Le Luxembourg dit non au droit de vote des étrangers : comment on peut être un pays très ouvert à l’immigration tout en ayant un attachement fort à son identité nationale<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Luxembourg vient de se prononcer en écrasante majorité contre le droit de vote des étrangers (résidant depuis plus de 10 ans sur le territoire) aux élections législatives.
Le Luxembourg vient de se prononcer en écrasante majorité contre le droit de vote des étrangers (résidant depuis plus de 10 ans sur le territoire) aux élections législatives.
©Reuters

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Autorisés à voter pour les scrutins locaux et européens, les étrangers résidant depuis plus de 10 ans dans le pays ne pourront toujours pas voter aux élections législatives. Les luxembourgeois ont plébiscité le “non" (78,2%) à un referendum sur la question, dans un pays où les étrangers représentent pourtant 46% de la population totale.

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont est géographe, économiste et démographe, professeur à l'université à Paris IV-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, auteur notamment de Populations et Territoires de France en 2030 (L’Harmattan), et de Géopolitique de l’Europe (Armand Colin).

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Le Luxembourg vient de se prononcer en écrasante majorité contre le droit de vote des étrangers (résidant depuis plus de 10 ans sur le territoire) aux élections législatives. Pourtant le pays est très ouvert à l'immigration. 46% d'étrangers y résident. Est-ce contradictoire ?

Gérard-François Dumont :Être ouvert à l’immigration et souhaiter que le corps électoral pour les élections législatives soit composé uniquement des nationaux n'a rien de contradictoire. Le Luxembourg est un pays ouvert, et ouvert essentiellement à l'immigration de travail. Ces dernières décennies, le pays a eu une croissance économique remarquable que personne n’avait anticipée, ce qui a entraîné des besoins en main-d'œuvre étrangère compte tenu d’une évolution peu favorable de la population active luxembourgeoise. D’une part, nombre d’actifs ayant un emploi au Luxembourg sont des travailleurs frontaliers habitant en Lorraine, en Sarre ou en Belgique, notamment dans la province belge du Luxembourg (à ne pas confondre avec le Grand-Duché). D’autre part, les autres actifs étrangers qui résident au Luxembourg sont en grande majorité originaires d’Europe, les plus nombreux étant les Portugais. Parallèlement, comme le montre le référendum du 7 juin 2015, ce pays considère qu’il est logique d’opérer une distinction entre les Luxembourgeois et les étrangers en matière de droits politiques. Les quatre cinquièmes des électeurs ont considéré que la souveraineté nationale suppose que ce soit seulement des personnes de nationalité luxembourgeoise qui puissent voter aux élections législatives.

Cela ne signifie nullement une fermeture puisque la nationalité luxembourgeoise peut s'acquérir au travers d'un processus de naturalisation et que le Luxembourg admet la double nationalité. C'est ainsi qu’acquièrent le droit de vote aux élections législatives les étrangers qui obtiennent leur naturalisation. La demande de naturalisation peut être effectuée au bout de sept années consécutives de présence au Luxembourg. Elle requiert de réussir une épreuve d’évaluation de la langue luxembourgeoise parlée, épreuve dont sont dispensés tous ceux qui ont accompli au moins 7 années de leur scolarité au Luxembourg. En outre, le candidat à la naturalisation doit présenter un certificat de participation aux cours d’instruction civique (cours gratuits) comprenant deux cours obligatoires (Les droits fondamentaux des citoyens et la vie publique ; Les institutions étatiques luxembourgeoises) et un cours au choix parmi 8 thèmes (L'histoire du Grand-Duché de Luxembourg : la naissance d'un État-Nation au XIXe siècle ; L'histoire du Grand-Duché de Luxembourg : le Luxembourg au XXe siècle ; L'histoire de l'unification européenne : le Luxembourg au sein du processus d'unification de 1945 à 2006 ; Les institutions communales luxembourgeoises…)

Si les Luxembourgeois avaient décidé d’accorder le droit de vote aux étrangers, ce droit se serait donc trouvé exercé par des personnes méconnaissant la langue du pays et n’ayant pas eu la possibilité d’être informées de l’identité institutionnelle et citoyenne du pays.

Il apparaît donc clairement que tous les étrangers vivant au Luxembourg, ou les enfants d’étrangers à l’âge de 18 ans et ayant suivi une scolarisation au Luxembourg, peuvent devenir Luxembourgeois, donc que ce pays a un code de la nationalité ouvert. La législation luxembourgeoise fixe d’ailleurs un délai maximum de réponse de 8 mois lors d'une demande d'acquisition de la nationalité. 

Pourquoi le Luxembourg, très ouvert sur le plan migratoire, affirme-t-il un attachement si fort à l'identité nationale ?

Par ce référendum du 7 juin 2015, les Luxembourgeois affirment effectivement un attachement très fort à leur identité nationale. Pour le comprendre, il ne faut pas oublier les vicissitudes géopolitiques connues par le Luxembourg. Cet État, neutre lors de son indépendance en 1867, s’est trouvé occupé par l’Allemagne de 1914 à 1918 puis de 1940 à 1944, ce qui le conduisit, comme la Norvège, à abandonner sa neutralité et à entrer dans l’OTAN. Son souci de libre souveraineté explique son attachement à une identité propre qui ne signifie nullement un repli sur soi mais, au contraire, une ouverture, comme l’atteste sa volonté d’être plurilingue, les langues allemande et française étant officielles à côté du luxembourgeois, langue locale devenue langue nationale en 1984. La langue luxembourgeoise, systématiquement enseignée dans le pays, que ce soit dans le cadre de l’enseignement public luxembourgeois ou dans celui de l’enseignement privé appliquant les programmes d’enseignement public luxembourgeois, est donc la langue d’intégration.

