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Et au fait, à quoi ça sert la politique monétaire ? De l’incroyable pouvoir des banques centrales
©Reuters

Comprendre enfin

Alors que la crise économique qui frappe le continent européen depuis 8 ans continue de produire ses effets, la population reste encore trop souvent à l'écart des enjeux de politique monétaire. Une notion encore largement incomprise et pourtant totalement déterminante de la vie quotidienne.

Steve Waldman

Steve Waldman

Steve Randy Waldman écrit sur l'économie et la finance sur le blog interfluidity.com.

 

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Atlantico : La politique monétaire semble être une notion très obscure pour la population, comment définiriez-vous l'importance de la politique monétaire dans la vie quotidienne ?

Steve Waldman : Le problème avec la politique monétaire est que personne ne sait de quoi il s’agit. Vraiment personne. Il n’y a pas de consensus, même parmi les économistes professionnels, à propos de ce qui constitue précisément la politique monétaire. S’agit-il seulement des opérations mécaniques des banques centrales qui touchent à la quantité de "base monétaire" disponible pour le public et pour le système bancaire ? S’agit-il des taux d’intérêt ? S’agit-il du processus permettant de fixer les anticipations d’inflation ou du PIB nominal ? S’agit-il des opérations bilancielles qui transfèrent les risques pesant sur les banques privées (et en Europe, sur les Etats) aux banques centrales ? Est-ce que les décisions, comme celles de la BCE lors de l’été 2015 visant à geler l’assistance d’urgence en liquidités (ELA), qui poussent effectivement à une fermeture du secteur financier du pays, constituent une forme de politique monétaire ?

Etant donné que même les experts ne s’accordent pas sur ce qu’est exactement la politique monétaire, il n’est pas surprenant que le public éprouve des difficultés à s’enthousiasmer à ce propos.

Cependant, peu importe sa définition, la politique monétaire joue un rôle essentiel dans la vie de tous les jours. Même en la définissant de façon stricte, elle contient un choix politique essentiel ; entre le risque d’inflation et la poursuite d’autres objectifs sociaux. Une banque centrale stricte peut bloquer un plan de relance qu’un gouvernement pourrait mettre en place, en privilégiant les intérêts des épargnants, des créditeurs, et des personnes confortablement employées contre les intérêts de ceux qui sont employés à la marge, des chômeurs, et de ceux pour lesquels la prise de risques que suppose la croissance vaut mieux que l’acceptation du statu quo. Par essence, les banques centrales impactent les luttes politiques entre les riches et les pauvres, entre les jeunes et les vieux, entre le capital et le travail.

Si nous définissons la politique monétaire plus largement, en y incluant les décisions des banques centrales concernant les termes de l’extension du crédit, alors son pouvoir est presque illimité. En Europe, une Banque centrale européenne (BCE) qui aurait été inébranlable dans sa volonté d’accepter des garanties de l’Etat et des banques grecques aurait empêché, à coup sûr, la crise de l’été dernier. Si la BCE se mettait à stigmatiser la dette de n’importe quel autre Etat européen, des crises similaires pourraient alors être provoquées dans chaque pays européen. Même aux Etats Unis, qui ne sont pourtant pas soumis à la complexité de l’interconnexion financière européenne, la survie de toute banque est totalement dépendante de la confiance que peut avoir le public dans l'assistance de liquidités de la FED lors d’une crise qui, en temps réel, ne peut être distinguée d’une crise de solvabilité.  

En théorie, cet incroyable pouvoir des banques centrales est supposé être contraint par un mandat strict qui limite sa discrétion. Pourtant, en pratique, en dépit d’une indépendance formelle, les banques centrales sont de purs acteurs politiques. Parfois elles contraignent des dirigeants politiques élus démocratiquement. Parfois elles servent d’instrument au travers desquels les politiciens se livrent à des formes de coercition et de contrôle qui seraient perçues comme illégitimes si des moyens plus directs avaient été employés.

Que cette notion de “politique monétaire” apparaisse comme obscure n’est donc pas un hasard. Cette perception cache des yeux de la population un des outils les plus puissants en termes de politiques publiques. Ce qui peut être assimilé à cette notion impersonnelle de "forces du marché" est une forme de contrôle des élites qui affecte des questions quotidiennes comme celle de trouver ou non un emploi, à quel rythme croît l’économie ainsi que de lourdes questions politiques et sociales concernant le type de société dans lequel nous souhaitons vivre. Le public doit absolument s’intéresser à cette question, et ne pas se retrancher derrière l’idée que « ce serait trop compliqué", pour dévier le sujet et les critiques.

Concernant l'Europe, le mandat de la BCE est de maintenir la stabilité des prix, alors que le mandat américain est d'assurer cette même stabilité mais également l'emploi maximum. Quelle est la différence ? Pourquoi avec vous dénoncé la stabilité des prix comme étant un objectif immoral dans un de vos articles ? L'inflation n'est-elle pas une tueuse de croissance ?

