Le quinquennat congelé : Hollande, le président qui ne voulait pas changer de politique… mais que peut-il encore faire de toute façon ?<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande le dit et le répète : il ne changera pas de politique.
François Hollande le dit et le répète : il ne changera pas de politique.
©Pools News/Reuters

Iceberg politique

François Hollande a beau répéter qu'il ne changera pas de politique, force est de constater qu'il y a de nombreuses mesures qui pourraient être à sa portée. Persuadé qu'il n'y a qu'une seule issue, le président refuse toute alternative malgré la débâcle des départementales, prisonnier des prescriptions européennes.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : François Hollande le dit et le répète : il ne changera pas de politique. Etant donnée la contrainte qui pèse sur lui - sa majorité est au lendemain des départementales divisée au point que Manuel Valls a préféré annuler le Conseil des ministres franco-allemand de mardi 31 mars pour rencontrer les députés -, que lui reste-t-il concrètement comme pouvoir ?

Christophe BouillaudFrançois Hollande reste un  Président de la Cinquième République, doté de très substantiels pouvoirs pour assurer la continuité de l’Etat quoi qu’il arrive. Par ailleurs, à moins d’une motion de censure qui serait adoptée grâce à l’appui d’une partie importante des députés élus sous l’étiquette PS en 2012 – ce qui signifierait une crise finale du PS tel que conçu  dans les années 1970-, il continue d’avoir à sa disposition un gouvernement fonctionnel, celui de Manuel Valls, pour gouverner au jour le jour. Par exemple, le gouvernement Valls peut émettre tous les décrets d’application de toutes les lois déjà votées qui le réclament, sur la loi ALUR par exemple. Le travail à faire reste en fait très substantiel, si l’on veut que toutes les lois votées aient tous leurs décrets qui permettent leur entrée en application effective. Pour ce qui est de légiférer, en raison de la réforme du 49-3 lors de la réforme constitutionnelle de 20008, la situation si elle ne s’améliore pas au sein de la majorité risque de  ralentir la production législative, en particulier en matière économique. La loi Macron sera sans doute adoptée, mais, ensuite, il faudra attendre pour avoir d’autres lois économiques d’importance si elles doivent elles aussi passer au forceps du 49.3. Rien n’interdit toutefois de créer une méga-loi qui comprendrait toutes les mesures économiques souhaitées.

Nicolas Goetzmann : François Hollande ne changera pas de politique parce qu’il croit sincèrement que la politique menée est la "seule" : "il n’y a pas d’alternative". Et en effet, malgré sa lenteur, malgré les nombreux trains de retard, la politique menée par l’exécutif français correspond aux prescriptions européennes, c’est-à-dire à la doctrine orthodoxe européenne. Il ne s’agit pas de conclure que ces réformes "viennent d’en haut", mais simplement de rappeler que François Hollande s’imbrique parfaitement dans cette dimension sociale-démocrate de l’économie. C’est-à-dire la mise en place des réformes de l’offre, qualifiées parfois de "courageuses" comme la Loi Macron, le CICE ou le pacte de responsabilité. Après trois années d’absence de résultats, le Président reste persuadé que "ça va marcher", parce que "tout le monde sait ce qu’il faut faire". Il existe un niveau de certitude absolue sur l’efficacité de ce type de réformes, et ce, malgré le manque évident de résultats.

Ainsi, le manque de pouvoir de François Hollande ne provient pas réellement des institutions, ni même de sa situation politique, le premier moteur de son manque de pouvoir, c’est sa façon de penser. Dans le cadre, toujours dans le cadre.

Quel type de mesures pourrait-il malgré tout faire passer dans ce contexte politique contraint ? Lesquelles lui sont en revanche fermées ?

Christophe BouillaudIl lui est très difficile de revenir sur certaines bévues, comme l’abandon de l’écotaxe qui va peser longtemps sur les finances publiques. Par contre,  François Hollande pourrait remettre en chantier une réforme fiscale d’ampleur qui rendrait plus juste l’impôt sur le revenu. Cela fait partie des reproches que lui font les socialistes de gauche que d’avoir abandonné toute ambition en ce sens. François Hollande a certes promis de ne plus augmenter les impôts d’ici 2017, mais il n’a pas promis de ne pas supprimer les niches fiscales les moins justifiables économiquement et socialement. 

