Lumpen 2.0 : les nouvelles technologies ont-elles créé un nouveau prolétariat ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les emplois créés par le secteur des nouvelles technologies sont de deux types : des emplois de production de moyenne valeur ajoutée dont une grande partie a été délocalisée et des emplois de plus forte valeur ajoutée dans la production de contenus et la
Les emplois créés par le secteur des nouvelles technologies sont de deux types : des emplois de production de moyenne valeur ajoutée dont une grande partie a été délocalisée et des emplois de plus forte valeur ajoutée dans la production de contenus et la
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Netocrates vs. taskrabbits

Les taskarabbits. C'est ainsi que l'on surnomme les individus vivant d'une économie née grâce aux nouvelles technologies et faite en grande partie de services entre particuliers. Mais sur ce nouveau marché, encore faut-il avoir quelque chose à échanger.

Robin Rivaton

Robin Rivaton

Robin Rivaton est chargé de mission d'un groupe dans le domaine des infrastructures. Il a connu plusieurs expériences en conseil financier, juridique et stratégique à Paris et à Londres.

Impliqué dans vie des idées, il écrit régulièrement dans plusieurs journaux et collabore avec des organismes de recherche sur les questions économiques et politiques. Il siège au Conseil scientifique du think-tank Fondapol où il a publié différents travaux sur la compétitivité, l'industrie ou les nouvelles technologies. Il est diplômé de l’ESCP Europe et de Sciences Po.

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Atlantico : Les nouvelles technologies, au sens large du terme, sont souvent encensées pour ce qu’elles génèrent comme valeur et comme emplois. Pourtant, certains emplois sont amenés à disparaître en raison même de ces nouvelles technologies. Quel est le ratio créations/destructions d’emplois de cette industrie ?

Robin Rivaton : Le raisonnement économique à l’appui de cette affirmation est celui de la "destruction créatrice" forgé par J. Schumpeter dans son livre Capitalisme, Socialisme et Démocratie. Il désigne le processus ininterrompu de disparition d’industries conjointement à la création de nouvelles activités économiques, permettant de réembaucher les employés licenciés par les activités en déclin. Toutefois le réemploi n’est pas une prédiction exacte et le bilan peut s’avérer négatif si ces nouvelles filières ont moins recours au travail qu’au capital en tant que facteurs de production.

Je ne crois pas que ce soit le cas pourles industries des nouvelles technologies qui nécessitent sans doute moins de travail direct mais dont l’éco-système qu’elles engendrent est plus riche en emplois. Pour reprendre une comparaison souvent brandie par ceux qui critiquent le ratio créations/destructions d’emplois, General Motors et Apple ont un chiffre d’affaires assez similaire, respectivement 152 et 170 milliards de dollars, mais le premier a près de quatre fois plus d’employés que le second.

Néanmoins s’arrêter à cette comparaison simpliste ne prend pas en compte les emplois générés chez les fournisseurs, qui sont plus nombreux pour Apple, l’entreprise ayant sous-traité une majorité des opérations de production, mais oublie surtout les emplois induits par l’écosystème. Comment ne pas prendre en compte les trois cent mille emplois de développeurs et créateurs que nourrit l’écosystème d’iOs aux Etats-Unis face auquel l’écosystème de General Motors parait bien plus faible.

De quelle nature sont les emplois ainsi créés ? Les modèles économiques utilisés dans le secteur des nouvelles technologies ne condamnent-ils pas à une forme de précarité ?

Le ratio de créations/destructions d’emplois n’est qu’un élément quantitatif qui doit se doubler d’une analyse qualitative. Les emplois créés par le secteur des nouvelles technologies sont de deux types : des emplois de production de moyenne valeur ajoutée dont une grande partie a été délocalisée et des emplois de plus forte valeur ajoutée dans la production de contenus et la conception des objets.

Ils ont introduit une forme de précarité parce qu’ils n’ont pas opté pour la création d’emplois à moyenne valeur ajoutée dans les pays développés. Néanmoins ce modèle est de plus en plus remis en cause par la montée des coûts salariaux en Asie et par les possibilités de développement de l’automatisation industrielle qui permettent de relocaliser dans les pays développés, principalement aux Etats-Unis, avec un nombre d’emplois plus réduits toutefois.

La vraie question est celle de la destruction de ces emplois intermédiaires qui fondaient auparavant le socle de la société. Depuis deux ans, les essais et les analyses se multiplient sur la formation d'un sablier dans la société américaine consécutif à la disparition de la classe moyenne. Par contraste, les emplois à faible valeur ajoutée se développent rapidement en corolaire des emplois à forte valeur ajoutée du fait d’une spécialisation de la société.

La récente entrée en bourse de Twitter et l’importante levée de fonds de Spotify  ont montré la capacité de ce type d’entreprises à attirer d’importants capitaux. Mais comment la valeur ajoutée se répartit-elle ?

