Le logement, ce grand oublié des législatives alors qu’il est la clé de tout…<!-- --> | Atlantico.fr
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La question du logement, pourtant primordiale, figure parmi les grandes oubliées des élections législatives anticipées qui se tiendront le 30 juin et le 7 juillet
La question du logement, pourtant primordiale, figure parmi les grandes oubliées des élections législatives anticipées qui se tiendront le 30 juin et le 7 juillet
©ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Clé de voûte

La question du logement, pourtant primordiale, figure parmi les grandes oubliées des élections législatives anticipées qui se tiendront le 30 juin et le 7 juillet.

Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Marc de Basquiat

Marc de Basquiat est consultant, formateur, essayiste et conférencier. Fondateur de StepLine, conseil en politiques publiques, il préside le think tank AIRE créé en 1989 par Henri Guitton et intervient comme expert GenerationLibre. Il est diplômé de Centrale-Supélec, d'ESCP Europe et docteur en économie de l'université d'Aix-Marseille. Son dernier ouvrage : L'ingénieur du revenu universel, éditions de L'Observatoire. 

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Atlantico : La question du logement figure parmi les grandes oubliées des élections législatives anticipées qui se tiendront le 30 juin et le 7 juillet. Comment expliquer que les politiques de tous bords ne se saisissent pas davantage d’un sujet pourtant si essentiel ?

Charles Reviens : Il n’est pas tout à fait exact d’affirmer que la question du logement est totalement absente de la présente campagne électorale expresse (moins de 3 semaines entre la décision de dissolution et le premier tour).

Ainsi si l’on prend les trois formations ou coalitions politiques dans l’ordre décroissant des intentions de vote des principaux instituts de sondage, le Rassemblement national prévoit un assouplissement important des restrictions ou interdictions liées à la lutte contre le rechauffement climatique (étiquettes DPE des logements existants proposés à la location, modalités du zéro artificialisation nette-ZAN) et également une réorientation de la politique du logement social, par exemple en matière d’attributions. Pour sa part le Nouveau Front Populaire prévoit d’abroger la loi « antisquats » de Guillaume Kasparian avec des santions plus fortes pour les propriétaires récalcitrants que pour les squatters, de mettre en place la garantie universelle de loyers, de renforcer le logement social (relance de la production, réduction des prélèvement sur le secteur), d’augmenter les APL. Enfin Ensemble ! (majorité présidentielle) veut faciliter l’accession à la propriété (exonératon des frais de notaires pour les primo-accédants) ou la rénovation thermique des logement. Au vu des réactions, on ne peut pas dire que les programmes du Rassemblement National ou du Nouveau Front Populaire suscitent l’indifférence…

Mais il est exact que l’enjeu du logement est rarement décisif lors d’une élection présidentielle ou législative. On peut proposer plusieurs explications à cet état de fait : la dimension technique et juridique de l’enjeu logement qui rend sa présentation complexe, la faiblesse tout court de l’importance des programmes notamment lors des élections présidentielles récentes (affaire Fillon en 2017 et début de la guerre en Ukraine en 2022), et probablement le sentiment partagé au sein des états-majors politiques que ce n’est pas rentable sur le plan électoral et donc pas prioritaire de mettre en avant l’enjeu logement.

Marc de Basquiat : Votre formulation est un peu sévère ! Il n’est pas inintéressant de comparer les axes mentionnés (succinctement il est vrai) dans les documents de campagne assemblés à la hâte. 

  • Le programme du « nouveau Front populaire » (NFP) évoque le renforcement des sanctions contre les communes déviantes sur le SRU, la relance de la construction du logement social (200.000 par an, « aux normes écologiques les plus ambitieuses ») et de l’hébergement d’urgence, la réquisition des logements vides, l’encadrement des loyers, l’interdiction des expulsions locatives pour impayés, ainsi que le renforcement de la fiscalité sur le patrimoine et sa transmission, jusqu’à plafonner la valeur de l’héritage. 

  • Gabriel Attal promet une extension de la garantie de loyers (Visale), une aide financière à la « rénovation énergétique des logements des classes moyennes et populaires » ainsi qu’une exonération de « frais de notaire » pour l’achat d’un logement (jusqu’à 250.000 €).

  • Le RN se propose de construire 100.000 logements sociaux par an, dont 20.000 pour les étudiants, de transformer un prêt à 0% en « subvention pour les couples qui auront un 3e enfant », de favoriser la réhabilitation de l’habitat ancien, de protéger les propriétaires contre les risques d’impayés, de supprimer l’IFI et les impôts sur l’héritage direct, d’encourager fiscalement les donations. 

Cette synthèse rapide fait apparaître des divergences à 180° sur le thème du logement. La gauche marxiste déteste les propriétaires privés et propose de les taxer toujours plus afin de financer un million de nouveaux logements sociaux publics en cinq ans. Le premier ministre capitalise sur les expériences récentes pour sélectionner des mesures précises et raisonnables. Le RN encourage « en même temps » les propriétaires et le logement social, ce qui interroge sur la faisabilité économique du programme. Si ce parti arrive aux affaires, il devra faire des choix dans son mélange libéral-conservateur-marxiste. L’alliance avec LR l’aidera peut-être à renoncer aux idées communes avec LFI ?

Dans quelle mesure peut-on affirmer, comme le fait la “housing theory of everything” que la question du logement est la clef de toutes les autres ? Peut-on ainsi penser que c’est en parlant logement que l’on pourra régler la question des inégalités, du changement climatique, de la croissance ou même de la chute du taux de natalité ?

Marc de Basquiat : Le grand intérêt du texte que vous mentionnez est de présenter un inventaire systématique des conséquences fâcheuses d’un marché dysfonctionnel du logement. Ceci nous aide à comprendre pourquoi la question du logement devrait être un socle dans la réflexion sur nos politiques sociales, fiscales, écologiques, démographiques, etc. 

Cependant, ce texte est marqué par le mode de vie américain et ne s’applique qu’à moitié au cas français. Le graphique ci-dessous, par exemple, montre que 60% des habitants de Paris ou Osaka se rendent à leur travail en transports publics alors que c’est le cas d’une minorité dans les grandes villes américaines.

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C’est une difficulté majeure de la question du logement : le sujet est important à plusieurs titres, mais les solutions diffèrent d’un pays à l’autre, d’un territoire à son voisin. Il n’existe pas de recette miracle, qu’on pourrait décliner partout, à une problématique multidimensionnelle et compliquée. 

On mesure les ravages d’une approche idéologique et simpliste du sujet, qui fonde la réflexion du NFP, réduisant la question du logement à une lutte des classes : l’Etat doit s’occuper de loger, toujours mieux et quasi gratuitement, les non-propriétaires en dépit de l’avarice des propriétaires privés. 

Charles Reviens : La « Housing theory of everything », qu’on pourrait traduire par « l’explication de toute chose par le logement » est le titre d’un article de 2021 de John Myers, Sam Bowman et Ben Southwood publié sur Work in Progress. Cette contribution lie une très grande partie des difficultés que connaissent les sociétés et économies occidentales (innovation, productivité, inégalités, natalité…) à la question du coût et de la pénurie d’offre de logement.

Je trouver cette approche féconde. Un des problèmes majeurs de la réflexion logement en France tient à ce qu’elle est fortement portée par des leaders d’opinion (professionnels du logement, journalistes, parlementaires) à la fois professionnels du logement et ayant des intérêts évidents voire des rentes (économiques, idéologiques, électorales…) à certaines orientations des politiques du logement. Au contraire, le logement ne doit pas être vu comme une île déserte mais doit être appréhendé en lien avec le reste de la vie économique et sociale, ce qui conduit à admettre le caractère subordonné et dépendant de tout politique du logement aux autres domaines de l'action publique.

Prenons deux enjeux considérés comme majeurs par l’opinion publique aujourd’hui. Le pouvoir d’achat d’abord : il me semble particulièrement étrange que le discours public général ne fasse aucun lien entre l’importance de cet enjeu et l’augmentation continue sur les dernières décennies du poids du logement dans le budget des ménages. L’immigration ensuite : La note Fondapol de Michel Auboin d’avril 2024 dont j’avais fait une rétention pour Atlantico constate sur la base de données publiques vérifiables la spécialisation de fait du parc HLM en faveur des populations étrangères.

Que signifierait exactement la prise en compte réelle de la question du logement dans la campagne des législatives en France ? A quoi ressemblerait, compte tenu de notre situation actuelle, un programme pertinent sur ces questions ?

Charles Reviens : Il est très difficile voire impossible de répondre à cette question de façon globale car le logement, défini par l’INSEE comme « un local utilisé pour l'habitation » inclut, à côté de ses aspects sociétal, patrimonial et économique qui sont majeurs, une dimension éminemment politique, dimension particulièrement clivante comme on peut le constater dans la rétention rapide des programmes logement des principales formations politiques évoquée à la question précédente. Donc un programme logement pertinent pour une personnes d’une sensibilité politique donnée sera problématique voire sacrilège pour une personne d’une autre sensibilité.

Par ailleurs, les différentes sensibilités politiques sur des thématiques politiques majeures (pouvoir d’achat, ordre public et sécurité, développement durable et lutte contre le réchauffement climatique, immigration) structurent de façon antagoniste les orientations de la politique du logement, comme on le voit entre le Rassemblement National et le Nouveau Front Populaire du fait de leurs positions opposées sur la question de l’immigration ou du climat.

