Macron / Le Pen : le vrai-faux clivage politique<!-- --> | Atlantico.fr
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Deux tracts présentant Emmanuel Macron et Marine Le Pen avant le premier tour de l'élection présidentielle française
Deux tracts présentant Emmanuel Macron et Marine Le Pen avant le premier tour de l'élection présidentielle française
©NICOLAS TUCAT / AFP

Deux visions

Progressistes contre extrême droite dit le camp Macron. Mondialistes contre nationaux dit le camp Le Pen. Mais s’agit-il vraiment de ce qui intéresse les Français ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Emmanuel Macron et Marine Le Pen se qualifient donc une nouvelle fois pour le second tour. Dès les résultats les éléments de langage déjà présents en 2017 sont revenus pour évoquer le second tour : « Progressistes contre extrême droite » dit le camp Macron. « Mondialistes contre nationaux » dit le camp Le Pen. A quel point ce clivage est-il une réalité sociologique plus que politique ? Est-ce un clivage par défaut ?

Christophe Bouillaud : C’est sûr que ce résultat va encore une fois opposer au second tour deux France du point de vue sociologique : une France plutôt jeune, employé, ouvrière, rurale, et aux fins de mois difficiles à une France plus aisée, plus âgée, plus urbaine, et souvent retraitée, ou, pour adopter le point de vue psychologisant proposé par certains analystes, une France pessimiste et une France optimiste. Par contre, il est vrai que les leaders de ces deux France n’élaborent pas tellement leurs projets ou  idéologies respectives. Bien sûr le programme d’Emmanuel Macron ou celui de Marine Le Pen s’opposent sur de nombreux points. Pour un lecteur un peu averti, il est très facile de comprendre où l’un ou l’autre veulent en venir, mais ni l’un ni l’autre n’a développé lors de cette campagne un récit politique très charpenté idéologiquement. Cela correspond au fait que ni le « macronisme » ni le « marinisme » ne veulent vraiment mettre carte sur table. Ils ne se réfèrent ni l’un ni l’autre d’ailleurs explicitement à quelque grand récit idéologique que ce soit. Ce n’est certes pas le retour des grandes heures du libéralisme de Giscard contre le socialisme de Mitterrand des années 1974-1981. 

Si l’on cherche une ébauche de grand récit idéologique, il faut aller le chercher, soit chez Eric Zemmour, qui lui-même s’inspire de grands auteurs politiques du passé (Maurras par exemple), soit chez Jean-Luc Mélenchon, qui vise à construire sa propre idéologie, l’éco-socialisme, comme dépassement du socialisme. Force est de constater de ce point de vue que le grand récit zemmourien d’une décadence imminente de la France éternelle, en dépit de son extraordinaire appui dans certain médias de masse et de ses succès de librairie préalables, a finalement bien moins intéressé l’électeur que le propos fort terre-à-terre d’une Marine Le Pen se présentant comme la candidate du pouvoir d’achat.

Du coup, comme les deux grands gagnants avancent, si j’ose dire, tous deux masqués, cela rend le clivage sociologiquement bien visible par ce qu’on peut en savoir grâce aux sondages et à la géographie électorale des votants de chaque camp, mais quelque peu politiquement décevant par cette carence de clarté idéologique de part et d’autre, en dehors de quelques grands marqueurs, comme le rôle du drapeau européen par exemple.  A cela s’ajoute le fait qu’Emmanuel Macron a complètement oublié son côté libéral en matière politique et sociale tel qu’il l’avait encore lors de sa campagne de 2016-2017 et qu’il s’est efforcé d’apparaitre comme très dur en matière migratoire, en matière de statut de l’Islam en France, et même en matière de non-légalisation  du cannabis, pour ne pas parler de son rapport plutôt autoritaire depuis 2017 envers toute mobilisation sociale. Ce déplacement d’Emmanuel Macron vers des pratiques qu’on pourrait qualifier de très à droite, voire d’extrême-droite, en tout cas en aucun cas de libérales au sens historique du terme, rend le clivage bien moins lisible qu’il ne pourrait l’être. Macron est en effet un néo-libéral en économie sans revendication de l’être, il se dit progressiste, et sans aucune grande réforme libérale ou progressiste en matière de mœurs à son actif. Un néo-libéral quelque peu autoritaire en somme. Inversement, Marine Le Pen a réussi, tout au moins pour l’instant, à faire oublier les louanges qu’elle a pu tresser à Vladimir Poutine, apparaissant ainsi bien moins hostile au libéralisme qu’elle ne l’est en réalité. 

