Mais comment expliquer un tel fossé entre le dynamisme de la compétitivité américaine et la dérive de celle de l’Europe ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Drapeaux des Etats-Unis et de l'Union Européenne
Drapeaux des Etats-Unis et de l'Union Européenne
©THIERRY CHARLIER / AFP

(Grand) écart

Depuis 2008 et la crise des subprimes, le fossé n'a jamais été aussi grand entre l'économie américaine et celle du Vieux Continent

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : La compétitivité américaine est considérablement plus dynamique que ne peut l’être celui de l’Union européenne, en témoignent notamment les statistiques partagées par Jason Furman sur Twitter, qui s’attarde sur la quantité produite par personne en âge de travailler. Quelle est l’ampleur exacte de l'écart ?

Alexandre Delaigue : La situation est plus complexe qu’il n’y paraît. N’oublions pas que le solde commercial américain souffre d’un déficit beaucoup plus important que cela ne peut être le cas de l’Europe. Ceci étant dit, il est vrai de dire que la dynamique est plus favorable aux Etats-Unis qu’elle ne peut l’être à l’Union européenne. En l'occurrence, cela s’explique par plusieurs facteurs conjoncturels. La question énergétique, notamment, fait toute la différence en ce moment. Les Etats-Unis peuvent s’appuyer sur leur gaz naturel qui ne coûte rien ou presque. Dès lors, les coûts de l’énergie demeurent extrêmement bas. De son côté, l’Europe a perdu sa source de gaz naturel, qu’était la Russie, depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. Elle est donc condamnée à faire appel à des sources d’énergies beaucoup plus coûteuses. Tout cela n’est pas sans questionner les choix énergétiques européens, en particulier du côté allemand et belge, où il a été décidé de renoncer au nucléaire. Ce n’était peut-être pas le meilleur moment, en l’état actuel des choses.

L’écart de PIB entre les Etats-Unis et l’Europe s’est considérablement creusé sur la dernière décennie. L’Europe a stagné quand nos voisins d’Outre-Atlantique ont beaucoup progressé. C’est lié à des aspects macro-économiques : les Etats-Unis ont choisi une politique budgétaire très différente, qui ne reposait pas sur l’austérité économique. Au contraire, ils ont mis en place une politique d’expansion économique très forte, qui a accuser des déficits extrêmement élevés, notamment pendant la présidence de Donald Trump.

Attention, toutefois : il ne faut pas perdre de vue qu’auparavant, nous aurions peut-être tenu le discours inverse. Force est de constater que la période actuelle est difficile pour l’Europe et plutôt favorable aux Etats-Unis.

Comment expliquer ces différences de trajectoire, au juste ? 

Nous l’avons dit, elles résultent essentiellement de politiques budgétaires différentes. Cela relève du choix politique… et peut-être d’une différence de culture profonde entre l’Europe et les Etats-Unis d’Amérique. Nos voisins américains sont, bien plus que l’essentiel des pays d’Europe, obsédés par la croissance. Il ne s’agit pas de dire que les Européens sont décroissants, loin s’en faut, mais force est de constater qu’un certain nombre de nations du Vieux-Continent estiment être arrivées “au bout” de ce que peut faire l’économie, d’avoir réussi à construire une société qui, si elle n’est pas parfaite, a fini sa trajectoire de ce côté là. 

Les Pays-Bas constituent un très bon exemple de cette différence radicale d’approche : ils ont opté pour la qualité de vie et ont préféré ne plus courir après la croissance. L’aéroport de Schiphol, par exemple, a décidé de réduire de 10% le nombre d'appareils au décollage ou à l’arrivée sur son sol. Les aéroports n’ont pas besoin d'accueillir plus de vols, si ceux-ci ne permettent pas l’amélioration de la qualité de vie des résidents. De la même façon, les Pays-Bas ont choisi de réduire l’activité agricole - alors même qu’il s’agit de l’une des premières nations au monde en matière d’exportation agricole - pour privilégier leur qualité de vie. Rebelote du côté de l’activité gazière.

Par ailleurs, il faut aussi aborder la question démographique. Aux Etats-Unis, le vieillissement de la population est compensé par une forte immigration professionnelle. En Europe, cette question crispe davantage.

On peut y voir le portrait d’une Europe qui se veut stagnante, si l’on décide d’aborder la question sous un angle plutôt négatif. Pourtant, on peut aussi juger que ce décalage de compétitivité est un choix de société.

Peut-on en dire autant des pays de l’Europe de l’Ouest, tels que la France, l’Allemagne, ou même l’Italie et l’Espagne ?

Bien évidemment, c’est un phénomène culturel qui touche essentiellement et avant tout les pays du nord de l’Europe. Ce phénomène s’observe beaucoup moins du côté de l’Europe de l’Est, qui compte un certain nombre de nations récemment admises au sein de l’Union. La Pologne ou les Pays-Baltes n’ont pas du tout le même rapport à la technologie ou à la croissance.

En France, c’est un discours qui n’est pas aussi prégnant, c’est vrai. La France continue de se voir comme un pays d’importance économique, qui se veut être la première dans certains domaines jugés à sa portée. Et pourtant, elle a aussi tendance à se retirer de certains de ses principaux atouts. Mais dès lors que l’on aborde cette question, on sort de la seule dimension économique pour évoquer, aussi, l’aspect géopolitique.

L’Europe est-elle encore en mesure de rattraper les Etats-Unis, selon vous, en matière de compétitivité ? Pourrait-on les concurrencer ?

L’Union européenne, me semble-t-il, aura beaucoup de mal à reprendre le terrain perdu. Elle doit faire face à de nombreux handicaps. J’ai tendance à penser que, compte tenu de ces derniers, le meilleur projet que pourrait nourrir l’Europe c’est d’arriver à devenir, à échelle mondiale, ce qu’a pu être la Suisse de ces dernières années à échelle européenne. Atteindre le niveau de prospérité, de stabilité politique de la Suisse, ce serait une réussite du projet européen.

Beaucoup de facteurs, à commencer par le vieillissement de notre population, ne permettent pas à l’Union européenne de rattraper les Etats-Unis. Ce n’est pas seulement une question d’âge de nos travailleurs, c’est aussi celle du rapport à l’innovation, à la nouveauté. Ce n’est globalement pas en Europe que l’on produit de la façon la plus novatrice qui soit. Et pour cause ! Il est beaucoup plus facile de se lancer en partant de zéro que de devoir tenir compte de ce qui existe déjà, comme l’a illustré la situation du marché automobile chinois. La Chine construit, immédiatement, des véhicules hybrides et électriques. De notre côté, il faut composer avec le marché du thermique, que nous ne voulons de toute façon plus produire…

Il faut aussi évoquer la volonté de prendre au sérieux la transition écologique, ce qui est plutôt positif en théorie, mais qui tend à pousser l’Europe à remplacer des énergies peu chères à produire et faciles à utiliser par d’autres sources d’énergies plus coûteuses et moins simples d’accès. Sans oublier, bien sûr, la question démographique qui jouera évidemment… Et la gestion de nos dettes publiques, qui sont particulièrement élevées. A la différence des Etats-Unis, nous n’avons pas la possibilité financière de les stimuler aussi efficacement.

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