement de notre économie et surtout de nos finances publiques est indispensable. Enfin, il faut que le monde se remette à associer excellence intellectuelle et langue française. C’est-à-dire qu’il faut redresser notre université en l’orientant vers une logique d’exigence, dans le contenu et dans les attentes à l’égard des étudiants. 

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