Les multiples enjeux de l’utilisation d’armes chimiques par l’Etat islamique en Irak <!-- --> | Atlantico.fr
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Un soldat de l'armée irakienne.
Un soldat de l'armée irakienne.
©Reuters

Un peu de fair-play

L'Etat islamique a récemment fait l'acquisition de tout un panel d'armes, comprenant notamment des armes chimiques. Essentiellement à base de chlore, permettant notamment la fabrication de gaz moutarde et autres gaz "primitifs", ces armes sont utilisées contre les troupes kurdes.

Alain Chouet

Alain Chouet

Alain Chouet est un ancien officier de renseignement français.

Il a été chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE de 2000 à 2002.

Alain Chouet est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam et le terrorisme. Son dernier livre, "Au coeur des services spéciaux : La menace islamiste : Fausses pistes et vrais dangers", est paru chez La Decouverte en 2011.

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Atlantico : Dans son édition du 21 août 2015, le quotidien Le Monde fait état de l'utilisation d'armes chimiques par l'Etat islamique, dans le cadre du conflit contre les forces kurdes. D'après le quotidien, les charges explosives de certaines roquettes ont été remplacées par du gaz moutarde. Comment l'EI a-t-il mis la main sur ce genre d'équipement ? D'où provient un tel arsenal ?

Alain Chouet : Dès l’été 2013 il est apparu à la suite d’opérations de la police turque que des militants de l’Etat islamique disposaient de gaz sarin qu’ils transportaient sans grandes précautions dans des véhicules banalisés. Il s’agit là d’un toxique très élaboré que les djihadistes avaient probablement pillé en petites quantités dans des entrepôts conquis de l’armée syrienne. A l’heure actuelle, on constate plutôt l’utilisation de chlore et de gaz moutarde (mélange d’éthylène et de chlorure de soufre) dont certaines quantités étaient également stockées avant 2013 dans des infrastructures de l’armée régulière mais qui peuvent également être fabriquées à partir de produits industriels par des chimistes de niveau quelconque. Il ne s’agit donc pas d’un « arsenal » élaboré fourni par des puissances étrangères mais plutôt de bricolages locaux souvent aux risques et périls de ceux qui les utilisent.

Dans la publication du Monde, les officiers Kurdes se plaignent lourdement de l'utilisation d'armes chimiques qu'ils disent vouées à déstabiliser l'armée kurde. Selon eux, elles serviraient à utiliser la peur pour combler les difficultés de l'EI à avancer. Dans quelle mesure l'utilisation de telles armes peut-elle effectivement faire bouger les lignes de fronts ?

Les Kurdes sont dans leur ensemble très sensibilisés à l’utilisation des armes chimiques et des gaz dont ils avaient été les premières et plus nombreuses victimes du temps de Saddam Hussein en Irak. Pour autant, compte tenu de la mise en œuvre relativement artisanale des gaz par l’Etat Islamique, leur utilisation limitée a effectivement une vocation plus psychologique qu’opérationnelle et ne paraît – à terme et après une phase initiale de surprise et de sidération - pas plus susceptible de faire bouger les lignes que l’utilisation des matériels plus conventionnels.

A défaut de pouvoir faire évoluer la situation militaire à proprement parler, quel peut être le rôle de ces armes chimiques dans la communication autour de ce conflit ? Permettent-elles aux Kurdes une tentative pour sensibiliser l'Occident ? De qui les Kurdes pourraient-ils vouloir se prémunir ?

Le problème actuel des Kurdes de Syrie est de supprimer ou au moins d’alléger la menace que fait peser sur eux la pression militaire du gouvernement islamiste turc d’Erdogan sous prétexte de lutter « équitablement » contre toutes les formes de terrorisme qu’ils soit le fait des djihadistes ou celui des irrédentistes kurdes. Pour l’instant les Kurdes de Syrie sont les principales victimes de la soi-disant offensive turque contre l’EI. Les Kurdes ont donc tout intérêt à mobiliser les opinions publiques occidentales qu’ils savent très sensibles à l’utilisation des armes chimiques pour que celles-ci fassent pression sur Ankara en vue de dissuader le gouvernement turc d’utiliser la menace islamiste comme paravent à une vaste offensive anti-kurde.

L'Occident, et notamment la France, a livré à plusieurs occasions des armes aux rebelles des pays des environ, comme à la Syrie ou à la Libye. Dans quelle mesure l'Occident a-t-il contribué à armer les djihadistes contre qui il veut mener le combat ?

L’assistance militaire de l’Occident (essentiellement américaine et française) à l’inconsistante Armée Syrienne Libre (ASL) s’est surtout concrétisée en activités de formation opérationnelle d’ailleurs très limitées, ainsi qu’en assistance technique pour les télécommunications et l’imagerie aérienne ou satellitaire. Les fournitures d’armes (essentiellement fusils de précision et armes anti-chars) ont été également très limitées car il est très rapidement apparu qu’elles étaient soit revendues au Front al-Nosra rallié à Al-Qaïda soit confisquées par l’Etat Islamique. En tout état de cause, ces deux organisations n’avaient pas vraiment besoin de fournitures extérieures, l’une et l’autre s’étant plus que largement dotées en armes de tous calibres – du pistolet au char d’assaut – dans les casernes et entrepôts conquis des armées régulières de Syrie et d’Irak.

Cela étant, et même si ces opérations d’assistance ont été limitées, elle n’ont pas contribué à la lisibilité de la stratégie des Occidentaux qui ont armé ici ceux contre lesquels ils combattent ailleurs, qui prétendent lutter contre le djihadisme en s’alliant militairement à ses principaux instigateurs idéologiques et financiers depuis trente ans, qui prônent la démocratie en faisant cause commune avec des théocraties rétrogrades, qui tolèrent au sein de leur principale alliance militaire qu’est l’OTAN un gouvernement qui ne cache même pas ses larges connivences avec les djihadistes.

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