Les applications de nos smartphones sont-elles en train de nous transformer en sociopathes ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Une étude de Juniper Research estimait qu’en 2017, plus de 160 milliards d’applications au total auront été téléchargées mondialement sur smartphones et tablettes.
Une étude de Juniper Research estimait qu’en 2017, plus de 160 milliards d’applications au total auront été téléchargées mondialement sur smartphones et tablettes.
©Reuters

Psycho

Selon l’expression désormais consacrée, "il y a une application pour (presque) tout". Quand notre smartphone pense à notre place.

Catherine Lejealle

Catherine Lejealle

Catherine Lejealle est docteur en sociologie et ingénieur télécom (ENST Bretagne). Elle est professeur à l'ISC Paris et co-fondatrice de la Chaire Digital BusinessSes domaines de recherche couvrent les usages des TIC (téléphone portable, Internet, médias sociaux…)

Elle a publié La télévision mobile personnelle : usages, contenus et nomadisme,  Les usages du jeu sur le téléphone portable : une mobilisation dynamique des formes de sociabilité  aux Editions L'Harmattan et J'arrête d'être hyperconnecté ! : 21 jours pour réussir sa détox digitale chez Eyrolles.

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Atlantico : Une application proposée sous Androïd, Broapp, vous permet de sous-traiter une partie de votre vie amoureuse en envoyant à votre place des mots doux. L’année dernière, une étude de Juniper Research estimait qu’en 2017, plus de 160 milliards d’applications au total auront été téléchargées mondialement sur smartphones et tablettes. Comment les applications mobiles ont-elles transformé les comportements sociaux ?

Catherine Lejealle : Effectivement ce chiffre montre notre intérêt pour les applications et demande des explications. Premièrement, lorsqu’on télécharge une application à la fois sur le mobile et sur la tablette, elle est comptée deux fois dans ce chiffre. Or pour un bon nombre d’applications (allo ciné, journaux et sites d’info…) nous dupliquons sur les deux supports de façon à l’avoir toujours à portée de main. Par ailleurs, les applications se divisent en plusieurs catégories : il y a des applications liées à des pratiques culturelles et nos passions (en lien avec la musique, les films et séries, les news et l’actualité sportive ou autre, infos sur une passion comme la plongée…) et celles liées à l’utilitaire (recettes de cuisine, itinéraires et trajets…). Dans le cas des pratiques culturelles, les applications permettent de prolonger la pratique dans des contextes de mobilité et nomadisme. Ainsi, dans les transports, les moments d’attente, les pauses, on profite de ce temps seul pour se plonger dans des informations en lien avec nos passions et centres d’intérêt. Cela permet de passer de bons moments qui auparavant étaient des moments vécus comme du temps perdu et vides.

Dans le cas de l’utilitaire, les applications nous facilitent la vie et évitent de transporter des tas de guides et de plans. De plus, ils ont l’avantage d’être toujours à jour et souvent combinés à la géolocalisation vraiment plus pertinents que les solutions auparavant disponibles. On parle de néonomade dans le sens où il n’a plus besoin d’emporter une boussole ou de programmer et anticiper sur les idées de sorties. Le mobile lui suggère des choses à voir en fonction des endroits où il se trouve, de l’heure de la journée et éventuellement de ses préférences et goûts. On entend certains dire qu’il s’agit d’une déresponsabilisation et d’un enfermement mais ils oublient que personne ne vous oblige à consulter les suggestions et à continuer à regarder autour de soi, et à visiter une ville en se laissant aussi guider par ce qu’on voit. Couplé avec les modes de découverte habituels, le mobile ouvre d’autres portes et se pose en complément.

Des applis pour envoyer des messages à notre place ou encore pour envoyer des fleurs à sa femme. Notre téléphone pense à notre place. Ne sommes nous pas en train de sous-traiter de plus de plus les rapports humains à notre smartphone ?

Catherine Lejealle : J’observe que ces applications exotiques font davantage parler d’elles qu’être utilisées au quotidien. Alors qu’il a toujours existé des cartes postales avec messages déjà inscrits, personne n’aurait eu l’idée d’en rire ; là on en rit. Je ne crois pas au mobile qui décide d’envoyer des fleurs à notre place. Il y a toujours intervention humaine et décision. On retrouve là les peurs liées à la machine qui broie et remplace l’humain alors qu’il permet de déléguer des tâches répétitives et peu valorisantes. J’observe plutôt que les plateformes de communications se multiplient et qu’on a jamais autant envoyé de messages interpersonnels qu’avant (SMS, whatsapp, tweet, mails….). Les verrous financiers et techniques sont levés. Rappelons nous l’époque où le téléphone coûtait cher et où le courrier postal était lent.

L'idée d'origine du smartphone était d'encourager le lien social, ne va-t-on pas vers un effet inverse de désociabilisation ?

Catherine Lejealle : Non, on a multiplié les moyens de communication et permet l’envoi de photos facile, rapide et peu coûteux. On observe plutôt le partage en temps réel d’émotion, d’images et de commentaires. Les distances sont abolies. Et même en co présence, le mobile permet de faire écouter une musique, de montrer une photo et alimente la conversation. Il s’intègre dans la conversation pour l’enrichir.

Comment risquent d’évoluer les liens sociaux pour les plus jeunes consommateurs d’applications ?

Catherine Lejealle : Les jeunes ont structurellement plus de temps et s’amusent à télécharger des applications parfois pour les essayer et en discuter avec leurs pairs car on leur en a parlé. Le téléchargement est alors tourné vers l’autre pour partager. Il y a aussi le plaisir de satisfaire sa curiosité et de découvrir de nouvelles choses. Les jeunes sont très interconnectés, interagissent, partagent tout au long de la journée. On n’observe pas un repli sur soi-même. Tout au plus, peut-on craindre qu’ils vivent différemment l’instant car se regardent en train de le vivre. Ils font quelque chose et le documentent sur les médias sociaux. Ils construisent leur visibilité et sont dans une posture de  mise en scène en scène de soi.

Avons-nous vendu notre âme à notre téléphone ?

Catherine Lejealle : Non car personne ne nous oblige à l’éteindre, à ne pas répondre et à savourer un moment de déconnexion. Qui reviendrait à l’époque où le code a changé et où on attendait dans le froid avec son pot de fleurs dans les bras en espérant qu’un voisin fin ira par arriver avant la fin du dîner ! 

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