Nicolas Goetzmann : Le plus probable est que François Hollande recherche à ressouder sa majorité autour de quelques réformes dites "de gauche". Pour cela, il pourra déjà s’appuyer sur la conférence du climat qui se tiendra à Paris à la fin 2015. Ce qui pourrait permettre de récupérer les écologistes. Quelques ajustements peuvent également être retenus au niveau fiscal, en pentifiant la progressivité de l’impôt et ainsi poursuivre un mouvement en faveur des plus pauvres, mais en sacrifiant ce qu’il lui reste de crédibilité en termes de paroles publiques. Parce que la promesse de ne plus toucher aux impôts a déjà été faite. Une parmi d’autres.

Par contre, un véritable plan de relance de l’investissement semble largement compromis. La commission européenne réclame encore des ajustements supplémentaires par rapport à la situation actuelle, et il paraît peu crédible d’imaginer François Hollande se lancer dans une confrontation européenne, sur le modèle de Syriza. Par contre, le Président pourrait rassembler sa gauche en refusant d’acter les demandes supplémentaires de la commission, et ainsi jouer le rôle du "rebelle" pour faire plaisir aux frondeurs. Finalement, les seules marges de manœuvre qui existent pour François Hollande relèvent plutôt du jeu politique que de la réalité économique.

La fronde des médecins contre la loi Touraine ne faiblit pas. Bien que les arguments avancés par ses détracteurs soient sérieux, le gouvernement est-il contraint de tenir le cap quand bien même il reconnaîtrait être dans l'erreur ?

Christophe BouillaudNon pas nécessairement. Je ne sais pas si les arguments des détracteurs sont sérieux ou non, et d’ailleurs, cela n’a guère d’importance en l’occurrence. Des épisodes précédents – dont bien sûr celui de l’Ecotaxe – montre que François Hollande peut parfaitement céder si une protestation, aussi malencontreuse soit-elle dans son opportunité, lui parait trop dangereuse pour la stabilité politique de son quinquennat. Ce n’est nullement une question de vérité ou d’erreur, mais seulement de rapport de force entre le gouvernement Valls et une partie du monde médical. Le fait que les élections départementales soient passées enlève d’ailleurs sans doute un argument au monde médical qui ne plus utilement relayer lors de ses consultations au jour le jour avec ses patients son hostilité au PS. 

Une nouvelle loi Macron a été annoncée pour l'été. Que peut-on en attendre, étant donnée la conjonction de ce contexte politique difficile - la première loi Macron a largement contribué à alimenter la grogne des frondeurs - et des contraintes européennes qui pèsent sur le budget français ? Jusqu'où le gouvernement pourra-t-il aller ?

Christophe Bouillaud : La seconde loi Macron ne devra rien coûter aux finances publiques. Probablement, elle ira dans le sens d’une plus grande libéralisation encore du marché du travail. Des informations ont fuité sur le fait qu’elle comprendrait peut-être le droit pour une PME ou TPE de licencier ses salariés en cas de difficultés économiques. C’est là une façon de rejeter une grande part du risque économique de l’entreprise sur les simples salariés, mais, de toute façon, vu les demandes bruxelloises, les réformes envisagées seront nécessairement mal vues par la gauche du PS. Il faudra de nouveau passer en force. La seule limite réelle sera la peur de déclencher, par inadvertance, un mouvement social incontrôlable. Il faudra donc éviter de toucher à la jeunesse, le seul segment de la population susceptible de poser des problèmes dans la rue au gouvernement. 

Nicolas Goetzmann : Le nouveau volet de la Loi Macron comportera sans aucun doute un volet correspondant aux attentes des frondeurs. Les pistes évoquées sont de soutenir l’investissement privé, les PME et le numérique. Des sujets qui peuvent faire consensus s’ils sont bien amenés dans un contexte de fausse confrontation avec la commission européenne.

Mais fondamentalement, le meilleur soutien à l’investissement privé reste les perspectives de croissance. Il n’y a donc pas grand-chose à attendre d’une telle Loi, même si de petites améliorations peuvent être apportées. Mais la loi Macron ne sera pas le New Deal. Et c’est bien le plus rageant dans ce contexte post électoral : il ne s’agit même plus de tenter d’avoir des résultats forts mais il s’agit simplement de rassembler une majorité autour de mesures qui ont l’air d’être de gauche. La perception emporte tout sur la réalité.

En quoi cette contrainte européenne peut-elle par ailleurs limiter, ou en tout cas guider, les options du gouvernement ?

