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Eric Ciotti plaide pour un revenu net de 1 5000 euros pour les agriculteurs minimum.
Eric Ciotti plaide pour un revenu net de 1 5000 euros pour les agriculteurs minimum.
©Thomas SAMSON / AFP

Attitude ambivalente

Nous assistons aujourd’hui à un recul du libéralisme dans l’expression de la droite républicaine française.

Frédéric Mas

Frédéric Mas

Frédéric Mas est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef de Contrepoints.org. Après des études de droit et de sciences politiques, il a obtenu un doctorat en philosophie politique (Sorbonne-Universités).

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Atlantico : Eric Ciotti plaide pour un revenu net de 1 5000 euros pour les agriculteurs minimum. "Aucun agriculteur ne doit gagner moins de 1 500 euros net par mois", a ainsi affirmé le chef des Républicains. De son côté, le député au Parlement européen François-Xavier Bellamy déclare être "hostile aux accords de libre-échange". La droite républicaine est-elle en train de devenir allergique au libéralisme ?

Frédéric Mas : La droite française, rappelons-le, a toujours eu une attitude ambivalente vis-à-vis du libéralisme. C’est un courant historiquement minoritaire au sein de cette famille politique. 

Traditionnellement et historiquement, on divise la droite en trois sous-familles. Il y a d’abord les légitimistes, qui sont par essence illibéraux, mais aussi les bonapartistes, eux aussi très autoritaires et interventionnistes dans le domaine de l’Etat. Enfin, il y a l’orléanisme, qui tend à défendre les intérêts d’une certaine finance, de manière modérée. C’est auprès d’eux qu’il faut chercher des libéraux à droite, quand bien même il faut bien se rendre à l’évidence : ces positions sont généralement assez modérées. Cela résulte d’une contrainte structurelle et institutionnelle : les partis, quels qu’ils soient, ne défendent pas des lignes idéologiques mais bien des intérêts. Dans un pays où l’Etat est omniprésent et fait partie intégrante de l’identité de la nation, il est très difficile de trouver des espaces où peuvent se développer une société libérale comparable à celles d’autres nations dans lesquelles le marché apparaît plus naturel.

Ceci étant dit, il est vrai que nous assistons aujourd’hui à un recul du libéralisme dans l’expression de la droite républicaine française. Depuis le milieu des années 2010, il y a un net recul du libéralisme dans le discours tenu par les plateformes politiques de droite. Cela ne s’observe d’ailleurs pas qu’en France : c’est vrai au niveau mondial, où l’on constate à la fois une crise du libre-échange et un retour au protectionnisme ainsi qu’au nationalisme. A cet égard, on peut penser que le recul du libéralisme (qui s’observe partout dans le monde, encore une fois) fait aussi office d’effet de mode. Les solutions portées par le libéralisme sont sous le feu de la critique, y compris à droite et jusqu’aux Etats-Unis d’Amérique. Dès lors, l’hostilité à la mondialisation et au libre-échange innerve l’ensemble de notre société et se retrouve donc également à droite.

Pourquoi la droite emprunte-t-elle cette voie politique, selon vous ? A-t-elle beaucoup à gagner en s’éloignant de l’un de ses chemins traditionnels, tant sur les plans économique qu’idéologique ?

La droite fait face à un problème, en France : elle est écartelée entre la macronie d’un côté, qui a su lui tailler des croupières au centre-droit jusque dans son électorat le plus compatible aux idées libérales, et le Rassemblement national de l’autre côté, dont le discours est populiste. Tout l’enjeu des Républicains, aujourd’hui, c’est d’arriver à exister entre ces deux courants. C’est de là que naît le problème d’identité du parti, qui espère trouver des solutions pour revenir au pouvoir en imitant et en réglant son pas tantôt sur la macronie, tantôt sur la formation de Marine Le Pen.

Dans les deux cas, il ne s’agit pas de libéralisme. Le Rassemblement national est une formation nationale populiste, dont le discours est extrêmement protectionniste, ainsi que son ancienne candidate à l’élection présidentielle a eu l’occasion de le rappeler durant la crise des agriculteurs. La macronie, pour sa part, est issue d’une gauche technocratique rocardienne, dont le discours est très peu libéral pour quiconque gratte un peu sous le vernis. Il s’agit bien davantage d’un discours keynésien. Il n’y a rien de libéral dans la planification écologique, qui compose la grande politique du président de la République aujourd’hui.

L’autre problème de la droite, c’est qu’elle n’est pas très bonne… au moins sur le plan sociologique. Le monde agricole, et c’est là son grand drame, a sociologiquement disparu en l’espace de dix ans. Dans son livre La France sous nos yeux, Jérôme Fourquet illustre comment les poids démographique, économique et social de l’agriculture se sont réduits comme peau de chagrin dans notre pays. Le réflexe pavlovien de la droite, consiste aujourd’hui à coller tant que faire se peut aux aspirations d’une partie du monde paysan (les grands propriétaires plutôt que les petits). Difficile de dire dans quelle mesure c’est électoralement viable. Le cas présent est clair, puisque l’écrasante majorité des Français soutient la cause des agriculteurs. Mais si l’objectif est de récupérer des clientèles électorales, il faut se rendre à l’évidence : les agriculteurs constituent une clientèle minoritaire.

Si Les Républicains se décident à abandonner le libéralisme, qui peut aujourd’hui servir de débouché à ces idées, pour l’intégralité des électeurs français qui souscrivent encore à cette grille de lecture ?

Le fractionnement libéral du mouvement libéral est réel, en France. Nous avons très peu de débouchés sur le plan immédiatement politique dans ce domaine.

Bien sûr, certains essayent tout de même de tenir le flambeau. C’est le cas, notamment de David Lisnard, mais force est de constater que nous manquons aujourd’hui de débouchés politiques libéraux.

Quel est l’enjeu politique dont il faut ici s’inquiéter ?

Il y a, avant tout, un enjeu basique d’économie. Ce que la disparition du libéralisme dans le débat public a de vraiment inquiétant, c’est qu’elle s’accompagne de la totale disparition de la question économique, traitée sérieusement s’entend. Les dépenses publiques explosent et nous apparaissons incapable de maîtriser notre déficit ainsi que notre dette, notamment depuis la période Covid.

Personne, pourtant, ne semble prendre ces questions au sérieux. C’est très grave. L’avenir "radieux" qui se profile à l’horizon pour la génération à venir, c’est la tutelle du FMI, comme cela a pu être le cas de la Grande-Bretagne à la fin des années 1970.

Autre point important : cela s’accompagne aussi, me semble-t-il, d’une disparition de la question des libertés publiques et de l'État de droit. Nous faisons face à un mouvement autoritaire général, extrêmement favorable à la présence d’un État présent en tout, extrêmement sécuritaire au détriment des libertés publiques des citoyens ordinaires. C’est une tentation que l’on retrouve à droite comme à gauche, qui n’inquiète plus, semble-t-il, que des juristes minoritaires et à la marge du débat public.

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