Les Français voient-ils vraiment le clivage entre les deux candidats de cette manière ? Est-ce que ce clivage intéresse les Français ?

De fait, oui, il ne faut pas croire que les choses pourraient être fondamentalement autres qu’elles ne sont. Il existe une opposition majeure au sein de l’électorat autour du statut de l’immigration en France, tout particulièrement de l’immigration en provenance de pays majoritairement musulmans d’Afrique ou du Moyen-Orient. Le Rassemblement National hérite du Front National cet enjeu qu’il a contribué à politiser depuis les années 1970. Vous noterez qu’au niveau des forces politiques en présence se rallient à M. Le Pen toutes les forces qui sont du côté fermeture absolue des frontières, et, inversement, appellent à voter E. Macron toutes les autres forces – à l’exception des éternels outsiders de Lutte ouvrière. Je ne sais pas si ce clivage intéresse au plus haut point tous les Français, mais, comme on le verra le 24 avril, la plupart de ceux qui iront voter sauront bien de quel côté ils se situent. Si beaucoup de gens iront voter pour Emmanuel Macron pour faire barrage, c’est bien parce qu’ils craignent, soit pour eux-mêmes, soit pour autrui, les conséquences possibles du « marinisme » au pouvoir. Ils en identifient très bien les risques.

Derrière les larges étiquettes progressistes, mondialistes et nationalistes, n’y a-t-il pas des catégories de population qui n’ont rien à voir et qui n’adhèrent pas forcément à la vision du monde de l’un ou de l’autre des candidats ? Cela ne traduit-il pas une forme de dépolitisation ?

Oui, bien sûr, il y a déjà toutes les personnes qui n’ont même pas pris la peine de s’inscrire sur les listes électorale, et celles inscrites qui ne votent jamais. Ce sont les personnes vraiment dépolitisées, même si bien sûr parmi ces dernières il y a une minorité de personnes qui sont consciemment et de manière très politique pour le coup, contre le principe même de toute élection, de toute délégation de pouvoir, certains anarchistes conséquents par exemple. 

Ce premier ensemble d’électeurs est le plus nombreux et dépend essentiellement de considérations sociologiques. 

Ensuite, il y a ceux qui ne verront pas pour cette élection la différence entre les deux projets, soit par manque de compréhension de la vie politique, soit par application à celle-ci d’une grille de lecture minoritaire, typiquement celle d’un parti comme Lutte ouvrière. 

Enfin, il y aura ceux qui s’abstiendront, de gauche ou de droite d’ailleurs,  parce qu’ils détestent trop Emmanuel Macron pour voter pour lui quelque soient les circonstances. Ce n’est pas cependant de la dépolitisation. 

Est-ce pour cette raison que des partis avec un très faible ancrage local réussissent à arriver sans difficulté au second tour, quand les partis historiques – et toujours implantés – s’effondrent ?

La faible articulation entre les deux niveaux de vie démocratique, pour ne pas parler de leur désarticulation, est en effet saisissante. D’un côté, les partis historiques (LR et PS en particulier) qui dominent les instances locales presque sans partage voient leurs candidats respectifs connaitre des échecs retentissants. De l’autre, le trio de tête Macron, Le Pen, Mélenchon, correspond à des forces peu ou mal implantées dans la vie démocratique locale. 

C’est sans doute l’effet de l’histoire de ces trois forces, mais c’est peut-être aussi le résultat d’une presque totale dépolitisation des enjeux locaux. En particulier, l’existence des intercommunalités qui obligent de fait les élus de droite et de gauche à travailler ensemble a sans doute amené à des gestions locales très semblables entre droite et gauche. Du coup, des deux côtés, on se trouve face à des partis devenus des syndicats d’élus aux gestions locales de moins en moins marquées idéologiquement. 

Dans ces conditions, il devient difficile à ces syndicats d’élus de faire émerger des idées neuves, de cliver suffisamment pour passer la rampe de l’élection présidentielle. La maire de Paris, Anne Hidalgo, fait moins de 2% des suffrages, et la présidente de la région Ile-de-France un peu moins de 5%. Elles avaient toutes deux de beaux programmes, mais peu lisibles pour l’électeur. 

Surtout, il semble bien que les exigences de la performance politique nationale, faite de coup de gueule et de médiatisation à outrance du moindre fait et geste, s’éloignent ainsi de la nécessaire neutralité du notable local contemporain. Le passage d’une posture à l’autre est sans doute de plus en plus difficile.  

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