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Le triomphe politique et idéologique de Trump, Bolsonaro et Salvini à l'ère de la désinformation et des réseaux sociaux
©Brendan Smialowski / AFP

Bonnes feuilles

Emmanuel Ostian publie "Désinformation" aux éditions Plon. La guerre contre les "fake news" est déclarée. Emmanuel Ostian, journaliste d'investigation, nous plonge au coeur d'une enquête inédite et riche en révélations. Extrait 2/2.

Emmanuel Ostian

Emmanuel Ostian

Emmanuel Ostian couvre pendant dix ans les conflits (Kosovo, Afghanistan, Irak, Darfour etc) pour TF1 avant de devenir chef du service Economie de la chaîne. Après deux ans au service International de LCI, il intègre le magazine " Envoyé spécial " sur France 2 puis devient rédacteur en chef de l'émission politique de Canal Plus, " Dimanche+ ". En 2011, il crée, avec d'autres, l'émission quotidienne " 28 minutes " sur Arte, émission qu'il dirige la première saison avant de devenir producteur éditorial de la Matinale de Canal Plus. En 2013, il crée sa société de production, EMP, qui travaille avec les principales chaînes du PAF et est responsable de la section TV du Centre de Formation des Journalistes. Présentateur sur Itélé puis sur BFMTV depuis 2017, il a reçu plusieurs prix pour ses reportages.

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Le plus intéressant, dans ce grand champ de désinformation à l’américaine dont Donald Trump n’est que l’épouvantail, est de constater l’alliance objective entre des idéologies qui ne s’affrontent plus que sur le papier. Les tycoons américains, chantres d’un libéralisme débridé qui s’est construit sur la haine de l’URSS, fraient aujourd’hui avec des sbires de Vladimir Poutine ou de Xi Jinping. 

Les extrêmes se tiennent par la main. 

Poutine, star incontestée des partisans de l’autorité, étrille régulièrement l’Amérique, mais il se garde bien de critiquer Donald Trump. D’ailleurs, lorsque les deux dirigeants se rencontrent, l’Américain va jusqu’à confisquer les notes de ses traducteurs pour éviter que les propos consignés ne soient rendus publics. 

Et ils ont vu entrer dans leur club de nouveaux dirigeants, ces derniers temps. Jair Bolsonaro au Brésil, bien sûr, accueilli en grande pompe à la Maison Blanche. Ce « Trump tropical », comme on l’a sur‑ nommé, est lui aussi un grand poète. Il n’avait pas hésité à lancer à une députée du camp adverse qu’elle était « si laide » qu’elle ne « méritait même pas » qu’il la viole. Bolsonaro qui renierait son fils s’il était homosexuel. Et ça tombe bien pour lui, Eduardo Bolsonaro est loin de l’être (pour ce que l’on en sait…) et il partage les idées de son père au point d’avoir été vu – magie des coïncidences – avec un certain Steve Bannon, juste avant l’élection. Bannon, toujours lui, était venu offrir ses services à l’étoile montante de la droite brésilienne. 

Les élections au Brésil sont marquées, elles aussi, par une vaste campagne de désinformation à travers les réseaux sociaux. Là‑bas, c’est WhatsApp qui fait office de vecteur. La messagerie, appartenant à Facebook, est utilisée par 120 millions de Brésiliens. C’est le réseau social le plus en vogue, celui par lequel les Brésiliens s’échangent la plupart des infor‑ mations, les SMS étant trop coûteux. Même si son utilisation est limitée à 256 personnes maximum par groupe, les messages envoyés se viralisent très facile‑ ment par transfert à d’autres groupes.

D’après le journal Folha de S.Paulo, le camp Bolsonaro a consacré plus de 12 millions d’euros pour l’envoi de centaines de millions de messages via WhatsApp, en ciblant les populations qui pouvaient basculer du côté du candidat. Il était question, par exemple, d’un « kit gay » que l’adversaire de Bolsonaro voulait imposer dans les écoles. Évidemment une invention. WhatsApp a eu beau fermer 100 000 comptes associés aux sociétés impliquées dans l’envoi, il était trop tard. 

Aujourd’hui, un collectif de fact‑checking composé d’une cinquantaine de journalistes internationaux a déjà recensé plus de 60 000 messages « problématiques » diffusés pendant la campagne. Ils n’émanaient évidemment pas tous du camp Bolsonaro. Mais c’est malgré tout le candidat de l’extrême droite qui en a fait l’utilisation la plus massive. 

« Merci, Facebook. » Les mots sont de Matteo Salvini, le leader de la Ligue en Italie, juste après les élections. Dans la péninsule, les réseaux sociaux ont également été déterminants lors de la victoire qui a propulsé au pouvoir l’attelage formé par la Ligue et le Mouvement 5 étoiles. Là encore, les médias classiques n’ont rien vu venir. Les sondages préélectoraux pronostiquaient une victoire de Forza Italia de Silvio Berlusconi et du Parti démocratique de Matteo Renzi. Pour finir, les extrêmes, de droite et de gauche, se sont imposés. Un renouveau démocratique et un renouvellement du paysage politique ? Peut‑être, mais à quel prix… Quelques mois après ces élections, l’alliance des deux partis populistes se fissure déjà. La politique agressive contre les migrants renvoie l’image d’un pays qui se ferme, et l’économie poursuit sa lente descente aux enfers. Les Italiens, qui n’ont toujours pas retrouvé le niveau de vie qu’ils avaient avant la crise de 2008, ont sans doute exprimé leur colère en votant pour les extrêmes. Mais les grands mots et les idées simples ne font pas une politique. L’Italie est finalement entrée en récession économique en 2019. 

Steve Bannon et consorts continueront à dire que la crise en Europe est liée à l’immigration. Donald Trump poursuivra son projet de mur avec le Mexique. La peur sera distillée à toutes les populations qui se sentent au ban du monde moderne, via des réseaux sociaux qui ne réussiront jamais à colmater toutes leurs failles pour empêcher les informations manipulées de passer. Qu’elles viennent de droite, de gauche ou de tout falsificateur mal intentionné, bien sûr. 

Et derrière le fracas et les joutes que nous promet cette société de l’ère post‑vérité, Robert Mercer pourra faire tourner dans la cave de son immense maison le petit train électrique qu’il s’est offert pour plus de 2 millions de dollars il y a quelques années. Une de ses rares concessions au plaisir. Le misanthrope mutique, toujours inconnu du grand public, aura peut‑être un soupir en voyant que ses idées progressent un peu partout. Le climato‑scepticisme, la lutte contre l’IVG, contre l’islam, entre autres. Grâce à son dada de toujours : une utilisation efficace de la data alliée à un sens très relatif de la vérité. 

Jusqu’à la réélection de son poulain en 2020 ? Personne ne pourrait sérieusement l’exclure aujourd’hui.

Extrait du livre d’Emmanuel Ostian, "Désinformation", publié aux éditions Plon. 

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