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Les Saoudiens désormais forcés d’accepter des emplois qu’ils confiaient auparavant uniquement à des immigrés
©STRINGER / AFP

Austérité au royaume de l’or noir

Le chiffre de la population saoudienne réellement active est probablement inférieur à 10%. Mais la crise étatique, liée à la chute des revenus du pétrole, met à mal l'Etat providence saoudien et va obliger la population à se mettre au travail.

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

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De plus en plus de Saoudiens semblent se diriger vers des métiers manuels ou peu qualifiés. Comment peut-on expliquer ce phénomène ?

Ardavan Amir-Aslani : L’Etat saoudien est en crise. Rappelons qu’à l’arrivé au pouvoir du Roi Salmane, les réserves de l’Arabie Saoudite s’élevaient à 600 milliards de dollars. Or, avec la guerre au Yémen et la baisse des cours du pétrole, les ressources de l’Etat ne cessent de s’amenuiser. On parle aujourd’hui de réserves qui ne dépasseraient pas les 200 milliards de dollars, soit un tiers de ce que le pays a connu il y a trois ans. La situation est tellement grave que le déficit public saoudien représente plus de 25 % de son produit intérieur brut en cette année 2018. Cette situation a même amené le Fonds Monétaire international à tirer la sonnette d’alarme dès 2016 en précisant que le royaume serait cash-out d’ici 2020.

L’Etat n’est donc plus à même d’entretenir ni sa propre population nationale ni celle des travailleurs immigrés. Il convient de savoir que sur une population de 28 millions d’habitants, plus de la moitié sont des travailleurs étrangers, principalement des Africains et des Asiatiques. Ne pouvant continuer à subventionner la vie active, le gouvernement saoudien a contraint presque deux millions de travailleurs étrangers à quitter le pays ces cinq dernières années. Il s’agit principalement des travailleurs Ethiopiens qui ont été invité à quitter le territoire saoudien. Sachant qu’encore aujourd’hui, et ce malgré les départs forcés, 70% de la population active est composée d’étrangers et que sur les 30% restant, la moitié sont des femmes, il en découle que seulement 15% de la population masculine travaille.

Pour faire simple cela signifie que 85% de la population masculine ne travaille pas. Même sur cette tranche de 30% de la population saoudienne active il convient de relativiser puisque beaucoup d’entre eux travaillent dans ce que l’Etat qualifie de « saoudisation » du marché de travail. Il s’agit, en fait, d’une obligation imposée aux employeurs d’avoir recours à la population saoudienne sous forme de quotas. Beaucoup sont payés à rester chez eux tellement leur motivation pour le travail est faible. Il en résulte que le véritable chiffre de la population saoudienne réellement active est probablement inférieur à 10%.

Peut-on également y voir un lien avec les réformes entamées par le prince héritier ?

Pas vraiment. Ce dernier a certes comme projet de transformer le pays en un pays industriel d’ici 2030 mais dans la pratique c’est chose impossible. La plupart des Saoudiens ayant fait des études universitaires sont diplômés en théologie ou en sciences sociales. Des filières très peu propices à l’industrialisation. C’est également le cas du Prince héritier qui aurait une licence en droit. On ne voit que très difficilement où le pouvoir saoudien pourra trouver la main-d’œuvre qualifiée permettant au pays de s’industrialiser. D’ailleurs, les emplois qui sont à pourvoir du fait des départs forcés des travailleurs immigrés sont des emplois très peu qualifiés.

En fait, ce que la plupart des observateurs ne savent pas, c’est que l’Arabie saoudite qui est certes un pays riche mais qui de par l’inégalité dans la distribution des richesses connait des situations très disparates. Un tiers de la population est classée comme pauvre ou vivant en dessous du seuil de pauvreté ne disposant que tout juste assez d’argent pour se sustenter une fois les loyers payés.  Si l’Etat, qui consacre déjà 50% de son budget à financer les « emplois » des saoudiens devait réduire la voilure, les Saoudiens les plus démunis n‘auraient d’autre alternatives que de chercher du travail même faiblement rémunéré.

On est donc très loin du schéma idyllique des reformes qui mettraient les Saoudiens au travail !

Comment la situation est-elle susceptible d'évoluer selon vous?

Mal. Les Saoudiens ont une mentalité de rentier. Le peuple n’a jamais vraiment travaillé depuis la découverte du pétrole. Ils adhérent à l’adage « les étrangers travaillent pour les Saoudiens mais les Saoudiens ne travaillent pas pour les Saoudiens ». Le wahabisme, religion d’Etat, n’arrange pas non plus les choses. Un sentiment de supériorité imprègne profondément la mentalité saoudienne. Ceci a pour effet de créer une certaine condescendance vis-à-vis des emplois non qualifiés. Ainsi si l’Etat n’est plus à même d’assurer un revenu sans contrepartie à sa population, des risques de troubles sont à prévoir. Les saoudiens ne pourraient plus supporter le train de vie de leurs princes dirigeants à l’instar du prince héritier qui tout en appelant la population à se préparer pour une période de vache maigre achète pour son compte un yacht à 400 millions de dollars et une maison à Louveciennes de 500 millions de dollars. L’austérité ne peut être que pour les autres.

Pour les femmes, la situation est encore pire. Un certain Abdullah Mohammed Daoud avait même appelé en 2013 sur Twitter à agresser sexuellement les femmes saoudiennes caissières dans les supermarchés afin de les inciter à rester chez elle...

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