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Le monde de l’art en émoi devant l’affaire des faux Rothko que même son fils ne savait pas déceler
©Reuters

Le poids d'une expertise

L'ancienne directrice de la plus vénérable galerie de New York avait vendu, au prix fort, une quarantaine d'œuvres, faussement attribuées à des grands artistes.

Après 165 ans d'activité, la galerie Knoedler, située dans un bâtiment style Renaissance italienne sur la 70ème avenue de New York a fermé ses portes, le 30 novembre 2011. C'était la plus ancienne et la plus renommée des galeries de la ville, un mythe qui s'est effondré en quelques années. Sa directrice, Ann Freedman avait déjà démissionné deux ans auparavant, visée par les rumeurs sur des dizaines de ventes douteuses. La galerie ne s'en remettra pas et l'ex-directrice se retrouve désormais devant la cour fédérale du district de Manhattan.

Dans le monde de l'art, l'affaire a fait l'effet d'une bombe. Ann Freedman vendait des faux tableaux, attribués à des grands noms de la peinture contemporaine : Jackson Pollock, Willem de Kooning, Mark Rothko, Robert Motherwell… En 15 ans, les ventes représentent plus de 63 millions de dollars.

L'histoire est désormais célèbre : la galeriste revend des œuvres issues d'un "collectionneur privé" qui refuse de dévoiler son identité. L'homme en question en aurait hérité de son père, grand ami des fameux artistes, si bien que les œuvres ne sont même pas répertoriées. Et pour cause, elles ont été réalisées par Pei-Shen Qian, 73 ans, peintre originaire de Shanghai sans la moindre notoriété mais pourvu d'un véritable talent d'imitateur. Il les revendait à une certaine Glafira Rosales, vendeuse d'art, aussi inconnue que le peintre chinois dans ce petit milieu. Pour le moment, Rosales est la seule à avoir plaidé coupable dans cette affaire, Pei-Shen Qian ayant disparu, et Ann Freedman clamant son innocence. Toute l'ambiguïté se trouve ici. Comment de telles œuvres ont pu passer d'un petit atelier de faux aux grandes collections, en passant par une galerie réputée ?  

"Les faux ont toujours existé, on en trouve depuis l'Antiquité" rappelle Nina Rodrigues-Ely, directrice de l'Observatoire de l'art contemporain. "Les garde-fous, ce sont avant tout les réputations des experts." Evidemment, les acheteurs dupés n'étaient pas si naïfs et se sont reposés sur des citations efficaces. La galeriste disposait de "témoignages" d'experts pour attester de la véracité des œuvres. Pire, concernant les tableaux de Mark Rothko, Ann Freedman invoquait même Christopher Rothko, le fils de l'artiste ! En 2002, ce dernier est invité à visiter la galerie et la directrice en profite pour lui montrer des "œuvres" de son père, cachées selon elle, par un collectionneur suisse depuis les années 1950. Face à ces merveilles, Christopher Rothko ne peut constater que leur "beauté." Un adjectif qui suffira à Ann Freedman pour attester de la véracité de tableaux, ce dont se défend l'héritier. "C'était descriptif" a-t-il expliqué, cette semaine, à la cour. "Je ne suis jamais entré dans les questions d'authenticité."

De nombreux autres experts se plaignent de mêmes procédés, contestant l'utilisation de leur nom, lors des ventes réalisées. "Vous ne placez pas des noms sur n'importe quelle liste sans demander leur avis" critique l'un d'eux, David Anfam, lors de l'audience. Pourtant, l'enquête semble montrer que lui, et d'autres spécialistes, ont confirmé l'authenticité de ces œuvres. Parfois sans scrupules. L'expert Stephen Polcari avait ainsi été payé 3000 dollars pour écrire 10 critiques sur ces fameuses œuvres, avec pour argument principal qu'elles venaient de la galerie Knoedler… Avant d'avouer qu'il savait que ces tableaux étaient faux mais "très bien réalisés."

Forcément, il est difficile de se prémunir face à ce type de comportements. "Pour les artistes décédés, il faut se référer aux archives, qui sont des associations gérées par la famille" rappelle Nina Rodrigues-Ely. "Elles établissent un catalogue en utilisant des méthodes scientifiques." Mais ne sont pas forcément infaillibles. En témoigne un célèbre faussaire qui s'est vanté que certaines de ses œuvres sont toujours exposées dans des musées. Le 7 février, Ann Freedman a finalement trouvé un arrangement avec les acheteurs lésés. Le monde de l'art, lui, peine encore à se relever.

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