Les jeunes Chinois se rebellent de plus en plus contre la compétition sociale qui leur est imposée dès la naissance<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Cette photo prise le 27 mai 2017 montre des jeunes en train de regarder leurs smartphones dans un restaurant de Pékin.
Cette photo prise le 27 mai 2017 montre des jeunes en train de regarder leurs smartphones dans un restaurant de Pékin.
©NICOLAS ASFOURI / AFP

"Involution"

En Chine, le poids de la compétition sociale, des études, du monde du travail et de la réussite est de plus en plus lourd pour les jeunes générations. Deux expressions ont mis en lumière la frustration ressentie par une partie de la jeunesse chinoise.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

Voir la bio »

Atlantico : Certaines expressions se sont imposées et sont de plus en plus partagées en Chine. Elles reflètent la frustration et les angoisses de la jeune génération chinoise. Quels sont ces termes et que représentent-ils réellement ? Comment ces concepts ont émergé au sein de la société chinoise ? Que dénotent-ils et que symbolisent ces expressions pour la jeunesse chinoise ?

Emmanuel Lincot : Un mouvement contraire aux exhortations du régime, le mouvement « hun xiao », vocable complexe dont la traduction oscille entre « involution » ("nei juan" est parfois aussi employée comme expression...), « repliement » voire « chaos » (hun = perturber ; xiao = abolir) s’est développé partout dans les grandes conurbations chinoises auprès surtout des jeunes. A Shanghai tout d’abord où un esprit individualiste protestataire et la tentation du relâchement physique et moral se fait entendre à travers une expression devenue slogan sur les réseaux sociaux : « tang ping », rester à plat. L’expression est virale depuis que Xi Jinping a exhorté ses compatriotes à faire un troisième enfant et à « retrousser les manches avec courage » (« jia you gan »). Il se heurte en fait à l’inertie croissante d’une partie de la population qui dit préférer vivre sans effort. Les inégalités que l’appareil tente de garder sous le boisseau, s’accroissent ; le coût de la vie et surtout des logements dont les prix sont enflammés par la spéculation immobilière, augmentent ; l’ascension traditionnelle par l’étude et même le « guanxi » devient plus aléatoire, parfois hors de portée. Du coup certains jeunes prennent le contrepied du volontarisme social de leurs parents et choisissent d’en faire le moins possible.

À Lire Aussi

La Chine veut revoir l’éducation de ses garçons pour les rendre plus « masculins »

Ces phénomènes d’"involution" ou "neijuan" en chinois et celui de "lying flat" ou "tang ping" en mandarin peuvent-ils mettre à mal le modèle chinois et le parcours traditionnel des jeunes Chinois sur le plan éducatif, sur la voie de réussite et dans le monde du travail ? Une fracture peut-elle d’ailleurs naître entre ces deux catégories au sein de la société chinoise ?

Emmanuel Lincot : Le risque de fracture sociale existe bien sûr. 600 millions de Chinois vivent avec une moyenne de 140 euros mensuels. Tout augmente : les loyers, les études, les frais de santé… L’impact de la Covid-19 n’a pas arrangé les choses et les tensions de plus en plus vives avec les Etats-Unis n’augurent rien de bon. Le vieux slogan « enrichissez-vous », cher jadis à Deng Xiaoping, est invalidé par l’attitude qu’adopte le Parti à l’encontre des hommes d’affaires les plus riches. Jack Ma qui incarnait pour toute une génération le véritable rêve chinois a fait les frais des vindictes du Parti. Bref, non seulement l’ascenseur social est en panne mais le nationalisme exacerbé est dans une impasse. Avoir 20 ans en Chine, n’est sans doute pas le plus bel âge de la vie et surtout, la population jeune ne veut plus être instrumentalisée par le pouvoir comme l’ont été les générations précédentes. Ce sont là des défis importants à relever pour Xi Jinping alors que l’on s’apprête à célébrer le 100° anniversaire du Parti Communiste et que l’on s’active déjà à préparer le Plénum de la rentrée. 

Comment expliquer que ce phénomène prenne de l’ampleur au sein de la jeunesse chinoise actuellement ? Existe-t-il un effet générationnel ? Les réseaux sociaux ou les plateformes comme Weibo ont-ils pu jouer un rôle ?

À Lire Aussi

Le mannequin russe devenu une star en Chine, la culture du Sang Wenhua... et le miroir qu’ils nous tendent

Emmanuel Lincot : j’y vois une forme de résistance passive. Elle s’exprime par le rap mais aussi par une attitude de défiance vis-à-vis du pouvoir. Arrêtez de nous enfumer et laissez- nous vivre nos vies… : c’est en résumé ce que beaucoup de jeunes ressentent. Ils savent au fond d’eux-mêmes que le Parti, durant toute son histoire, n’a jamais cessé de mentir sur l’état réel de la société. Nul n’est dupe par exemple sur le nombre réel de victimes de la Covid-19 à travers le pays. Plus personne ne croit non plus aux valeurs rédemptrices d’un marxisme-confucéen. L’ADN idéologique du régime est en panne et malgré la censure, les gens savent bien que l’image de la Chine s’est partout sérieusement dégradée dans le monde. Les réseaux sociaux jouent bien sûr un rôle essentiel et pour être rompus à des décennies de dialectique, chacun en Chine sait qu’une chose énoncée véhicule souvent son sens contraire. Là encore, nul n’est dupe sur l’état de décalage par rapport à l’Occident en matière de vaccins, par exemple. C’est l’Occident qui a démontré qu’il était à la pointe des biotechnologies pour se débarrasser en un temps record de la Covid-19. Pas la Chine.

Ce phénomène et cette détresse de la jeunesse chinoise à travers ces expressions sont-ils une menace pour le pouvoir chinois, pour les autorités ? La jeunesse chinoise pourrait-elle se rapprocher de mouvements de protestations extérieurs comme le Milk tea alliance de la région ?   

Emmanuel Lincot : C’est le risque, oui. Xi Jinping fait figure de plombier. Quand une fuite est colmatée dans le navire, une autre apparaît aussitôt. Sa préoccupation essentielle est d’éviter que les brèches ne s’élargissent et que des revendications pour l'heure relativement isolées ne fassent écho à d’autres et finissent par s’accroître. Le Milk Tea Alliance est né des mouvements des tournesols (Taïwan) et des parapluies (Hong Kong), la même année, en 2014. Il s’est développé dans toute l’Asie du Sud-Est en ayant recours à des réseaux sociaux qui eux, sont bannis en Chine continentale. Techniquement, la création d’une cohésion d’ensemble entre ces protestataires est difficile mais l’hypothèse d’un rapprochement entre chacune de ces obédiences doit être évalué avec sérieux. Dans une logique d’affrontement idéologique, il y a fort à parier que les Etats-Unis et leurs alliés dans la région veuillent à terme utiliser ces mouvements contre Pékin et son pouvoir. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !