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Des conteneurs dans le port du Havre, dans le nord-ouest de la France, le 21 janvier 2021.
Des conteneurs dans le port du Havre, dans le nord-ouest de la France, le 21 janvier 2021.
©Sameer Al-DOUMY / AFP

Traquenard temporel

Les problèmes de chaînes d'approvisionnement que nous connaissons actuellement en est un bon exemple.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Sur Twitter, le CEO de Flexport estime que les entreprises ne sont pas prêtes à faire face à des grosses variations d’activité, comme pendant la crise Covid. Partagez-vous ce constat ?

Nous sommes dans un système où il n’y a pas beaucoup de marges. Dans un contexte comme la crise Covid où les entreprises devraient avoir besoin de flexibilité et de réserve, les possibilités sont limitées. Et cela n’est pas vrai seulement pour les entreprises et pour la rentabilité des capitaux investis. C’est un problème qui se généralise avec la manière dont nous évaluons la performance. 

Est-ce ce qui peut expliquer les tensions sur les chaines d’approvisionnement à l’heure actuelle ? Cela pose-t-il des enjeux plus larges encore ? 

C’est quelque chose qui joue. Il n’y a pas un problème de production, mais la demande est très forte. Le confinement puis le redémarrage de l’économie ont changé les structures de consommation. Ce n’est pas que les gens veulent consommer la même chose qu’avant et que nous n’arrivons pas à le fournir, c’est plutôt qu’ils veulent consommer beaucoup plus de produits manufacturés qu’avant car le secteur des services a encore du mal. Or les chaines d’approvisionnement n’ont pas de marge. Les entreprises automobiles ont des pénuries de semi-conducteurs car ils n’ont pas de stocks suffisants. C’est aussi valable pour Apple. On le voit aussi avec la main d’œuvre. Au Royaume-Uni, les routiers sont des indépendants, donc le système est plus flexible, mais face à un surplus de demandes, il y a un problème qui n’a pas été anticipé. 

Si on veut observer d’autres domaines on peut penser à la recherche. Actuellement, être chercheur nécessite de publier beaucoup de papiers, très vite. On ne leur laisse pas le temps de chercher une recherche sur long terme. Il y a 25 ans, Andrew Wiles a démontré le théorème de Fermat, mais pendant cinq ans il n’avait rien publié. La logique quantitative va à l’encontre des possibilités de résoudre des problèmes importants mais qui demandent du temps. C’est aussi valable pour la presse qui préfère faire de nombreux clics et mobilise ses journalistes pour produire beaucoup d’articles. Ce sont autant de personnes qui ne feront pas de longues enquêtes ou documentaires. La logique est trop souvent que ce qui ne rapporte rien immédiatement peut être sabré au budget. Dans tous les domaines, on s’attaque à ce qui semble excédentaire et cela empêche de se lancer dans le très long terme.

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Dans quelle mesure avons-nous laissé les entreprises et plus largement nos sociétés s’enfermer dans des visions de court terme plutôt que de privilégier les enjeux de long terme ? 

Ce qui peut provoquer ce phénomène, c’est une obsession sur le mesurable. Pourtant, la valorisation de Tesla n’a aucun sens si vous ne comprenez pas que c’est un investissement de long terme. Les marchés sont souvent dans le tout ou rien. En effet, d’autres entreprises visent uniquement le rendement très rapide. Cela peut parfois être une différence entre croire à une histoire et croire aux chiffres. Se focaliser sur le mesurable rend incapable de différencier le chercheur dilettante et celui qui œuvre à résoudre un problème complexe. Il n’y a, par définition, aucun moyen de mesurer ce qui n’est pas mesurable. 

Comment régler le problème et réaliser les arbitrages ?

C’est très difficile et nous n’y sommes jamais arrivés. Il est possible que nous ayons trop poussé le curseur vers le mesurable, quant à d’autres époques nous avons pêchés par l’excès inverse. La recherche de l’équilibre est permanente. Le problème est qu’il n’y a jamais d’alchimie de long terme. Bell labs, qui a longtemps été en monopole sur le marché de l’information, a été très innovante pendant des années avant de complètement cesser de l’être. Nous nous sommes peut-être trop focalisés sur un avenir radieux survalorisé, sans pitié avec la vieille économie. Le constat actuel est peut-être la revanche de l’ancienne économie sur la nouvelle et cela pourrait permettre un rééquilibrage. Il est possible que, comme en 2000, certaines valorisations boursières dégringolent à la suite de ce rééquilibrage et que certains prix de produits réaugmentent. 

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