Le Luxembourg s’est toujours voulu ouvert vers l'extérieur et vers le monde. Il a d’ailleurs longtemps refusé d’avoir une université, avant l’ouverture de l’unique université du Grand-Duché en 2003, pour obliger ses jeunes à aller se former dans des universités étrangères, allemandes, belges ou françaises, afin d'y recueillir savoir-faire et connaissances ainsi qu'une dimension internationale. Le Luxembourg a ainsi pu développer son activité économique actuelle en s’inscrivant volontairement dans la  globalisation avec la promotion de la place financière luxembourgeoise. 

Comment expliquer que le débat ne parvienne pas être à être posé en ces termes en France ? Pourquoi une telle crispation, un tel amalgame entre identité et nationalisme ?

Le débat en France, concernant le droit de vote des étrangers, est parti des fameuses "110 propositions pour la France" du candidat à la présidence François Mitterrand en 1981. Mais la gauche n’a jamais véritablement cherché à concrétiser cet engagement, tout en en pérennisant la promesse. Donc la France n'a jamais organisé un référendum pour demander l'avis des Français. Périodiquement, des hommes politiques de gauche qui demandent le droit de vote pour les étrangers utilisent plutôt cette proposition à des fins électorales pour influencer les rapports de force entre les autres partis.

En réalité, dans la période actuelle, La France, ou plutôt nombre de ses élites, a du mal à assumer son identité et même à accepter qu’elle en ait une qui lui soit propre. Nous sommes toujours dans le dessin de Jacques Faizant, dessiné au début des années 1970 : il montrait des Français qui trouvaient formidables qu'il y ait de valeureux patriotes vietnamiens, algériens ou japonais, etc ; à la fin, le dessin présentait  un « patriote français », mais il était considéré comme un beauf ringard et anormal. Le 17 mai 2015, Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du partie socialiste,  a twitté : «Je ne sais pas ce qu'est l'identité française, je connais l'identité de la République». C’est sans doute en raison de cette méconnaissance qu’il a fallu des années pour que l'on comprenne que l'acquisition de la nationalité française supposait un minimum de connaissances de langue française. Ce minimum de connaissances instauré à la fin des années 2000 a d’ailleurs été réduit par les dernières décisions gouvernementales prises depuis 2012. Autrement dit, le niveau de français demandé pour naturaliser en France est inférieur au niveau de langue allemande demandé pour la naturalisation en Allemagne.

Effectivement, la France semble éprouver de grandes  difficultés à défendre et promouvoir un trait essentiel de son identité, sa langue, etc. Pourtant, le grand historien Fernand Braudel soulignait que la langue française représentait à 80% de l'identité de la France. Rappelons les Jeux Olympiques de Londres de 2012, avec les deux langues officielles historiques le français et l'anglais. Nos amis Britanniques ont complétement exclu le français de l'ensemble des documents relatifs aux Jeux Olympiques. La France s’est tu. Il a fallu que les Québécois dénoncent le non-respect de la charte olympique pour obliger les Britanniques à publier une partie des documents en langue française, au moins en version numérique.

La crispation est enfin liée au fait que donner le droit de vote aux étrangers permettrait de donner le droit de vote à des personnes dont les orientations politiques pourraient être spécifiques. Le cas du Royaume-Uni est instructif : les étrangers originaires du Commonwealth n'ont pas la nationalité britannique, mais, comme citoyens du Commonwealth, ont le droit de vote aux élections parlementaires. Or ces citoyens votent majoritairement pour le parti travailliste. En France, ceux qui souhaitent  accorder le droit de vote aux étrangers, cachent peut-être une ambition électoraliste et certains calculs politiciens puisqu’existent certaines corrélations entre les choix politiques et les origines géographiques des électeurs ou de leurs ascendants[1].

En Europe, les réponses des différents pays sont variées également sur le droit de vote aux élections locales. Celui-ci existe au Luxembourg ou au Danemark pour les étrangers européens ou non-européens. L’Espagne et la Portugal ont choisi une autre voie : pour les non-européens, le droit de vote aux élections locales peut être accordé moyennant une condition de résidence et sous réserve de réciprocité, ce qui suppose un accord bilatéral.

Dans quel sens cet exemple, qui souligne que l'attachement à l'identité de son pays n'est pas synonyme de rejet de l'autre, pourrait-il faire évoluer le débat sur ce sujet en France ?

Gérard-François Dumont : Être ouvert à l'autre, ce n’est pas le regarder comme étant semblable à soi, comme un sorte de clone de soi-même. Bien au contraire, on ne peut s'ouvrir aux autres, entrer véritablement en dialogue, qu’à condition d’avoir une identité propre et une confiance en cette identité. Cette confiance suppose de ressentir son identité et sa propre histoire. Les populations ayant des difficultés à ressentir leur propre histoire sont des populations qui n'acceptent pas l'altérité et sont par définition fermées aux autres. Il y a un lien fondamental entre le fait de témoigner de sa propre identité et être capable d'accepter l'altérité.



[1] Dumont, Gérard-François, Démographie politique. Les lois de la géopolitique des populations, Paris, Ellipses,

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