La situation actuelle peut être tronquée par les énormes masses de liquidité qui circulent à l’échelle de la planète et tendent à créer des bulles dans différents secteurs, on l’observe également du côté des infrastructures, alors que les perspectives dans plusieurs marchés émergents se sont assombries récemment (Inde, Brésil…).

Il ne faut pas douter que les sociétés qui réussissent à lever autant d’argent n’ont la confiance des investisseurs que parce que leurs projections de croissance et leur capacité à gagner de l’argent sont élevées. Néanmoins les records battus lors de ces IPO posent la question de la répartition de la richesse générée par ces sociétés. De plus en plus de voix aux Etats-Unis s’élèvent contre les Netocrates, ces jeunes généralement issue des classes aisées ayant fait fortune dans les nouvelles technologies et sans aucune aspiration sociale. Ces nouveaux oligarques s’affranchiraient des lois des Etats, en contournant la fiscalité et les règles sociales, tout en profitant de l’image bienveillante dont ils bénéficient parmi la population du fait des services rendus par leurs produits.

Par ailleurs, Internet a encouragé le développement d’une économie dite "invisible" en grande partie basée sur les services de particuliers à particuliers. Quels sont les avantages et les inconvénients de cette économie, portée aux nues par les uns et conspuée par les autres ?

Dans la lignée des critiques faites aux Netocrates, l’économie collaborative est pointée du doigt pour ses conséquences économiques. Si au niveau micro-économique, elle est plébiscitée parce qu’elle répond aux aspirations individuelles des gens qui souhaitent abandonner le statut de salarié et qu’elle permet une consommation à moindre coût, ses détracteurs ne manquent pas d’en souligner les dommages macro-économiques.

En permettant une consommation en dehors des règles de protection du consommateur ou des exigences de qualité imposées par les Etats, elle conduit à détruire la valeur des produits et services déclarés qui respectent ces dernières. Elle se traduit évidemment par un manque de recettes fiscales pour les Etats qui ne parviennent pas à tracer, ni taxer ces transactions. Enfin, elle profite essentiellement aux classes aisées qui ont quelque chose à échanger ou louer, voiture, logement, excluant les catégories les plus modestes. A titre personnel, je reste persuadé qu’un juste équilibre est à trouver avec la possibilité d’un service collaboratif dont la qualité serait assurée par l’assurance privée et avec une taxation mineure mais nécessaire pour équilibrer la compétition.

Les gens qui vivent de cette économie – location de leurs appartements, petits boulots ponctuels etc.- sont appelés "taskrabbits". Est-ce une alternative satisfaisante pour ces nouveaux travailleurs ?

Il ne faut pas se leurrer, comme je le disais vivre de cette économie signifie soit être quelqu’un dont la force de travail est suffisamment recherchée pour pouvoir travailler à la mission, soit posséder des objets matériels à offrir. Pour les autres, cette économie n’est qu’un complément de revenus. Mais il ne s’agit pas d’une révolution. Du strict point de vue économique, l’économie collaborative est la recherche d’économies d’échelle dans l’utilisation d’un bien. Une voiture accueille en moyenne 1,1 passager, ce qui est une perte très importante, à laquelle un site de covoiturage comme Blablacar répond.

Traditionnellement, la famille répondait à cette recherche d’économies d’échelle, le repas, le loyer et les biens d’équipement étaient partagés par un nombre élevé d’individus. L’explosion de la cellule familiale a détruit ces économies d’échelle, par exemple la décohabitation a signifié que le nombre de personnes par foyer est passé de 3,1 en 1970 à 2,3 en 2010, ce qui a en retour déclenché la colocation. Les nouvelles technologies permettent aujourd’hui de reconstruire des économies d’échelle en répondant à l’exigence d’autonomisation des individus qui veulent pouvoir choisir avec qui ils partagent cela et surtout sans les contraintes de durée de la cellule familiale. Pour résumer l’économie collaborative est une recherche d’économies d’échelle avec un coût de transaction plus faible que ne l’était la famille.

Cette économie invisible est-elle un modèle voué à durer ou n’est-elle qu’une phase de transition qui fait suite à la crise économique de 2008 ?

Je pense qu’elle est vouée à perdurer tant elle souligne les grands traits du modèle social à venir. Je pense que la société sera plus divisée entre un cœur d’individus choyés, protégés par leurs employeurs et des franges plus flexibles et pour qui l’économie collaborative offrira un complément de revenus ou une baisse des consommations de loisirs, de transport… Mais la bonne nouvelle c’est que la fluidité entre ces deux cercles sera très forte. La baisse des coûts de l'accès aux NTIC aujourd'hui, et aux biotechnologies demain, offre à chacun la possibilité de prendre en main son destin. Dans un monde où l'éducation ne sera plus une obligation mais pourra s'acquérir en ligne à coût faible, le critère de réussite ne sera plus l'origine sociale mais la motivation intrinsèque des individus

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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