Les défis américains de 2024<!-- --> | Atlantico.fr
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Un panneau anti-avortement se trouve le long d'une autoroute le 20 décembre 2023 près de Peosta, dans l'Iowa.
Un panneau anti-avortement se trouve le long d'une autoroute le 20 décembre 2023 près de Peosta, dans l'Iowa.
©SCOTT OLSON / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Divisions

En ces premiers jours de 2024, je vois là le plus grand défi qui attend les États-Unis : un travail colossal pour que notre planète commune devienne un endroit meilleur, où on pourra léguer à nos enfants et petits-enfants le droit de se diviser et se disputer.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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La démocratie

Avec les premiers jours de 2024, la nécessité de protéger la démocratie apparaît comme l'un des défis les plus immédiats pour les peuples du monde. La fin d’année a été marquée par l’horrible attaque du 7 octobre et par la spirale qui a avalé le Proche-Orient dans une guerre dont plus personne ne voit l’issue. Comment lutter à la fois contre le terrorisme et permettre à cette région de retrouver la paix en préservant les populations civiles ?  Comment arriver à une solution diplomatique et pacifique lorsque haine et rancœur font à chaque heure un peu plus leur chemin dans les cœurs de ceux qui sont au centre de ce cyclone ? En vérité, les nombreux défis sont écrasants partout alors que, depuis l’invasion de l’Ukraine, les guerres ont réveillé nos peurs les plus profondes. Les élections qui vont se succéder cette année ne seront paradoxalement pas porteuses d’espoir – ou pas forcément –, car beaucoup d’entre elles font craindre un basculement dans une instabilité plus forte encore. Taïwan, Russie, Sénégal, Mexique, États-Unis, Rwanda, Tunisie, Venezuela, Inde, Croatie, Géorgie, Roumanie, élections au parlement européen, voici quelques-uns des rendez-vous qui seront scrutés et dont les conséquences pourraient changer l’orbite du monde politique.

L’avortement

Bien sûr, les défis géopolitiques ne sont pas la préoccupation de tous les électeurs. Le regard des uns s’arrête davantage sur des angoisses liées à la sécurité, à l’émigration ou à des pertes de repères et une incompréhension manifeste lorsque d’autres considèrent l'agression permanente des femmes dans le monde entier, en particulier à travers la religion, comme le summum de l’intolérable. Aux États-Unis, cette préoccupation a pris une dimension nouvelle avec l'annulation par la Cour suprême de la protection fédérale que constituait l’arrêt Roe v Wade depuis 1973.  Aussitôt dénoncée comme une attaque contre les soins de santé de toutes les femmes, la décision de la Haute cour a rassuré les croisés de la défense de la vie (les « Pro Life »), porteurs d’une invocation défendue au nom d’un sentiment religieux. Le déchirement social est indiscutable dans la société américaine, et les plus radicaux poussent leurs pions très loin : l'impact cruel de la lutte contre l’avortement s'est récemment manifesté sous nos yeux, lorsque Kate Cox s'est vue refuser au Texas le droit d'interrompre une grossesse, même après les témoignages des médecins qui avaient assuré que cela mettait sa vie en danger.

La division

L’opposition devenue frontale entre les héritiers de 1968 et les traditionalistes a beaucoup été commentée depuis la victoire présidentielle de Donald Trump en 2016. Les heurts entre les deux camps se sont aussi faits plus nombreux et plus bruyants. Trumpistes, MAGA ou conservateurs d’un côté contre Wokistes, Antifa ou progressistes de l’autre, les rives n’ont cessé de s’éloigner au nom de combats qui ne permettaient pas de toutes façons de les réconcilier. Les conséquences de ce face-à-face sont aussi très visibles avec les droits des personnes LGBTQ qui sont de plus en plus menacés, en particulier les droits des transgenres. Le racisme systémique n'est pas accepté, mais il n’est pas davantage combattu. Car la division sociale se traduit dramatiquement dans un combat politique qui pousse jusqu’à l’absurde, empêchant tout débat, toute discussion et tout compromis. Le seul mot d’ordre est de plaire à son camp et plus de gouverner pour tous. La guerre des tranchées parlementaire a pris le dessus sur l’intérêt général. La menace de blocage est permanente et la censure s’ajoute à cette recette maléfique, menaçant la vérité de l'histoire.

Les combats du quotidien

Pendant que la pensée politique se perd dans les méandres de questions qui ne soudent qu’un camp, portée par des opportunistes qui ne visent qu’un succès à portée immédiate et souvent que pour eux-mêmes, on en a oublié la pensée généreuse. Dans notre société les grands maux n’ont pas été guéris. Clairement identifiés à une époque plus faste économiquement, on les a vu revenir avec la pandémie et la crise économique. Et pourtant, l’incapacité à reconnaître et à traiter des questions essentielles pour le tissu de notre société nourrissent la radicalisation et font le lit des extrêmes : Comment accepter qu’il soit de plus en plus difficile de se loger ? Quid du logement abordable, du sans-abrisme, de la pauvreté des enfants, de la faim ? En 1962, le sociologue Michael Harrington avait publié son brûlot dénonçant la pauvreté et la souffrance qui frappaient tant d’Américains. Pourtant tout tournait alors à plein régime et les nouvelles technologies dopaient la productivité aussi bien dans l’industrie que dans l’agriculture. Dans l’Amérique fantasmée on opposait le Rêve Américain, expliquant que la pauvreté faisait aussi partie de son ADN et que les États-Unis s’étaient construits avec les rejetés du monde entier, qui trouvaient sur cette terre l’espoir d’accéder à un futur doré.

Le défi du futur

Le futur justement, est le combat d’aujourd’hui pour les États-Unis. Face aux angoisses du moment, les Américains se sentent suffisamment forts pour les surmonter tous. Leur histoire prouve par ailleurs que ceux qui proclament qu’il en sera ainsi n’ont pas forcément tort. Sauf que si le monde n’est pas plus efficace dans la lutte contre le changement climatique, il se peut qu’il n’y ait plus de monde dans lequel préserver la démocratie, débattre sur des droits fondamentaux, surmonter des divisions idéologiques ou résoudre les inégalités les plus scandaleuses. Joe Biden a expliqué que les heures que nous vivons pourraient bien déterminer l’avenir de notre monde.

A-t-il seulement été entendu ?

En ces premiers jours de 2024, je vois là le plus grand défi qui attend les États-Unis : un travail colossal pour que notre planète commune devienne un endroit meilleur, où on pourra léguer à nos enfants et petits-enfants le droit de se diviser et se disputer.

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