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Lutte contre l’Etat islamique : les médias britanniques gonflent-ils les "exploits" de leurs forces spéciales à la sauce sniper de Stalingrad ?
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Trop beau pour être vrai

L'an dernier, la presse britannique révélait les "exploits" de leurs forces spéciales contre l'EI, composée de quelques hommes, et qui aurait fait plus de 200 victimes (par comparaison, à la même époque, les frappes aériennes en avaient fait 800). Les britanniques mentionnent également la destruction d'un convoi djihadiste en seulement deux coups de feu...

Etienne  Augé

Etienne Augé

Étienne Augé est spécialisé en propagande et diplomatie publique. Il a enseigné la communication et le cinéma de masse pendant dix ans au Liban et en Europe centrale. Il est aujourd'hui "Senior lecturer" en communication internationale à l'Université Erasmus de Rotterdam, et vient de publier son premier roman, Loubnan.

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Atlantico : En marge des frappes aériennes contre l'Etat islamique, la Grande-Bretagne a également décidé d'envoyer des troupes au sol d'élite. Comment faire la part de narration et de réalité dans ce type d'information ?

Etienne Augé : La Grande-Bretagne possède, à mon sens, l'une des plus belles propagandes qui soit car elle maîtrise très bien sa narration, celle d'un Empire valeureux en proie aux bouleversements du siècle et qui lutte pour sauver la civilisation. Ce narratif n'a pas beaucoup changé en quelques décennies et le courage des soldats de sa majesté est bien souvent mis en avant, vaillants défenseurs de la liberté et des valeurs britanniques. Ce n'est pas un hasard si les princes ont souvent été photographiés en train de faire leur service militaire.

La Grande-Bretagne vend un modèle économique militaire, comme toutes les nations marchandes d'armes. Vanter les exploits des soldats britanniques, c'est également promouvoir l'académie militaire de Sandhurst ou l'excellence de l'équipement et des armes made in UK. C'est une opération de relations publiques afin d'intimider l'ennemi mais également dans le but de pour vendre un système militaire presque clés en main.

"Utiliser tant de snipers à la fois renforce la peur, les terroristes ne savent pas ce qui leur arrive. Ils voient juste leurs collègues morts gisant sur le sable", témoignait une source des SAS citée par le Mail on Sunday. Cette stratégie de communication relève-t-elle des mêmes ressorts que celle de l'armée soviétique, qui pendant la bataille de Stalingrad fit de Vassili Zaïtsev l'incarnation vivante et performante de la lutte contre l'armée nazie ?

Pas exactement car dans le cas de l'armée soviétique, on était dans la désinformation. Ici, il s'agit de propagande. On n'est pas obligés de mentir, en revanche, on peut enjoliver la réalité ou cacher certains éléments. On est plus dans American Sniper, le courageux soldat qui se bat pour son pays, même s'il reste très humain. 

D'une manière générale, qu'est-ce qui a changé dans les procédés de communication de l'Occident s'agissant de leurs conflits armés ?

Pas grand chose, sinon que nous disposons maintenant de plus de canaux avec les médias sociaux, donc plus de possibilités de diffuser sa version des faits. L'armée israélienne possède sa chaîne sur YouTube pour montrer la précision de ses bombardements. La CIA a un compte Twitter. Le Mossad a depuis longtemps son site internet. La propagande de guerre utilise tous les médias à sa disposition et aujourd'hui il y en a de plus en plus. On peut ainsi toucher plus de gens en temps réel dans le monde entier, en pouvant parfois même être assez précis pour atteindre son public. Mais les médias traditionnels restent les plus importants vecteurs narratifs, ils agissent donc en coordination avec les médias sociaux.

Certains experts estiment qu'avant d'être militaire, la guerre qui oppose l'Occident à l'Etat islamique est d'ordre idéologique. La "propagande" occidentale vous semble-t-elle aussi efficace que celle des djihadistes ? 

La propagande occidentale est plus efficace que celle des djihadistes puisqu'elle n'est que très peu remise en question dans son camp. Le monde entier semble persuadé que l'EI est ce que j'appelle le NEO (Nouvel Ennemi de l'Occident) dans mon livre (Petit traité de propagande à l'usage de ceux qui la subissent ndlr), alors même que Boko Haram cause bien plus de victimes. La réaction immédiate de la France après les attentats a été de chercher à venger ses morts en intensifiant les bombardements et cette réaction a été très peu critiquée à l'heure où chacun pensait que chanter la Marseillaise tenait lieu de brevet de patriotisme.

Les pays occidentaux développent donc une propagande bien supérieure à l'EI, qui s'avère être un ennemi commode car possédant des méthodes "barbares" qui vont à l'encontre des principes de notre civilisation. Une fois de plus, à une propagande  répond non pas une réflexion, mais une autre propagande. Au lieu de se demander pourquoi l'EI existe et quel serait le meilleur moyen de le combattre, on utilise la violence en la justifiant. Je doute que cela remonte notre cote dans les pays du Moyen-Orient devant le nombre de victimes locales, qui se trouve entre l'EI et la coalition, entre deux feux, écartelés entre deux propagandes.

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