"Leur chamade" de Jean-Pierre Montal <!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Pierre Montal publie "Leur chamade" aux éditions Séguier.
Jean-Pierre Montal publie "Leur chamade" aux éditions Séguier.
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Littérature

L'ouvrage de Jean-Pierre Montal, "Leur chamade", fait partie de ces livres qui se lisent d’une traite.

Alice Ruffi

Alice Ruffi

Alice Ruffi, issue d’une famille d’amateurs d’art, est une lectrice passionnée de tous ces auteurs « irréguliers » d’hier et d’aujourd’hui, dont l’écriture nous éclaire et nous transforme.

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« Leur chamade » raconte la naissance d’une passion aussi bien amoureuse qu’intellectuelle, et les bouleversements qu’elle provoque dans la vie d’une femme à travers une saisissante fresque sur un demi-siècle de notre histoire.

Jean-Pierre Montal sonde ici plus en profondeur le fossé entre les générations et les époques avec toujours ce mélange d’ironie et de lucidité teintées de mélancolie. Ce quatrième roman prouve l’affirmation de son style dans son plein épanouissement.

Jean-Pierre Montal, Leur chamade, Séguier, 2023, 20€

« April is the cruellest month. » T.S.Eliot

« Leur chamade » fait partie de ces livres qui se lisent d’une traite. Captivés dès les premières pages, nous sommes d’emblée installés dans un décor qui nous procure cette sensation à la fois étrange et rassurante, de déjà-vu. Nous y étions avant même d’ouvrir le livre. Et cette forme d’intimité s’instaure en découvrant le titre et la couverture qui annoncent des références sûres et reconnues : un film (La chamade), un réalisateur (Alain Cavalier), une actrice (Catherine Deneuve), une écrivaine (Françoise Sagan). 

Au début du récit,  l’inauguration officielle d’un bâtiment publique, qui a lieu un jour de mai 2022 à Gesevac dans le Lot-et-Garonne. Edwige Sallandres, architecte quinquagénaire, a conçu ce nouveau musée avec son agence parisienne. Elle s’évade un instant pour se remémorer une période tout aussi douloureuse qu’essentielle de sa vie. Une semaine particulière débutant trois ans plus tôt par l’enterrement de sa mère et s’achevant par l’incendie de Notre-Dame. Elle retrouve une partie manquante du journal de sa mère et constate les répercussions capitales provoquées par le roman de Sagan et son adaptation cinématographique, dans sa propre existence. Car sa mère et son père s’étaient rencontrés sur le tournage de « La chamade ». L’héroïne du roman reconstitue ainsi le passé de ses parents tout en revivant sa relation tumultueuse avec Daniel Giesbach qui fut aussi son patron et mentor en architecture. 

Voilà pour la trame, en surface. Oui, parce qu’à l’issue de cette lecture au pas de course, où l’auteur parvient à nous glisser dans la peau d’une femme de notre époque, la profondeur de champ dans laquelle se déploie le récit, nous apparaît alors manifeste. Avec ce quatrième roman, Jean-Pierre Montal met en effet son exigence au service d’une construction audacieuse reliant avec brio fond, forme et rythme. 

La toile de fond de « Leur chamade » est l’architecture. La passion qu’Edwige et Daniel vouent à celle-ci, nous est dévoilée au moyen d’un long travelling sur un florilège de bâtiments signés par les architectes qui forment leur panthéon : de Viollet-le-Duc, Auguste Perret, Henri Sauvage et Jean Walter, en passant par Fernand Pouillon, Roland Simounet, Pierre Chareau et Le Corbusier jusqu’à Maurice Novarina et Claude Parent. Ce dernier étant un représentant du brutalisme et inventeur de la fonction de l’oblique. « Au fond, la modernité n’existe pas » pense Edwige partageant ce point de vue avec Daniel qui a participé au développement de l’architecture des années 70 et 80. Tant décriée, jadis convaincue d’être meilleure que les autres, elle est devenue désuète et considérée laide de nos jours. L’auteur semble nous livrer sa prédilection pour cette époque, son style qui exalte l’absence d’ornements et le caractère brut du béton. Une position peut-être en réaction à la prolifération de bâtiments de plus en plus spectaculaires, sans racines, en apesanteur, générés par un marché planétaire. Une manière de résister à un mouvement d’oubli dans lequel cette histoire patrimoniale risque de tomber.

Cette plongée un peu vertigineuse dans ce panorama architectural se fait depuis une structure à plusieurs niveaux permettant des ramifications spatio-temporelles qui couvrent un demi-siècle. Et Montal rythme cette correspondance entre forme et fond par une partition en trois tempos - trois chapitres enchâssés entre le prologue et l’épilogue. D’abord, le mouvement s’installe. Mise en place de l’alternance des époques par des flash-backs maîtrisés. Ensuite, une accélération. Au risque d’un excès de vitesse nous atteignons l’apex du mouvement. Puis, on décélère d’un coup. Fin de la chamade qui nous laisse un peu sonnés comme le ferait une batterie de tambours, et traversés par deux sensations indissociables : les ravages du temps et le chemin parcouru. C’est alors que les personnages nous apparaissent dans leur épaisseur. Ce couple déchiré entre une profonde complicité, leur passion commune, et une incommunicabilité générationnelle, vingt-cinq ans les séparent, sait d’être voué à l’échec. Femme aux regrets assumés, Edwige affirme sa personnalité au fil des années. Instinctive et réfléchie à la fois, elle comprend que l’émulation doit prévaloir sur les sentiments afin de ne pas gâcher son talent. Charismatique, « l’ego poussé dans le rouge », Daniel se terre définitivement dans le rempart de ses habitudes, évitant ainsi toute désillusion. 

Mais rien ne peut briser leur complicité intellectuelle qui trouve son expression la plus accomplie dans leurs interminables virées nocturnes en Lancia Flavia. Ils arpentent Paris pour revoir leurs immeubles préférés comme on se repasse les scènes d’un film que l’on connaît sur le bout des doigts. « Leur chamade » est la démonstration que la sensualité peut être intellectuelle. Pour preuves aussi ces descriptions minutieuses qui se glissent dans la narration - le motif du tissu de la robe Yves Saint Laurent portée par Deneuve, le bureau en mezzanine du père d’Edwige, le musée qu’elle inaugure au début du récit ou la vision du mur couleur bleu Gitanes qui le clôture - créant des instants de pur plaisir esthétique. 

Maniant avec maestria l’art de la formule mordante parfois lapidaire digne d’un moraliste du XVIIeme, Montal ne peut cependant s’abstenir de rajouter une fine couche de mélancolie à son tableau. « Les architectes fabriquaient des ruines et les cinéastes des fantômes. » Que reste-t-il d’une œuvre ? Mais le tempérament mélancolique, mélange de résignation et de rêverie, n’est-il pas propre à l’artiste et source mystérieuse de sa force créatrice ? « For the happy few » qui ont lu tout Montal - je gage qu’ils sont désormais devenus « happy many » - il ne leur sera pas passé inaperçue l’apparition à six reprises de l’auteur par l’intermédiaire de Pierre Varlin, son alter ego fictionnel. Tel un caméo de réalisateur, ce clin d’œil adressé au lecteur est un signe irréfutable que son style est arrivé à maturité. Saganien ou pas, hussardien peut-être, Montal se distingue assurément par la singularité du timbre de sa voix. 

Jean-Pierre Montal, Leur chamade, Séguier, 2023, 20€

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