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Les dirigeants sociaux-démocrates européens reçus à l’Elysée : mais pourquoi la France a-t-elle zappé cette étape pour foncer direct au social-libéralisme ?
©Reuters

Exception française

Ce samedi 12 mars, François Hollande réunit les sociaux-démocrates européens à Paris. Alors que François Hollande s'est souvent défini lui-même comme social-démocrate, la France n'a connu qu'une forme bien particulière et non assumée de social-démocratie.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Ce samedi 12 mars, François Hollande réunit les sociaux-démocrates européens à Paris. Alors qu'il s'est souvent défini lui-même comme social-démocrate, peut-on vraiment dire que la France a connu la social-démocratie ? N'y a-t-il pas des spécificités bien françaises ?

Christophe Bouillaud : La spécificité française, c'est d'abord qu'en France on mène une politique social-démocrate depuis longtemps, mais sans l'affirmer clairement. La SFIO comme le Parti socialiste n'ont jamais été réellement révolutionnaires. Mais il existe une tradition de la révolution et de la lutte des classes à gauche qui a conduit les socialistes à ne jamais rompre complètement avec la dialectique révolutionnaire, quand bien même ils défendaient ou menaient une politique social-démocrate. A l'inverse, le SPD allemand par exemple, a rompu depuis longtemps avec cette rhétorique.

Ce décalage a d'ailleurs eu des effets désastreux sur François Hollande. Il a fait une campagne en 2012 dans laquelle il a employé une rhétorique révolutionnaire comme lors de son discours du Bourget par exemple, pour finalement faire passer la loi Macron ou proposer la loi El Khomri. Cet écart entre le discours et les actes a fini par être trop important et c'est ce que lui font et vont lui faire payer les électeurs de gauche. Pourtant, on peut penser qu'un discours plus en adéquation avec la politique menée aurait eu pour effet de moins révolter cet électorat.

Par ailleurs, une autre spécificité, c'est qu'en France, c'est l’État qui a pris des décisions législatives pour imposer un certain nombre de progrès sociaux. Ce ne sont pas les partenaires sociaux proprement dit qui ont pris des décisions.

Cela s'explique par le fait qu'il n'a jamais existé un mouvement syndical unifié. Il y a toujours eu plusieurs syndicats avec des lignes très différentes et qui n'ont jamais été capables de véritablement s'unir pour agir de manière coordonnée. Il existe une tendance révolutionnaire, historiquement la plus forte dans les syndicats et incarnée par le CGT ou FO, et une tendance plus réformiste comme la CFDT.

A l'inverse, en Allemagne, un syndicat comme le IG Metall représentait à lui tout seul le cœur de la classe ouvrière allemande. Par conséquent, une fois que le patronat s'était mis d'accord avec ce syndicat, les choses pouvaient avancer sans une intervention trop importante de l’État. Cela a permis la conclusion de solides conventions collectives de branches, car appuyées sur une force syndicale importante. Tandis qu'en France, les accords sont toujours beaucoup plus faibles car les syndicats sont divisés, ce qui a conduit l’État à trancher et imposer le plus souvent sa solution.

Alors que l'Allemagne ou d'autres démocraties européennes se sont tournées sans ambiguïté vers le modèle social-démocrate, comment expliquer cette spécificité du modèle français, social-démocrate sans le dire et surtout sans coopération avec les syndicats ?

Une des premières raisons tient au lien historiquement très faible entre le Parti socialiste et les mouvement syndicaux. Il n'y a pas de tradition bien établie d'actions coordonnées entre eux. A l'inverse par exemple de l'Angleterre où le Trade union congress – le syndicat ouvrier – a soutenu pendant très longtemps son parti politique, le Labour Party.

La deuxième raison de la spécificité française, c'est la concurrence entre les socialistes et les communistes. Pour garder le soutien des ouvriers et de la gauche révolutionnaire française représentée par le Parti communiste, les socialistes ont longtemps eu besoin de conserver une dialectique marxiste et révolutionnaire. Cela leur a rendu impossible le fait de s'affirmer sociaux-démocrates, ce qui aurait exigé une rupture avec ce discours.

L'autre raison, évoquée plus haut, c'est l'éclatement très frappant en France des mouvements syndicaux. A la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la CGT s'est scindée en deux en CGT et CGT-FO. Le syndicalisme catholique s'est à son tour divisé en deux branches en 1964 entre CFDT et CFTC.

En quoi le mode de gouvernement en France actuellement diffère-t-il du modèle social-démocrate ?

Il faut commencer par rappeler que le modèle social-démocrate est très affaibli dans toute l'Europe. Les syndicats qui étaient très forts sont d'ailleurs de moins en moins puissants.

De plus, actuellement en France, le seul lien que conserve le Gouvernement socialiste avec les syndicats est un lien très ténu avec la CFDT. Or, ce syndicat n'est pas majoritaire, ce qui réduit encore la portée de ce lien. François Hollande n'a qu'une possibilité réduite de négocier de manière efficace qu'avec un seul des nombreux syndicats, qui ne représente donc que peu de salariés.

A l'ère de la mondialisation et du libre-échange, la social-démocratie n'est-t-elle pas destinée à muter en social-libéralisme ?

Je crois que la social-démocratie a déjà muté. Là où elle se maintient, la social-démocratie tient compte des contraintes de la mondialisation. C'est le cas notamment au Danemark ou en Suède. En revanche, je pense qu'à l'avenir le problème va être que la dualisation très forte du marché du travail va être difficile à gérer pour une force social-démocrate qui voudra redistribuer les revenus. Dans un monde dans lequel il y a peu d'intermédiaires entre les salariés très peu qualifiés exerçant des métiers à faible valeur ajoutée et les salariés ultra-qualifiés et fortement rémunérés, la redistribution est très compliquée. Cette dualisation est liée aux nouvelles structures productives qui emploient de moins en moins de salariés intermédiaires. La force de travail est soit au plus haut niveau, soit au plus bas.

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