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Lutte contre les inégalités : l’étude choc qui montre pourquoi on a tout faux depuis des années en matière de politique de la ville
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Politique de la ville

Une étude publiée dans Sociological Quartely a analysé l'impact de notre quartier de résidence sur notre réussite scolaire.

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico : Une étude publiée dans Sociological Quartely a analysé l'impact de notre quartier de résidence sur notre réussite scolaire. A revenu égal, quelqu'un de privilégié vivant dans un quartier "chic" réussirait mieux scolairement que quelqu'un évoluant dans quelque autre type de quartier. A contrario, quelqu'un évoluant dans un milieu défavorisé et résidant dans un quartier peu favorisé voir très défavorisé s'en sortirait pareillement. Quelles conséquences tirer de cette étude ? Les politiques en matière de logement (baisse des taxes, aide au logement, investissements dans les quartiers pauvres) auraient-elles tout faux ? 

Laurent Chalard : Cette étude est intéressante car elle montre qu'il y a bel et bien un effet quartier. On parle d'effet quartier au sens de l'impact que peut avoir l'environnement social sur un individu. C'est-à-dire qu'en fonction des caractéristiques sociaux démographiques du quartier, les taux de réussite scolaire ne seront pas les mêmes. C'est une donnée que l'on connaissait déjà, mais cette étude vient confirmer l'importance de l'effet quartier aux Etats-Unis -puisqu'il s'agit d'une étude sur la société américaine- et par extension en France également.
Comment expliquer cet effet quartier sur la réussite scolaire des enfants ? Un premier élément de réponse qui est particulièrement important aux Etats-Unis, c'est la qualité de l'école puisque l'on sait d'ores et déjà qu'elle y varie de façon considérable en fonction des quartiers. Par exemple, l'enseignement public qui est dominant dans les quartiers pauvres et en particulier dans les quartiers majoritairement peuplés par des minorités ethniques est d'un niveau catastrophique avec très peu peu de moyens financiers et à contrario l'enseignement est d'excellente qualité dans les quartiers riches.

Une deuxième élément qui vient expliciter cet effet quartier, est l'ambiance familiale dans laquelle l'enfant évolue. Lorsque vous êtes dans un quartier où domine majoritairement des populations aisées cela sous-entend que l'enfant grandit dans un environnement qui sera favorable à sa réussite scolaire. En outre, l'enfant bénéficiera d'une stabilité financière certaine mais se verra aussi transmettre des valeurs de travail et en particulier de réussite scolaire puisque dans ces milieux elle est la condition sine qua non d'un maintien de sa place au sein de la hiérarchie sociale. 

Un troisième élément est également à prendre en compte, il s'agit de l'ambiance du quartier. Ce qui sous-entend que si vous êtes un enfant grandissant dans un quartier calme il y a moins de risques que vous adoptiez des comportements déviants. Par contre, si vous grandissez au sein d'un quartier pauvre où la criminalité est importante, vous n'êtes confronté qu'à des mauvais exemple, et le risque que vous suiviez ces exemples est plus important pour vous que pour un jeune grandissant dans un quartier privilégié. 
Ainsi, lorsque l'on additionne ces trois facteurs explicatifs, l'importance de l'effet quartier sur la réussite scolaire apparaît nettement. 
Ensuite, les politiques en matière de logement ont-elle eu tout faux jusqu'alors ? Effectivement, si l'on se fie à cette étude on a l'impression que sur le plan scolaire il est préférable d'évoluer dans des quartiers riches et homogènes socialement que dans des quartiers pauvres, où la mixité sociale est importante et où le nivellement pourrait avoir lieu par le bas. Bien évidemment cela interroge. Cependant, il serait trop facile d'en tirer des conclusions définitives et de conclure que la mixité sociale ne sert à rien. 
En réalité, c'est un peu plus complexe car on se rend compte que dans les quartiers riches en mixité sociale les parents ne sont pas contraints de scolariser leurs enfants dans les établissements du quartier. Un exemple criant serait par exemple, les quartiers de l'Est parisien. Quartiers où la mixité sociale est forte et qui fonctionnent relativement bien, mais lorsque l'on se penche sur la mixité sociale on constate que les enfants de milieux sociaux favorisés qui habitent ces quartiers sont scolarisés dans des écoles privées soit à l'intérieur du quartier soit dans un autre quartier par le biais de dérogations. A l'inverse, les écoles publiques du quartier sont majoritairement réservées aux enfants issus de milieux populaires. Un quartier peut donc être extrêmement mixte socialement parlant mais ce n'est pas pour autant que les enfants privilégiés seront scolarisés sur place. Cela implique donc, que la mixité sociale sans mixité scolaire fonctionne, l'inverse n'étant pas vrai. 

Le constat serait d'autant plus fort parmi les minorités. Quelqu'un issu d'une minorité et évoluant dans un quartier très privilégié -à revenu égal- aurait un cursus scolaire moins brillant que les autres résidents de ce même quartier. Pourquoi cette différence ? Le logement et le quartier de résidence n'ont-ils donc qu'un impact moindre sur la réussite professionnelle d'un individu ?

