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es nouveaux émoticônes de Snapchat sont à l’origine d’un système de castes chez les ados.
es nouveaux émoticônes de Snapchat sont à l’origine d’un système de castes chez les ados.
©Reuters

Amitié déçue, amitié rompue

L'application de messagerie instantanée Snapchat a "réhabilité" la fonction "meilleur ami", qui avait été supprimée, au moyen d'émoticônes permettant de classer les amis en fonction de leurs interactions. Le danger ? Un système de classement excluant et pointant du doigt les "impopulaires".

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini est docteure en sociologie de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et et actuellement chercheuse invitée permanente au CREM de l'université de Lorraine.

 

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Atlantico : L'application de messagerie instantanée Snapchat a "réhabilité" la fonction "meilleur ami" qui avait été supprimée, au moyen d'émoticônes permettant de classer les amis en fonction de leurs  interactions. Quel est le risque de créer un "système de caste" chez les adolescents ? 

Nathalie Nadaud-Albertini : Ce système comporte plusieurs écueuils. Le premier est de confondre quantité des interactions et qualité de la relation, car les différents autocollants sont apposés sur les photos en fonction du nombre de messages échangés. Mais le nombre d’échanges ne dit rien de la qualité de la relation et du plaisir que l’on ressent dans l’interaction. Par exemple, quand on se dispute, on peut échanger beaucoup de messages, la discussion n’est pas agréable pour autant.

On en arrive au second éceuil : ce système de classement ne prend pas en compte une réalité des usages des réseaux sociaux selon laquelle on n’interagit pas uniquement avec des gens que l’on apprécie, on échange des messages avec des gens que l’on n’aime pas. Aussi paradoxal ou étrange que cela puisse paraître à un utilisateur extérieur, sur les réseaux sociaux, on peut entretenir des relations d’inimitié tenace, active et marquée dans la durée.

Le dernier écueil est bien évidemment de créer une compétition dont l’enjeu est une amitié excluant les personnes extérieurs. En effet, le cœur doré associé à la mention "vous êtes chacun le meilleur ami de l’autre" est conçue comme une sorte de médaille récompensant les deux protagonistes. Alors que la grimace avant "votre meilleur ami est ami avec X" signale une autre personne comme une menace pour l’amitié. L’implicite de ce système est alors que l’amitié ne pourrait pas inclure plus de deux personnes. C’est une vision erronnée, car l’amitié c’est le partage avec l’autre et non l’exclusion de l’autre.

Ces émoticônes peuvent-elles accentuer ce qui se passe déjà dans les cours d'écoles et de collèges ? 

Comme ce système instaure une compétition à la popularité, on retrouvera les mêmes dynamiques que dans les cours d’écoles et de collèges qui reposent elles aussi sur une compétition à la popularité, du moins en partie. Comme l’envie d’être le plus populaire, ou de se valoriser en étant ami avec les plus populaires et pas forcément avec ceux que l’on apprécie.

De la même façon, la mention "besoin d’amour" apposée sur les profils qui ont le moins d’échanges est très proche du doigt pointé vers "le boloss", l’impopulaire, le laissé pour compte du relationnel qui existe toujours dans  une cour d’école ou de collège.

Ces émoticônes pourraient-elles même redéfinir entièrement les différents degrés de hiérarchie en matière d'amitié entre les ados ? 

Non, on ne peut pas aller jusque-là. Car ce serait faire comme si la popularité et la compétition étaient les seules composantes des relations d’amitié entre ados, et surtout comme si tout se jouait sur les réseaux sociaux. Les relations d’amitié de face-à-face existent également et sont plus complexes.

Quelle importance les adolescents accordent-ils à ce genre de classification ? Comment les protéger ? 

L’adolescence est une période où l’on se cherche, et où il est donc important de se sentir apprécié par le plus grand nombre de personnes. En effet, plus ce dernier est élevé, plus l’ado a le sentiment que son identité est validée par autrui. La propension à accorder de l’importance à ce genre de classification serait donc accrue.

Cependant, les profils des ados sont multiples. On retrouvera toujours ceux qui sont fortement engagés dans la quête de popularité, de la même façon que l’on retrouvera une poignée d’amis qui se satisfont de leur petit groupe plus discret.

Si l’on considère que l’on doit protéger les ados de ce type de système, il faut leur expliquer que la qualité d’une relation ne peut pas se mesurer en terme de quantité d’interactions. Tout dépend de ce que l’on ressent quand on discute avec telle ou telle personne. De plus, il convient d’expliquer que l’amitié n’est pas une compétition, mais un plaisir, et que l’autre n’est pas une menace pour la relation. Au contraire, elle peut venir l’enrichir.

N'y a-t-il pas des aspects positifs à cette nouvelle classification à plusieurs degrés ? 

Si, bien sûr. Tout d’abord, deux amis très liés dans la vie quotidienne peuvent apprécier de voir leur amitié "récompensée" sans en faire pour autant une course à la popularité. Je pense notamment aux classiques "deux meilleures amies" qui échangent tout et sont toujours ensemble que tout un chacun a croisé dans sa vie. Pour elles, ça peut être un moyen d’exprimer la force de leur amitié. Comme avant on pouvait prendre des photomatons amusantes ensemble.

En outre, on peut avoir des usages qui prennent les mentions du système au second degré et s’en amusent. Dans ce cas, le fait de rire ensemble des émoticônes classant les amis en fonction de leurs interactions va renforcer l’amitié. Autrement dit, comme dans tout média, les usages ne sont pas toujours une lecture en accord avec le sens proposé par le contenu.

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