Les Ayatollahs du service public de l’audiovisuel obligent TF1 et M6 à renoncer à leur fusion et le grand gagnant est Netflix<!-- --> | Atlantico.fr
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Les groupes TF1 et M6 ont annoncé vendredi 16 septembre l'abandon de leur projet de fusion
Les groupes TF1 et M6 ont annoncé vendredi 16 septembre l'abandon de leur projet de fusion
©AFP/Archives

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Netflix n’est pas le seul à se réjouir. Amazon, Apple, Youtube et d’autres ne vont pas se gêner pour continuer leur conquête du marché mondial de l’audiovisuel puisque l’Europe est incapable de construire un concurrent

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Après presque un an de négociation, les actionnaires de TF1 et ceux de M6 ont finalement renoncé à fusionner et unir leurs forces pour constituer un groupe de taille internationale, capable de concurrencer les plateformes américaines de streaming à commencer par Netflix, le champion du monde, qui a déjà plus de 10 millions d’abonnés en France. 

Les dirigeants de TF1 et de M6 ont expliqué vendredi, dans un communiqué commun, que l’union que les autorités publiques du contrôle de la concurrence voulaient leur imposer « n’offrait plus aucune logique industrielle ». En clair, les deux groupes pouvaient très bien se marier mais pouvaient difficilement mettre en commun leurs actifs. Or, leur ambition était pourtant de constituer une entreprise internationale capable de développer des productions dans toute l’Europe et au-delà dans le monde. Produire et distribuer des films et des documents vidéo comme le fait aujourd’hui Netflix ou Walt Disney, sans parler d’Amazon ou d’Apple.

En réalité, quand on regarde les chiffres, l’autorité de la concurrence a tout fait pour empêcher TF1 et M6 de constituer un « mastodonte » qui aurait dépassé en poids et en influence France Télévisions. Les dirigeants de TF1 et de M6, notamment Gilles Pélisson et Nicolas de Tavernost, avaient pourtant pris la précaution de prévenir les autorités politiques, l’Élysée avec Emmanuel Macron, et Bercy avec Bruno Le Maire qui voyaient plutôt d’un bon œil cette opération de concentration industrielle.

Officiellement, l’autorité de la concurrence, institution indépendante et jalouse de cette indépendance, n’était évidemment pas contre le principe, mais très rapidement, s’est révélée si dure dans les conditions que le mariage devenait impossible. 

La principale condition mise aurait été d’abandonner une des deux chaines de télévision pour cause de position dominante sur l’audience et sur le marché publicitaire. Pour TF1 et M6, cette condition n’était pas recevable puisque le but de l’opération était de rapprocher les moyens. 

Sur l’audience, qui aurait représenté une position ultradominante (plus de 40 % de l’audience), l’objection était très théorique car personne ne pouvait garantir que le nouveau groupe réussissait à conserver le total des deux audiences d’autant que la concurrence qu’il fallait viser était européenne et mondiale.

Sur la publicité, les deux groupes avaient là aussi la possibilité de rassembler plus de 70 % du marché de la publicité. D’où, pour les experts de l’autorité de contrôle, le risque de concentration et de hausse des prix pour les annonceurs. Toute chose égale par ailleurs, la réserve est évidente sauf que plus de la moitié du marché de la télévision n’a pas accès à la publicité commerciale. De plus, tout le monde sait que la publicité à la télévision a tendance à se contracter à vitesse grand V, puisque les gros investissements passent déjà sur le digital, l’internet, les plateformes. 

Netflix et les autres plateformes vont d’ailleurs vendre des espaces publicitaires en offrant à leurs abonnés le choix. Ou bien les abonnés achètent les produits audiovisuels sans publicité commerciale au prix actuel (ou même majoré), ou bien ils prennent des abonnements à tarif réduit, mais avec de la publicité commerciale. Parions que dans les deux ou trois ans qui viennent, il y aura deux types d’abonnés à Netflix.  

Pour TF1 et M6, la part de marché de la publicité à la télévision est condamnée à reculer inéluctablement au profit de la publicité sur Internet et sur le streaming. Selon les calculs fournis par TF1 et M6, la part globale de la publicité serait tombée à moins de 50 %, ce qui aurait été acceptable. Mais les autorités de la concurrence ne l’ont pas entendu de cette manière. 

Après avoir donné l’impression d’accepter le dossier, l’autorité de la concurrence a demandé des réformes structurelles préalables qui rendaient l’opération inutile. 

Maintenant, c’est l’avenir de la production nationale et de la distribution des produits culturels européens qui est en jeu. 

Parce que, si on veut que demain, les grande plateformes étrangères, américaines d’abord mais pas seulement, puisque les chinois sont aussi très présents, soient les seules sur le marché mondial, il faut effectivement empêcher les européens de se regrouper. 

Si les services publics ne sont pas en mesure de mener ce combat et ils n’en sont pas capables; si par ailleurs, on a peur de la constitution de groupes privés trop importants, on ne pourra que laisser les américains s’installer et se développer comme ils sont en train de le faire. Et regretter que les créateurs français ou italiens, les producteurs, réalisateurs et acteurs s’expatrient à Los Angeles, parce que c’est là-bas qu’il faudra être pour travailler. 

Les grands gagnants de l’étouffement du cinéma européen ont été les studios américains. Les grands gagnants de l’asphyxie des télévisions européennes seront les grands du digital mondial. 

Netflix, Amazon, Apple, Walt Disney ont des moyens colossaux pour produire des films, des séries et acheter tous les catalogues de droits qui existent dans le monde. Le mariage interdit entre TF1 et M6 doit les faire sourire. 

A plus petite échelle, au niveau français, la classe médiatique et politique va maintenant observer avec gourmandise ce qui va se passer parce qu’il va bien falloir inventer un avenir à M6 dont l’actionnaire allemand veut se défaire. Puisque TF1 ne peut pas s’allier à M6, M6 va se retrouver sur le marché. Il existe des candidats au rachat. Évidemment, et la bagarre entre la poignée de capitalistes richissimes qui lorgnent vers les moyens de pouvoir reprendre, comme souvent dès que l’on parle de médias.

Le problème, c’est que cet épisode va révéler les enjeux de pouvoir à l’échelle française alors que nous aurions besoin d’une solution capable d’apporter une stratégie industrielle à l’échelle internationale. 

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