Christophe BouillaudLa contrainte européenne dit en résumé deux choses : la France doit serrer tous ses budgets de fonctionnement au maximum, et elle doit faire des "réformes structurelles" du marché du travail. Sur les budgets, comme on le sait, des engagements ont déjà été pris. Sur les réformes structurelles, le paradoxe est que la flexibilisation du marché du travail en France a commencé dès les années 1980, mais que le processus ne parait jamais fini aux autorités européennes concernées, tout en ayant réussi à précariser tout de même une bonne part de la main d’œuvre française. Par ailleurs, pour l’instant, tous les gouvernements, pas seulement ceux de François Hollande, ont refusé de résorber le chômage de masse par la création d’un vaste secteur de sous-salariat, comme en Allemagne, avec les "minijobs", ou au Royaume-Uni, avec les "zero hour contracts". Malgré son discours sur la dignité du travail, la Commission européenne pousserait plutôt dans ce sens, mais le gouvernement se méfie d’une réaction violente de la jeunesse qui serait concernée au premier chef. Les révoltes contre le « Smic-jeunes » et autres "Contrats première embauche" ont laissé quelques souvenirs. On a déjà vu comment l’idée d’un service civique obligatoire non payé de quelques mois a été relativement mal accueilli chez certains jeunes – pas bien sûr chez la majorité des (vieux) Français non concernés qui sont bien sûr prêts à faire travailler les autres gratis !

Nicolas Goetzmann : La Commission européenne est en position de sanctionner la France en 2017, c’est-à-dire en pleine année électorale, si les critères ne sont pas respectés. Etant donné que François Hollande marche sur une ligne de « sérieux budgétaire » depuis le début de son quinquennat, que ce "sérieux" soit avéré ou non, il aura du mal à assumer une telle sanction. Ce n’est pas comme s’il avait prétendu être un fraudeur depuis le début qui cherchait à se sortir du carcan des institutions européennes. D’autant plus qu’il a signé le pacte budgétaire lui-même.

Si François Hollande voulait véritablement se donner une dernière chance d’obtenir des résultats, il convoquerait immédiatement un conseil européen consacré à la croissance. Il s’agit de mettre la BCE, et les gouvernements autour d’une table et d’agir ensemble pour une politique forte. Large soutien monétaire, large soutien des investissements d’infrastructure, et mise en place simultanée de réformes du droit du travail, (+ retraites en France) et de baisse de la fiscalité. C’est-à-dire de produire un véritable choc européen. Pour que cela puisse être crédible, il faut que les montants globaux soient massifs. 20% du PIB de la zone. Et insister sur la simultanéité pour mettre tout le monde d’accord. Gouvernements, entreprises, syndicats.  La zone euro en est un tel point qu’il est inévitable d’en passer par là pour au moins tenter de rattraper le temps perdu. Autrement, c’est la croissance molle assurée.

Dans ce contexte, quelle serait l'opportunité pour François Hollande de remanier dans un sens plus favorable à la gauche de la gauche ? Cela lui rendrait-il vraiment des marges de manœuvre ?

Christophe BouillaudAvec un Manuel Valls qui resterait Premier Ministre, et avec ses brillants états de service depuis un an en matière d’épuration des "déviationnistes gauchistes" du gouvernement (Montebourg & Cie), je ne vois guère le sens d’une telle opération. Cela permettrait peut-être de récupérer quelques ambitieux qui ont envie d’être une fois dans leur vie d'être ministre avant la longue disette qui s’annonce pour la gauche après 2017, mais, pour aller à gauche toute, il faudrait changer de Premier Ministre. Or l’expérience de la gauche au pouvoir, au moins depuis 1936, est qu’elle ne situe jamais plus à gauche dans ses choix de politique publique qu’au tout début de son arrivée aux affaires. Faire un virage à gauche en milieu de mandat serait un peu une première, et  cela serait d’autant plus difficile que l’opinion en général est désormais remontée contre tout ce qui apparait comme de gauche. Il faudrait vraiment trouver des réformes de gauche qui enthousiasment la population, et qui, en plus, ne coutent rien aux contribuables. 

Le gouvernement pourrait-il être tenté de se rabattre sur des réformes sociétales ?

Christophe BouillaudS’il y a bien une chose qui a été ratée sous cette législature, c’est la manière dont a été gérée la réforme dite du "mariage pour tous". Elle a été discutée en effet tellement lentement au Parlement qu’une partie du "peuple de droite", des catholiques conservateurs essentiellement mais pas seulement, y ont vu une occasion inédite de se mobiliser. Je ne vois pas le gouvernement Valls se lancer dans une nouvelle aventure de ce genre, qui supposerait là aussi une longue préparation donnant le temps aux adversaires de se mobiliser. En ces matières dites sociétales, selon les sondages, l’état de l’opinion est en plus décidément à un regain de conservatisme, par exemple sur la légalisation des drogues douces. 

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