Les géants pétroliers portent un coup extrêmement sévère à la Russie de Poutine<!-- --> | Atlantico.fr
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Une vue aérienne du champ gazier de Bovanenkovo sur la péninsule de Yamal en Russie, le 21 mai 2019.
Une vue aérienne du champ gazier de Bovanenkovo sur la péninsule de Yamal en Russie, le 21 mai 2019.
©ALEXANDER NEMENOV / AFP

Guerre économique

Le retrait des multinationales du secteur, de Exxon à BP, n’aura pas d’impact immédiat mais sans ces compétences étrangères, les entreprises russes risquent un avenir sombre

Samuel Furfari

Samuel Furfari

Samuel Furfari est professeur en géopolitique de l’énergie depuis 20 ans, docteur en Sciences appliquées (ULB), ingénieur polytechnicien (ULB). Il a été durant trente-six ans haut fonctionnaire à la Direction générale de l'énergie de la Commission européenne. Auteur de 18 livres.

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Atlantico : Alors que le monde occidental s’est concerté afin de mettre en place un nombre important de sanctions à l’encontre de la Russie, de nombreux géants de l’énergie tels que BP, Equinor ou Shell ont annoncé vouloir se retirer totalement du marché russe. Quelles peuvent être les conséquences de ces retraits pour la Russie ?

Samuel Furfari : En l’état actuel des choses, ce n’est pas ces retraits qui devraient avoir le plus d’effets négatifs pour la Russie. Les investissements ont déjà été faits et de grosses structures sont déjà en place. A plus ou moins long terme en revanche, si d’autres entreprises du secteur de l’énergie décident de se désengager de la Russie, le pays pourrait ne plus avoir les compétences modernes et de pointe nécessaires pour continuer à extraire les énergies fossiles présentes dans son sol. De plus, sans nouveaux investissements, la situation pourrait devenir très compliquée pour maintenir les infrastructures en état de fonctionnement.

En effet, à la différence d’une centrale nucléaire qui demande seulement quelques travaux d’entretien mais qui peut rester active près de 80 ans, les infrastructures pétrolières demandent des investissements constants. Les difficultés pourraient donc se manifester dans plusieurs années pour la Russie, ce qui lui laisse une marge de manœuvre, comme se tourner vers d'autres investisseurs, à condition qu'elle en trouve. Pour cela, s’ils doivent se passer de TotalEnergie, BP ou Shell, les Russes devront faire appel à des technologies étrangères qu’ils devront payer à un prix très élevé puisque le rouble à été dévalué de 50% en deux jours. Ensuite, les pétroliers russes devront toujours revendre leur gaz, ce qui pourrait s’avérer compliqué.

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Ces groupes ont bien stipulé qu’ils avaient l’intention de se désengager du marché russe. Mais pour cela, ils devront eux aussi y laisser des plumes. Il devront trouver des acteurs qui acceptent de racheter leurs parts, et cela se chiffre en milliards d’euros. Pour l’instant on ne voit pas qui d’autres que des Russes pourraient acheter, et le rouble ne vaut pas grand-chose. L’intention est bonne mais il ne faut pas être naïf, les ventes pourraient mettre du temps à se réaliser. Il reste à voir si des entreprises chinoises voudront acheter, mais certainement pas immédiatement vu le chaos et l’incertitude qui plane sur l’avenir de la Russie.

A quelles difficultés les entreprises russes pourraient-elles être confrontées ?

De très nombreuses entreprises du secteur parapétrolier, dites de services, sont appelées pour couvrir les différents aspects de la prospection jusqu’à la production et notamment le forage. Il y a par exemple le cimentage, qui consiste à consolider l’intérieur du puits afin qu’il ne se referme pas et ne pollue pas les éventuelles nappes phréatiques. Pour la plupart, ces grandes et petites entreprises sont inconnues du grand public. Pourtant, elles sont absolument essentielles. Si elles se retirent du marché russe par effet domino, tout le fonctionnement des installations de production sera affecté.

Ces géants européens et américains risquent-ils eux aussi de subir des pertes en se désengageant du marché russe ?

Ces géants du pétrole pourraient subir de gros effacements d’actifs, s’ils ne vendentpas bien leurs actifs. En revanche, il ne faut pas se leurrer, ces entreprises ne sont pas des œuvres de bienfaisance et ne vont pas abandonner des investissements qui valent des milliards de dollars à Gazprom, Novatek ou Rosneft. Mettre fin aux investissements est donc une bien meilleure idée que de vendre, car les pertes seront plus faibles.

Prenons l’exemple de la péninsule de Yamal en Sibérie, où sont produits de grandes quantités de gaz naturel liquéfié. Le groupe russe Novatek et le groupe TotalEnergie ont investi (avec d'autres entreprises, chinoises notamment) 27 milliards de dollars dans un immense projet. L’installation produit déjà 25 milliards de mètres cubes de gaz chaque année. Tous les investissements ont déjà été faits, il ne reste qu’à effectuer la maintenance du site et engranger les prix de vente pour rembourser les banques et cela c’est essentiel. Ils ont lancé un deuxième projet nommé Arctic LNG2, qui est en cours de complétion, cette fois en plus des chinois il y a des japonais. Si TotalEnergie se retire, et le projet s'arrête, le groupe risque de subir de grosses pénalités car les commandes sont déjà passées. Les contrats contiennent des clauses et les banques ont déjà investi beaucoup d’argent. Les autres acteurs peuvent bien récupérer des parts mais à quel prix ? Quoi qu’il arrive, TotalEnergies perdrait beaucoup d’argent.

Et puis il faut aussi se garder de toute précipitation. Que va-t-il se passer d’ici un mois, un an ou cinq ans. Les gisements de la Russie ne vont pas disparaître. Le pays reste un « scandale géologique » avec une concentration de pétrole, de gaz naturel, de charbon et d’uranium anormalement haute en termes géologiques. L’horizon de temps de TotalEnergies est bien plus long que celui de Vladimir Poutine…

Si ces géants de l’énergie se retirent bel et bien du marché russe, pourrait-on assister à une baisse de l’offre en gaz ou en pétrole et donc à une augmentation des prix sur les marchés ? Les consommateurs seront-ils les premiers touchés ?

Le marché de l’énergie est vaste tant sur son côté offre que celui de la demande. C’est un marché qui a besoin d’investissements continus parce qu'un gisement en exploitation va s’épuiser et c’est pour cela qu’il faut explorer d’autres gisements et lorsqu’ils sont découverts il faut les préparer à l’exploitation. Cela prend du temps, généralement 5 à 10 ans entre la décision de prospection et la production. Ce qui veut dire la baisse des investissements en Russie aujourd’hui – toute chose égale par ailleurs, mais ce ne sera pas le cas avec le coup de force de Vladimir Poutine – aura des répercussions sur les coûts de production et donc une augmentation du prix du pétrole brut et du gaz naturel en Russie. Les premiers touchés seront les consommateurs Russes. Puisqu’il y a abondance de réserves en pétrole et en gaz naturel, les investissements iront se faire ailleurs.

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