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Lego : un film subversif ?
©Reuters

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Film pour enfant ? Émanation d’un ogre multinational ? La grande aventure Lego est sans doute plus subversive qu’il n’y paraît… en ce qu’elle se moque éperdument de toute subversion.

Clément  Bosqué

Clément Bosqué

Clément Bosqué est Agrégé d'anglais, formé à l'Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique et diplômé du Conservatoire National des Arts et Métiers. Il dirige un établissement départemental de l'aide sociale à l'enfance. Il est l'auteur de chroniques sur le cinéma, la littérature et la musique ainsi que d'un roman écrit à quatre mains avec Emmanuelle Maffesoli, *Septembre ! Septembre !* (éditions Léo Scheer).

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Sauver le monde : c’est le grand schéma narratif moderne, qui se fonde sur une mythologie judéo-chrétienne : celle du salut par un messie. Un schéma qui sert de modèle à notre sacro-saint « projet », qu’il soit individuel ou collectif et dont on retrouve les avatars de la naissance à la mort (l’aberrant « projet de fin de vie ! »).

A en croire le Guardian, le film La grande aventure Lego est subversif en ce que l’enjeu de l’histoire, pour le héros, n’est pas de savoir s’il réussira à sauver le monde, mais s’il parviendra à s’affranchir des interdits ou s’il préférera protéger un monde rassurant et connu. Subversif, donc, en ce qu'il ne cajole plus ce vieux fantasme judéo-chrétien d'un monde meilleur ou d'une hideuse dystopie dont un héros élu doit assurer la rédemption (Matrix ou le Seigneur des Anneaux, entre autres, reprennent cette structure).

Il est vrai que pour accomplir sa mission, Emmett – le héros malgré lui du film – n’a d’autre choix que de « s’arranger avec les “moyens du bord” », comme dirait Lévi-strauss, « c’est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d’outils et de matériaux, hétéroclites au surplus » (La Pensée Sauvage, 1962). Faute de superpouvoirs, c’est en faisant appel à sa créativité qu’il parvient à ses fins. La créativité étant, bien entendu, la valeur « Lego » par définition : où il s’agit de « manipuler, imbriquer, et renouveler sans cesse les agencements […] renouveler un matériau préexistant par des combinaisons et des associations ». « Du lego comme un des beaux-arts »… (Berthou Benoît, Sociétés, 2001/2 no 72, p. 91-97).

Emmett le gentil Lego est donc plus ingénieux qu'ingénieur. Plutôt que bâtir un hypothétique demain, il s’agit de bricoler aujourd'hui. Mais alors, le film ne serait-il rien d’autre qu’une apologie facile de la créativité individuelle au détriment de l'ambition d’inventer un avenir collectif, de changer ou de sauver le monde ? Et donc, pas si « subversif » que cela ?

En fait, si le film est exemplaire, ce n’est pas en tant qu’il véhicule une quelconque « subversion » (valeur bien instituée, valorisée partout et par tous – qui ne se réclame pas de Sainte Subversion ? – au point d’être devenue une antiphrase). C’est davantage par sa valeur d’exemplum, par laquelle il concentre un certain nombre de caractéristiques de notre époque.

Si le film n’est ni subversif (renversement d’un ordre) ni transgressif (non respect de l’ordre), c’est qu’il est, au vrai, régressif : l’imaginaire enfantin des célèbres jouets accueille une intrigue tout-public, parsemée de blagues et de références diverses à destination de l’adulte. Le jouet moderne par excellence devient le héros et la matière d’une épopée postmoderne familiale.

Mais ce que le film a de vraiment remarquable est qu’il vient en point d’orgue d’un processus tout à fait singulier de reprise d’un domaine culturel à l’autre. Lego est d’abord un jouet banal, hybride de poupée et de mécano. Depuis plusieurs années, la marque danoise organise la mise en brique systématique des grands univers cinématographiques mythiques que sont la Guerre des Etoiles, le Seigneur des Anneaux, Harry Potter… Lego a ensuite investi le champ du jeu vidéo, avant d’être absorbée à nouveau par le cinéma par le truchement des brickfilms amateurs.

La grande aventure Lego parachève donc ce mouvement de transposition circulaire. Jusqu’alors, les grands mythes étaient posés sous leur forme noble (au cinéma principalement) ; dans un second temps il était permis d’« y jouer ». Le célèbre Toy Story – qui n’a d’ailleurs pas davantage échappé à la vampirisation de Lego – ne fait pas exception à la règle, qui en prenant pour héros des jouets, immédiatement distribuables en figurines se contentait d’anticiper son propre merchandising.

La grande aventure Lego démontre que désormais le jouet n’est plus tiré du film : c’est le contraire. C’est le ludique, paradigme postmoderne (A. Fouillet) qui prouve par-là sa fertilité, qui accouche du narratif. Le mot de « lego » n’évoque plus pour personne la déclinaison latine du verbe legere au pronom « je », mais une autre « déclinaison » : celle du jeu… dans la fiction.

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