Les nouvelles routes de la soie chinoise pourraient bien devenir une gigantesque catastrophe financière globale <!-- --> | Atlantico.fr
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Le projet de Xi Jinping pourrait avoir du plomb dans l'aile.
Le projet de Xi Jinping pourrait avoir du plomb dans l'aile.
©WANG ZHAO / AFP

Les alarmes sur la viabilité économique du projet se multiplient. La Chine pourrait avoir trop joué avec le feu.

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën est professeur émérite d'économie à l'Université PSL-Dauphine. Il est spécialiste d’économie internationale et a publié de nombreux ouvrages et articles sur la mondialisation. Il est également l'auteur d'un récit romancé (en trois tomes) autour de l'économiste J.M. Keynes : "Mr Keynes et les extravagants". Site : www.jean-marcsiroen.dauphine.fr

 

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En seulement cinq ans, la Chine en lançant son gigantesque projet de nouvelles routes de la soie est devenue la plus grande source de crédit de développement au monde, éclipsant la Banque mondiale et le FMI. Pourtant tous les projets financés ne sont pas sans risque et que cela soit au Sri Lanka ou au Venezuela, la Chine se voit obligée de rallonger la somme pour éviter des défauts de paiement. Y a-t-il un risque important de l’accord de tels prêts pour l’économie mondiale ? Pourquoi l’ampleur des investissements de la banque des nouvelles routes de la soie pose-t-elle problème ?

Lancée en 2013, la Belt and Road Initiative (BRI ou « nouvelles routes de la soie ») visait à mieux connecter la Chine au continent euroasiatique et à l’Afrique de l’Est afin de favoriser ses exportations. Ce projet nécessite de lourds investissements d’infrastructures dans les pays concernés - réseaux ferrés, ports maritimes, etc. – généralement financés par des prêts chinois.

Dès le début ce projet qui a fasciné certains a suscité des doutes chez quelques autres non seulement sur sa viabilité économique et financière, mais aussi sur ses intentions cachées. Sa finalité est-elle seulement commerciale avec un jeu « gagnant-gagnant » pour tous ou relève-t-elle aussi d’une volonté expansionniste, voire impérialiste, de la Chine ?

Dans la première hypothèse d’investissements porteurs de développement et de croissance, les investisseurs, c'est-à-dire les banques publiques et commerciales chinoises, se devaient d’être très attentifs au rendement de l’investissement, à leurs conséquences économiques et sociales ce qui s’accompagnait d’une évaluation fine des risques.

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Dans l’hypothèse expansionniste, c’est davantage l’intérêt géopolitique qui serait pris en compte quitte à accepter un niveau de risque plus élevé quand le pays en vaut « politiquement » la peine. Le prix à payer est alors de satisfaire les besoins de financement de pays qui éprouvent des difficultés à emprunter ailleurs c'est-à-dire justement les pays les plus risqués. D’une certaine manière, l’acceptation du risque de défaut est inhérente à cette stratégie expansionniste sachant qu’une fois en difficulté, le pays concerné pourrait ne pas avoir pas d’autre choix que de s’assujettir davantage à son créancier, en l’occurrence, la Chine.

La Chine a donc joué avec le feu et se trouve confrontée à un risque de défaut qu’elle n’est pas assurée de pouvoir gérer. Elle se heurte au dilemme classique : soit on constate la défaillance ce qui affecte les fonds propres des banques prêteuses et provoque éventuellement leur faillite et par contagion, une violente crise bancaire et financière, soit on la masque en prêtant à nouveau quitte à ne faire qu’aggraver le risque et à … encourager les pays à faire défaut.

La Chine agit-elle différemment que la Banque mondiale ou d’autres organismes ? Quels sont les dangers d’un tel comportement sur les marchés ?

La Banque mondiale, la Banque asiatique de développement (BAD) et même la Banque Asiatique d’Investissement pour les Infrastructures (créée pourtant à l’initiative de la Chine en 2015), sont des banques « multilatérales » dont le capital est partagé entre les États membres (la France est ainsi actionnaire des trois institutions). L’essentiel du financement se fait sur les marchés financiers internationaux et ces institutions, par ailleurs adossées aux États membres, doivent bénéficier du « rating » le plus élevé possible (AAA) pour bénéficier des taux d’intérêt les plus bas, ce qui permet de prêter à des taux modérés aux pays en développement boudés par les banques. Ces institutions ne peuvent donc pas se permettre de « mal » gérer le risque.

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Au contraire, les prêts chinois en cause aujourd’hui sont « bilatéraux » : ils lient un pays aux banques chinoises. Les contrôles du risque ne relèvent que du gouvernement chinois (on peut douter de son respect des normes prudentielles internationales…). Pourtant en cas de faillite d’un pays qui serait due à une mauvaise appréciation du risque, c’est l’ensemble des créanciers, chinois ou pas, qui serait touché. Certains pourraient alors être mieux remboursés que d’autres. De ce point de vue, la communauté internationale (si on peut désigner ainsi le G7, le G20 ou le club de Paris qui supervisent la restructuration des dettes) a favorisé un traitement multilatéral des pays mis en défaut afin d’éviter que certains s’en sortent mieux que les autres dans la restructuration de la dette. La Chine serait-elle prête demain à participer à ce jeu coopératif ou adoptera-t-elle l’attitude du « passager clandestin » ?

Mais ce n’est pas le seul problème. Le monde est exposé au risque systémique. Le battement d’ailes du papillon sri lankais pourrait, en passant par la Chine, déclencher la tempête en Europe et en Amérique. Si le défaut de pays débiteurs de la Chine provoque la faillite d’institutions chinoises, par ailleurs fragilisées par des prêts intérieurs eux aussi hautement risqués (les prêts immobiliers du géant Evergrande, par exemple) c’est le système économique et financier mondial qui pourrait être menacé, soit une crise de type 1929 ou 2008 (faillite de Lehman Brothers).

Sans bonne analyse de gestion de risque, les projets de financement sont-ils voués à l’échec sur le long terme ?

L’analyse du risque n’est pas une science exacte et c’est le cauchemar des financiers que de vouloir catégoriser leur nature, leur niveau ou la probabilité qu’ils se réalisent. Il arrive même aux agences de notation les plus sérieuses de se tromper !

La question ne se limite pas à l’analyse « rationnelle » du « risque » au sens large (y compris les études d’impact économique, social et environnemental). Elle concerne aussi le processus de décision qui repose sur des rapports de force internes et externes, des stratégies politiques indéchiffrables ou d’erreurs de direction idéologiques sur la route du développement.

En ce qui concerne les projets d’infrastructure, l’histoire est remplie d’« éléphants blancs », c'est-à-dire de gros investissements qui apparaîtront vite démesurés, inadaptés aux besoins, et assujettis à des prêts qui devront être néanmoins remboursés. Ils sont souvent la conséquence de l’« hubris » des décideurs qui auraient tendance à voir trop beau et trop grand, à surestimer les débouchés tout en sous-estimant les défis technologiques ou logistiques. En Chine, qui relève encore largement de l’économie planifiée, c’est maintenant le surinvestissement à l’étranger qui en plus du surinvestissement industriel (sidérurgie,…) ou immobilier, pourrait poser des problèmes au pays.

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