La stabilité des prix n'est pas immorale en soi. Quand une économie se comporte correctement, il est souvent possible de profiter de la stabilité des prix avec très peu de contreparties. Mais lorsqu'une économie est sous-performante, en particulier, lorsque les ressources, en incluant surtout les ressources humaines, ne sont pas complètement employées, une politique de maintien de la stabilité des prix, au-delà des autres objectifs concurrents, est, à mon sens, immorale. Le mandat de la BCE reflète une idée économique non convaincante et complètement discréditée appelée la "coïncidence divine". Dans certains modèles économiques de base, une politique monétaire en charge du taux d'inflation serait également à même de produire l'emploi maximum et d'encourager la croissance et l'emploi. Mais si cela était vrai, il n'y aurait pas de contreparties à soutenir la stabilité des prix tout en encourageant la croissance et l'emploi. Mais cela n'est pas vrai.

En réalité, les politiques qui soutiennent la croissance supposent souvent un risque d'inflation. Il est important de noter que ce n'est pas l'inflation en elle-même qui est nécessairement utile. Une inflation forte et volatile peut très bien être tueuse de croissance, en rendant toute anticipation très difficile pour les entreprises, ou en poussant les gens vers des investissements non productifs tels que les matières premières ou les devises étrangères, dans le but de préserver leur pouvoir d'achat. Une inflation forte et inattendue peut parfois être utile, en réparant les bilans des débiteurs (en incluant les individus, les entreprises, et les gouvernements). Les effets d'une hausse inattendue de l'inflation sont mixtes et imprévisibles, et il n'est pas anormal de vouloir l'éviter, toute chose étant égale par ailleurs.

Mais vouloir éviter les risques ne signifie pas qu'il ne faut rien tenter. Chaque entrepreneur qui débute un business risque l'échec, il peut perdre son argent, mais pour la possibilité de réaliser un gain. De façon similaire, quand les économies stagnent, les gouvernements et les banques centrales doivent prendre en compte des politiques qui supposent un risque d'inflation. Si tout se passe bien, ces politiques ne produiront pas un résultat réellement inflationniste, puisque les nouveaux biens et services produits par une économie en croissance permettront de contrebalancer les nouvelles dépenses que cette politique encourage. Si tout ne se passe pas bien, une accélération de l'inflation pourrait se produire en parallèle d'une accélération de l'emploi et de la production.

De façon indépendante, pour les économies confrontées à une stagnation désinflationniste (ce qui correspond à la situation actuelle du monde occidental) des politiques de stimulation vont aider à employer les hommes ainsi que les autres ressources, et provoqueront une hausse de la production agrégée. Une décision qui évite ce risque d'inflation est une décision qui tend à laisser improduits les biens et services qui pourraient être produits, qui tend à laisser inemployées les personnes qui pourraient être employées, plutôt que de risquer toute perte potentielle de pouvoir d'achat aux riches et à ceux qui sont déjà employés. Ce qui met les intérêts des plus favorisés avant ceux des plus vulnérables. Elle place la sécurité d'une fraction de la population avant la maximisation de la prospérité de l'ensemble. Ce qui me semble immoral.

Et oui, le pur mandat de stabilité de la BCE, en plus de la structure du pacte de stabilité et de croissance, signifie que l'Europe a effectivement introduit un choix immoral et contreproductif au sein même de ses institutions. Bien sûr, les traités et les chartes ne sont pas plus rigides que l'interprétation qu'on veut bien leur donner, et s'il existait un consensus politique clair au sein des élites en faveur de plus d'expansion, aucun mot sur le papier ne permettrait de le contrer. Malheureusement, les élites tendent à être constituées de personnes confortablement employées, de créditeurs, qui ont personnellement plus à perdre qu'à gagner d'un risque d'inflation. Ainsi, jusqu'à ce que la stagnation économique ne provoque une crise qui, aux yeux des décideurs, menacera plus que la seule périphérie européenne, aucune réorganisation ou réinterprétation des institutions européennes n'est à attendre.

Dans un autre article, vous avez écrit que la dépression était un choix. Comment justifiez-vous cela ?

La dépression est un choix parce que les politiques qui peuvent générer de la croissance et de l'emploi ne sont pas seulement possibles, elles sont également simples à mettre en œuvre. Quand la production est stagnante et que l'inflation est faible en raison de ressources inemployées, une politique de transferts et d'investissements publics soutenue par une politique monétaire expansionniste peut produire de la croissance et mettre ces ressources au travail.

Les élites européennes, au travers des arrangements institutionnels qu'elles ont imposés et qu'elles continuent de défendre, ont rendu impossible, pour les Etats membres, de poursuivre une telle politique expansionniste à une échelles suffisante, et ont freiné toute possibilité de le faire au niveau européen. Il y a plusieurs raisons à cela. En Europe, plus que n'importe où ailleurs, les risques et les bénéfices d'une politique de relance seraient distribués de façon asymétrique, entre des personnes situées dans des pays comme l'Allemagne qui supportent le risque de soulager de leur dépression des personnes vivant dans des pays comme l'Espagne. En général, les créditeurs et les retraités tendent à avoir un poids politique plus important que les jeunes, les chômeurs, et les débiteurs. Il n'est pas très compliqué de comprendre pourquoi les politiques ont choisi la dépression plutôt que de prendre le risque découlant de son remède. Ces dirigeants font un choix. Mais d'autres choix sont possibles. 

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