Cette différence peut s'expliquer par deux facteurs. Le premier étant le contexte culturel tel qu'il avait été définit sociologiquement parlant par Pierre Bourdieu. En somme, dans les milieux définis comme bourgeois il existerait tout un ensemble de valeurs mais aussi de connaissances qui seraient transmises par la famille en dehors du cursus scolaire. Cette transmission des connaissances dans le cadre familiale permettrait une meilleure réussite de l'enfant. 
On s'en rend particulièrement compte lorsque l'on se penche sur les familles en phase d'ascension sociale. C'est-à-dire qu'un individu issu d'un milieu sociale populaire ayant grandit avec les valeurs de sa classe sociale tout en bénéficiant de moyens financiers comparables à ceux des classes les plus aisées, transmettra un certain capital financier à ses enfants mais ne sera pas en capacité de leur transmettre le capital culturel du milieu bourgeois puisqu'il vient tout juste de l'intégrer. Ainsi, il n'est pas surprenant que les enfants issus de minorités évoluant dans des milieux aisés ne possèdent pas le même capital culturel que les autres enfants et par conséquent réussissent moins bien scolairement parlant. Il y a donc un faussé important, or celui-ci ne disparaît qu'à partir de la deuxième région.
Pour revenir davantage sur le cas américain, il faut également prendre en compte l'impact du racisme. Bien évidemment, en fonction de votre origine ethnique vous serez perçu de manière différente, en particulier si vous êtes issus de la minorité noire. Un enfant noir scolarisé dans une école à dominante blanche se verra renvoyer un certain nombre de stéréotypes de fait qu'il est fort probable qu'il les imprègne et les applique au long terme. Ce n'est pas un facteur primaire, mais il n'est pas non plus négligeable. 
Le quartier de résidence n'a donc pas un impact moindre sur la réussite professionnelle d'un individu. Au sein d'un même quartier, il ne faut pas seulement comparer les niveaux de revenus et les origines sociales mais il faut également prendre en compte la réussite scolaire des enfants issus de minorités dans les beaux quartiers par rapport à la réussite scolaire des enfants issus des minorités dans les quartiers pauvres. En faisant cette démarche, on constate que les populations issues de minorités habitants dans les beaux quartiers réussissent mieux scolairement que les populations issues de minorités qui seraient restées dans des quartiers défavorisés. En revanche, elle réussissent moins bien que les autres populations des beaux quartiers qui ne seraient pas issues de minorités. 
Cela sous-entend donc que le quartier a un impact qui n'est négligeable mais qu'il n'est pas le seul facteur déterminant de la réussite scolaire d'un enfant puisqu'il faut aussi prendre en compte le milieu familiale mais aussi les capacités de l'enfant.

Quelles conséquences peut-on tirer de cette étude en termes de mixités sociales et territoriales ? La mixité, finalement, ne joue-t-elle aucun rôle dans la réussite sociale et professionnelle d'un individu ? 

Avant tout, il faut rappeler que cette étude ne fait que confirmer ce qu'un certain nombres d'autres études menées dans des pays développés avaient déjà révélé. On ne peut donc pas dire qu'il y ait des conséquences directes à en tirer, mais elle vient confirmer que cette idée de mixité sociale qui paraît plus juste socialement n'est pas forcément la bonne solution.
Sur le papier elle apparaît comme étant une solution optimale mais dans la réalité, sur le plan de la réussite scolaire, les choses sont bien plus complexes.  Si vous êtes issus d'une catégorie favorisée vous n'avez en ce sens pas intérêt à vivre dans un quartier riche en mixité sociale puisque vos enfants recevront une éducation de moins bonne qualité. Pour les catégories favorisées, le nivellement se fera alors par le bas. 
Finalement, j'estime que l'on est plutôt face à un faux débat. C'est-à-dire que la question n'est pas tant d'instaurer une mixité sociale -laquelle, on le sait depuis des décennies, est illusoire- au nom d'un égalitarisme social forcené  mais plutôt d'inventer des méthodes d'enseignement qui permettraient de donner aux enfants issus des quartiers défavorisés un plus grand goût des études et des plus fortes chances de réussite. Aujourd'hui, je pense que c'est l'enjeu majeur d'autant plus qu'il est bien plus réaliste. Cela a déjà été mis en place aux Etats-Unis où des écoles test ont été ouvertes pour les enfants issus de milieux défavorisés. Situées en dehors des quartiers de résidence de ses populations, elles emploient d'excellents enseignement et fonctionnent en effectifs réduits c'est-à-dire que les classes sont de petites tailles. Or, leurs résultats sont extrêmement encourageant : elles permettent d'augmenter les chances d'accès à l'université des populations les plus précaires. Néanmoins, un problème se pose : elles coûtent très cher. Ainsi, si on est en capacité de le faire dans quelques quartiers -notamment en France-, la généralisation de ce modèle dans un contexte de crise économique est peu réaliste.

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