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Les abeilles, cette espèce matriarcale aux capacités uniques
©Sebastian Kahnert / dpa / AFP

Bonnes feuilles

Christophe Gatineau et Sylvie Corré publient "Eloge de l’abeille" aux éditions Flammarion. Faire l'éloge de l'abeille n'est pas faire celui de l'apiculture, mais des abeilles, ce monde féminin pluriel qui approche les 1.000 espèces en France. Ce monde fragile et magique s'effondre, cloué au sol par un environnement hostile. Extrait 2/2.

Christophe Gatineau

Christophe Gatineau

Christophe Gatineau est un auteur, un cultivateur et agronome spécialisé en permaculture et agroécologie, un photographe et réalisateur né dans une famille d'agriculteurs le 9 août 1961 à Rochefort-sur-mer. Il vit aujourd'hui en Limousin. Historien de la permaculture et de l'agroécologie ; il a écrit 3 ouvrages sur le sujet. Directeur de la publication www.lejardinvivant.fr

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Sylvie Corré

Sylvie Corré

Sylvie Corré a publié Éloge de l'Abeille : Quand les insectes ont le bourdon aux éditions Flammarion 

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On s'imagine vite, trop vite à mon goût, que les insectes n'auraient aucune «personnalité», uniquement celle de leur espèce, un ensemble de comportements innés et génétiquement transmis par la femelle pondeuse. Et, effectivement, chaque colonie d'abeilles à miel ou de guêpes sociales a son caractère, plus ou moins agressif ou docile à l'égard des étrangers, un trait de caractère dominant transmis par la pondeuse. Quant à s'imaginer, comme chez le cheval, la vache, le chien ou l'humain, que chaque individu pourrait avoir son petit caractère, c'est un champ d'investigation complètement vierge. Pour illustrer, avec tous les bémols d'usage, sans jamais faire d'une expérience personnelle et isolée une généralité, j'ai vécu l'année dernière l'expérience suivante avec une gauloise.

Syl. – Précise avec une guêpe Polistes de type gauloise, car on frise le quiproquo. Gauloise, qui est d'ici, de la Gaule. Polistes gallicus, des voisines de la guêpe commune qui vivent dans des nids formés d'un seul rang d'alvéoles. Mais si le fonctionnement social de la gauloise s'organise autour de femelles fondatrices, comme toutes les guêpes et les abeilles sociales, sauf l'abeille à miel, les colonies de fuscatus, une espèce vivant en Amérique, sont structurées autour de plusieurs mères. Une hiérarchie très stricte qui mérite d'être soulignée car c'est rarissime dans le monde animal. 

Chr. – Tout de même, tu oublies les bonobos, les orques, les hyènes, les éléphants… Mais chez les insectes comme chez les humains, c'est plus rare! Chez les espèces domestiquées comme la vache ou le mouton, les cartes sont éminemment faussées, même si chacune est fortement hiérarchisée en fonction de critères tels que l'ancienneté dans le groupe, la taille, le poids, l'agilité et la dimension des cornes ou des dents. Mais d'une manière générale, tous les cas de figure se retrouvent dans la nature: de l'ours antisocial obligeant la femelle à s'éloigner pour élever ses petits, à certaines sociétés matriarcales d'Asie qui ne reconnaissent pas le papa comme le reproducteur… l'éducation étant alors prise en charge par la mère, sa famille ou le groupe. Qui donne et reproduit la vie? Pleine de bon sens, une réponse est donnée par ce dicton qui court chez ces agriculteurs de la région de Yongning en Chine: La part de l'homme est dans la reproduction, comme l'action de la pluie sur l'herbe des prairies: elle fait pousser, sans plus. Cette pensée, qui émane d'une des rares ethnies matriarcales encore en vie, leur a-t‑elle été inspirée en observant le petit peuple des abeilles?

Syl. – Osons rappeler que les guêpes ne sont pas des abeilles, contrairement aux bourdons… même si elles jouent un rôle primordial dans la pollinisation de certaines espèces végétales. Quant à ta gauloise, peut-être es-tu tombé nez à nez avec une physionomiste? 

Chr. – Comment le savoir? Comment peuvent-elles savoir qu'elles sont du même essaim, quand toutes proviennent de mères différentes? Alors, pour ne pas craindre les ingérences, il ne restait que la reconnaissance faciale aux guêpes Polistes fuscatus pour contrôler les allées et venues de celles nées dans un nid gouverné par plusieurs «reines»… Et les différentes publications montrent une organisation sociale nettement plus complexe que celle des abeilles à miel. En effet, outre que c'est le groupe qui semble élever l'ensemble de la progéniture, les reines mères dominent leurs propres filles, des ouvrières qui peuvent aussi pondre. Le summum étant que chaque individu doit en permanence savoir se situer dans la hiérarchie qui anime ces communautés. «Les guêpes et les humains ont développé de manière totalement indépendante des mécanismes hautement spécialisés pour mémoriser les visages», explique Michael Sheehan, l'un des auteurs de l'étude. «Ces mécanismes sont très similaires, même si leurs cerveaux et leurs vues sont différents.» Les travaux de ces chercheurs de l'université du Michigan, aux États-Unis, publiés dans la revue Science du 2 décembre 2011, ont mis en évidence la capacité de ces animaux à s'identifier grâce aux marques spécifiques qu'ils portent sur la tête.

Syl. – Et en 2010, une autre étude a mis en évidence que les abeilles à miel étaient capables de lire les expressions du visage de leur apiculteur…

Chr. – C'est ouf! À l'exemple de beaucoup d'animaux, j'avais déjà observé que les gardiennes pouvaient interpréter le rythme respiratoire de celui qui s'approche ou ouvre la ruche, pour évaluer le danger et la réponse à apporter; sachant qu'une respiration lente et profonde rassure par opposition à une rapide et saccadée.

Syl. – Et elles filtrent en permanence l'entrée de la ruche pour repousser les intruses, les seuls étrangers autorisés à rentrer sans montrer patte blanche étant les mâles. Quand les récolteuses sont en pleine activité, comme un poste d'avant-garde, les gardiennes n'hésitent pas à se positionner sur la planche d'envol pour contrôler les éventuelles pilleuses. Et elles se comportent exactement comme des vigiles, vérifiant via leurs odeurs l'identité de toutes celles qui atterrissent. Et suivant la nature de l'attaque, ou de l'attaquant, la vigile n'hésitera pas à appeler des renforts. C'est la dernière fonction de l'abeille en interne, avant de partir travailler à l'extérieur comme récolteuse.

Extrait du livre de Christophe Gatineau et Sylvie Corré, Eloge de l’abeille, publié aux éditions Flammarion

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