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Lutte et prévention contre le terrorisme : l'impérieuse nécessité d'adopter une vision globale afin d'éviter l'impression du pansement sur une jambe de bois
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Bonnes feuilles

Eric Delbecque et Christian Chocquet publient "Quelle stratégie contre le djihadisme ?" (VA éditions). Sommes-nous vraiment en guerre contre le terrorisme ? Faute de stratégie complètement adaptée, cette "guerre d’un nouveau genre" ne peut être gagnée. Extrait 1/2.

Eric Delbecque

Eric Delbecque

Eric Delbecque a occupé des fonctions au sein du secteur public et privé dans le domaine de la sécurité nationale. Il travaille sur l'analyse du phénomène terroriste et l'adaptation des réponses opérationnelles des entreprises et des organisations en général. Il est l'auteur de nombreux livres.

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Christian  Chocquet

Christian Chocquet

Christian Chocquet a consacré sa carrière aux questions de sécurité en tant que général de gendarmerie puis en tant que préfet. Il est docteur en science politique et auteur de plusieurs ouvrages. 

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Face au terrorisme, qui est une forme éminemment expressionniste de la violence, on ne peut nier l’importance qu’il y a à pratiquer le « rassurisme » et de mettre en scène des gages tangibles de l’engagement du gouvernement dans la prévention des attentats. Mais la visibilité des dispositifs n’a d’intérêt que dans les jours qui suivent la commission des attaques. Dans la durée, ils véhiculent, à l’inverse de l’effet souhaité, une image anxiogène que relèvent nombre de visiteurs étrangers. Les militaires patrouillant six par six dans les lieux publics, équipés comme s’ils s’apprêtaient à réduire une poche de résistance dans les faubourgs de Mossoul, accréditent l’idée que les djihadistes ont ouvert un front sur notre territoire. Puisqu’il faut l’Armée pour nous défendre c’est que nous sommes en danger. Si la police et la gendarmerie ne sont pas en mesure de faire face, c’est que les terroristes disposent de véritables moyens de guerre. C’est que le « front de Gao au Trocadéro » est une réalité... C’est que l’on a vite fait, toujours pour des raisons de visibilité et d’intelligibilité, de donner dans le raccourci facile : les frères Kouachi disposaient de Kalachnikov, les auteurs des attaques du 13 novembre également... c’est donc que la menace a changé de nature. Il y a des années que des groupes criminels qui n’ont rien à voir avec le terrorisme trafiquent les armes de guerre, des années que l’on tire au lance-roquette antichar sur les fourgons blindés des convoyeurs de fonds. Les services de police judiciaire ont-ils pour autant cédé la place à l’infanterie de marine dans la lutte contre la grande criminalité ?  

La réalité est que si quelques-uns des attentats d’envergure ont été commis par des djihadistes porteurs d’armes de guerre, la très grande majorité des attentats est le fait d’individus ne disposant d’aucune formation et équipés de moyens de fortune : couteaux de cuisine, camion de location voire linge sale en guise de détonateur pour faire exploser des bouteilles de gaz... Si les stratèges du djihadisme sont des professionnels, les petites mains ne sont, fort heureusement, que très rarement au niveau de technicité voulu. Dans la quasi-totalité des situations nécessitant leur intervention, les militaires du dispositif Sentinelle constituent même la cible des agresseurs. Sentinelle, à cet égard, provoque plus d’attentats qu’il n’en évite. 

La mauvaise gestion des dispositifs préventifs constitue une débauche de moyens publics pour une efficacité très limitée. Les évolutions malheureusement prévisibles des modes d’action terroriste n’ont pas fait l’objet d’une véritable réflexion. Les leçons de notre propre histoire n’ont d’ailleurs pas été tirées. Nous avons cru passer, dans la nuit du 13 novembre 2015, à une nouvelle forme de terrorisme : l’attentat non ciblé qui frappe aveuglément un stade de football, une salle de concert et des terrasses de restaurants. Cette évolution était malheureusement prévisible, car autour de nous, la multiplication des attentats de masse non ciblés attestait de la banalisation de ce mode d’action. Par ailleurs, il n’était pas besoin d’être un grand spécialiste du terrorisme pour se souvenir que l’attaque de masse non ciblée n’était pas nouvelle sur notre territoire : l’Airbus pris d’assaut en 1995 à Marignane par le GIGN était destiné à une frappe sur Paris. Les attentats de 1985/86 et de 1995/96 visaient les transports en commun et n’avaient pas fait plus de victimes qu’en raison du manque de professionnalisme de leurs auteurs. Nous avons pu croire, après les attaques de Mohamed Merah dans une école juive ou celle des frères Kouachi à Charlie Hebdo, que les cibles pouvaient être discriminées. Quand tel est le cas, des dispositifs de sécurité renforcée peuvent présenter leur intérêt même si l’on a vu avec Charlie Hebdo que ces modes d’action n’apportaient pas une sécurité absolue.  

Or il est rapidement devenu évident que tout rassemblement de personnes, quel que soit son objet, est devenu désormais une cible : les écoles, qu’elles soient laïques ou religieuses, les centres commerciaux, les moyens de transport, les spectacles et événements sportifs... De même, tous les sites susceptibles de revêtir une importance quelconque peuvent être considérés comme des objectifs potentiels. L’insécurité est partout et nulle part. Des mesures destinées à améliorer la protection des lieux recevant du public présentent toujours un intérêt potentiel, mais il ne faut pas se méprendre : les frappes les plus meurtrières portent sur des « cibles molles », c’est-à-dire n’importe qui de préférence.  

La protection des populations ne réside pas dans un renforcement permanent des mesures de surveillance, des gardes statiques, des militaires de Sentinelle, des vigiles ou des palpations de sécurité. Il y aura toujours des « ventres mous », des cinémas, des marchés, des fêtes de la musique, des vide-greniers... Où frappent les djihadistes salafistes en Iraq ? Sur les marchés. Saura-t-on jamais mettre en œuvre des dispositifs assurant une sécurité absolue en tout temps et en tout lieu ? Non, à l’évidence. Puisque tout est cible, celui qui veut commettre un attentat frappera au défaut de la cuirasse. Les dispositifs ont vocation à être contournés. Il faut donc se concentrer sur ceux qui présentent une sensibilité identifiée. Tenter de tout sécuriser, c’est s’exposer à ne rien maîtriser. En fait, la focalisation sur les effets des attentats nous éloigne de l’essentiel : identifier clairement les causes pour tarir le flot des recrutements, car c’est bien la prolifération des djihadistes qui rend le phénomène difficile à maîtriser.   

Extrait du livre d'Eric Delbecque et Christian Chocquet, "Quelle stratégie contre le djihadisme ? : Repenser la lutte contre la violence radicale", publié chez VA éditions. 

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