Les Etats-Unis n’ont jamais produit autant de pétrole (ni autant réduit le pouvoir de nuisance de l’Opep)<!-- --> | Atlantico.fr
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La raffinerie de Big Spring vue le 04 octobre 2023 à Big Spring, Texas.
La raffinerie de Big Spring vue le 04 octobre 2023 à Big Spring, Texas.
©Brandon Bell / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

De nouveaux pics attendus

En 2023, la production de pétrole et de gaz a atteint des niveaux records aux États-Unis. Et de nouveaux pics devraient être enregistrés en 2024 et 2025.

Francis Perrin

Francis Perrin

Francis Perrin est directeur de recherche à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS, Paris) et chercheur associé au Policy Center for the New South (PCNS, Rabat).

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Atlantico : En 2023, la production de pétrole et de gaz a atteint des niveaux records aux États-Unis. Et de nouveaux pics devraient être enregistrés en 2024 et 2025. La production pétrolière américaine moyenne s’élèvera à 13,2 millions de barils par jour (b/j) cette année et à 13,4 millions l’année prochaine, indique l’Energy Information Administration (EIA). La production de gaz naturel devrait aussi atteindre un niveau sans précédent. Comment expliquer ce phénomène ?

Francis Perrin : L'industrie des hydrocarbures (pétrole et gaz naturel) aux Etats-Unis continue effectivement à générer d'excellents résultats. Pour le pétrole brut, la production de ce pays a été de 12,92 millions de barils par jour (Mb/j) en 2023, ce qui est un record. Et, selon l'U.S. Energy Information Administration (EIA), qui fait partie du département de l'Energie des Etats-Unis, ce record sera battu cette année (leur projection est de 13,21 Mb/j en 2024) puis en 2025 (13,44 Mb/j). Certes, des projections ne sont évidemment pas des certitudes mais je suis convaincu que celles-ci se vérifieront en termes de tendance. Pour le gaz naturel, la production était de 103,6 milliards de pieds cubes par jour (Gp.c./j) en 2023 et elle atteindrait, selon la même source, 105 Gp.c./j en 2024 et 106,4 Gp.c./j en 2025. Là encore, il s'agirait de deux nouveaux records. Rappelons que la production américaine d'hydrocarbures est très largement une production de pétrole et de gaz de schiste. Pour le pétrole, la proportion est de 82%. Le pétrole et le gaz de schiste n'ont pas toujours bonne presse, c'est le moins que l'on puisse dire, mais ce serait une très grave erreur de sous-estimer le potentiel des Etats-Unis dans ce domaine. Ce pays est d'ailleurs le premier producteur mondial de pétrole devant la Russie et l'Arabie Saoudite, dans cet ordre, et le premier producteur mondial de gaz naturel devant la Russie à nouveau. Il n'occuperait pas le premier rang sans les hydrocarbures de schiste. 

Pourquoi la poursuite de la hausse de la production pétrolière des Etats-Unis ? Pour une raison clé : la productivité des puits augmente. Il y a bien sûr des limites à cette tendance mais on ne les a pas encore atteintes. Les deux autres éléments clés derrière les évolutions de la production pétrolière américaine sont le nombre de forages et le déclin naturel des gisements déjà en production. Pour l'instant et pour l'avenir à court terme, la hausse de la productivité des puits est suffisante pour pousser à la hausse la production des Etats-Unis. Les arbres ne montent jamais jusqu'au ciel, dit un bon proverbe boursier, mais, pour ce qui concerne la production américaine d'hydrocarbures, il y a encore une marge de manoeuvre avant de frôler le ciel. Et n'oublions pas que la production de brut aux Etats-Unis n'est pas toute la production de liquides de ce pays car il faut ajouter au brut des volumes importants de liquides associés au gaz naturel.

Dans quelle mesure les États-Unis ont considérablement dégradé le pouvoir de l’OPEP+ de dicter les prix du pétrole ou d’influencer les résultats géopolitiques ?

Il y a l'OPEP (12 Etats membres depuis le départ de l'Angola au début de cette année) et l'OPEP+ (22 pays, dont les 12 pays OPEP). La montée en puissance de la production pétrolière des Etats-Unis est un problème important pour cette organisation (OPEP) et cette coalition (OPEP+). Au-delà de ce pays, l'OPEP et l'OPEP+ ont d'ailleurs un problème avec le continent américain puisque, en 2024 comme en 2023, la progression de l'offre pétrolière non-OPEP sera principalement le fait des Etats-Unis, du Canada, du Brésil et du Guyana, deux pays d'Amérique du Nord et deux pays d'Amérique du Sud. Cela dit, il ne faut pas enterrer trop vite l'OPEP et l'OPEP+. Cette dernière représentait à la fin 2023 environ 41% de la production pétrolière mondiale et demeure donc un acteur très important sur le marché pétrolier mondial. Son pouvoir de marché et son influence sur les prix ne doivent pas être sous-estimés. Mais l'OPEP+ fait face à un grand défi : depuis l'automne 2022, elle a réduit sa production à plusieurs reprises mais l'offre pétrolière mondiale n'a pas baissé pour autant car les pays américains cités ci-dessus, dont les Etats-Unis au premier chef, ont continué à augmenter leur production. A ce jour, l'OPEP+ n'a pas trouvé de solution à ce problème. Les prix du brut restent relativement élevés, avec un Brent à $78,60 par baril le vendredi 19 janvier en fin de séance, mais ils sont soutenus par les tensions au Moyen-Orient. Sans la guerre entre Israël et le Hamas et, surtout, les menaces des Houthistes du Yémen sur le commerce maritime, les prix du pétrole seraient très probablement à des niveaux plus bas que ceux que nous constatons actuellement.   

Cela voudrait dire que la sortie des énergies fossiles n’est pas pour tout de suite ?

La sortie des énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz naturel) ne peut pas être pour tout de suite car elles représentent au moins 80% de l'énergie consommée dans le monde actuellement. En sortir à court terme est également impossible. En sortir à moyen terme est également impossible. C'est un enjeu de long et, plutôt, de très long terme. Cela ne signifie pas qu'il ne faut rien faire à partir de maintenant mais il est clair que, vu le poids actuel des énergies fossiles, la transition énergétique est une affaire de long terme. Et, quand on est comme les Etats-Unis le premier producteur mondial de pétrole et de gaz naturel, on n'est pas sur le point d'abandonner les hydrocarbures. Il en est de même pour de nombreux pays qui sont fortement dépendants des énergies fossiles. La transition énergétique est une réalité, notamment avec la très forte progression des énergies renouvelables (en particulier les énergies solaire et éolienne), mais on n'a pas encore réussi à faire baisser la part globale des énergies fossiles dans le monde. Cela se produira, avec ou sans COP28, mais ce défi de long terme et de très long terme est redoutable pour l'humanité.

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