Marc de Basquiat : Il est impossible d’inventer une politique du logement monolithique, où tout serait voté au parlement puis appliqué localement, ce que tente la loi SRU par exemple. Une approche ordolibérale d’économie sociale de marché est plus pertinente, qu’on peut organiser en trois thèmes : la fiscalité, le respect de l’ordre, l’accès de tous au logement.

J’ai déjà évoqué ici la nécessité d’une refonte totale de la fiscalité liée à l’immobilier. Un récent rapport du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) pointe dans la bonne direction, bien qu’en restant trop timide. C’est un signe que la réflexion avance dans notre administration. La proposition de Gabriel Attal fait un premier pas dans le bon sens : « D’ici 2027, nous permettrons également à 1 million de jeunes de classes moyennes et populaires d’accéder à la propriété en les exonérant de droits de mutation à titre onéreux (« frais de notaires ») pour l’achat d’un logement jusqu’à 250.000 € ». Le RN pointe également dans la bonne direction lorsqu’il affiche sa volonté de « supprimer les impôts sur l’héritage direct pour les familles modestes et les classes moyennes ». Les Républicains (LR) ont également intégré la nécessité de réformes fiscales et choisissent opportunément de « baisser les impôts sur les revenus locatifs, afin de remettre des logements sur le marché ». 

Sur le thème du respect de l’ordre, l’actuel ministre délégué au logement Guillaume Kasbarian a œuvré utilement pour protéger les propriétaires contre les squatteurs. Le RN se positionne dans la continuité, alors que le NFP souhaite abolir ces règles. 

Pour l’accès au logement, RN et NFP se rejoignent dans la volonté de multiplier le logement social, ce qui est une erreur. Développer à l’infini un secteur protégé, à l’écart de la dynamique d’un marché libre, aboutit assez généralement à multiplier des administrations et structures intermédiaires en fragilité économique. 

Il serait plus sain et efficace de restaurer l’attractivité économique de l’investissement immobilier, afin d’attirer des acteurs privés puissants, capables de développer une offre adaptée aux besoins et à l’impératif de transition écologique. L’enjeu ici est d’aligner les intérêts légitimes des investisseurs, des propriétaires privés, des locataires, des citoyens soucieux de l’environnement… Ce principe général guide le choix de mesures précises. Par exemple, il conviendrait d’étudier la suppression de toute fiscalité sur les loyers, en compensant la diminution de cette recette par un renforcement de la taxe foncière dans les territoires où son taux est inférieur à la moyenne. 

Un autre principe devrait nourrir la réflexion sur l’accès au logement : une intervention publique efficace et non perturbatrice de la dynamique du marché consisterait à décorréler le loyer acquitté par les demandeurs de logements « sociaux » (les locataires) de celui payé aux offreurs de ces logements (les propriétaires privés). C’est la logique du « Service universel du logement » (SUL) dont les prémices existent déjà dans le dispositif d’intermédiation locative Solibail

A cet égard, qui sont les candidats (ou les familles politiques) les plus à même de porter des propositions intéressantes sur la question du logement ?

Marc de Basquiat : Les orientations d’inspiration libérale choisies par le récent ministre délégué au logement, Guillaume Kasbarian, sont globalement pertinentes. Il faut aller plus loin en démontant systématiquement les hérésies économiques portées depuis des décennies par les idéologies de gauche, qui assimilent les propriétaires à des délinquants sociaux et ne voient d’autre issue que l’extension infinie de l’offre locative publique, financée par une fiscalité confiscatoire sur les « nantis ». 

Lors de son audition devant le Medef le 20 juin, l’ancien premier ministre Edouard Philippe s’est positionné fortement sur la politique du logement :  « Elle est grevée par une fiscalité qui est absurde et par des règles qui sont contreproductives. (…) Il faut les corriger dans le sens d’un peu plus de liberté, pour rendre ce marché un peu plus fluide.  (…) Il faut une transformation totale de la politique du logement, qui passe par une logique d’investissement et non une logique de subventions, et une confiance dans le propriétaire qui met à disposition son logement ». 

Je ne saurais mieux dire.

Charles Reviens : En fonction de ses préférences politiques ou idéologiques, le lecteur fera son marché et trouvera peut-être son bonheur dans la présentation rapide des programmes logement que j’ai fait à la première question.

Comment organiser une politique globale, susceptible de toucher à tous les domaines, autour de la seule question du logement ?

Charles Reviens : Le logement est un secteur à évolution lente. Des politiques lancées il y plusieurs décennies continuent à structurer le paysage aujourd’hui. Pour la France, on peut citer la réforme de 1977 transférant l’essentiel des aides publiques de la constitution de l’offre (aides à la construction HLM) au soutien financier des locataires (APL), la loi Méhaignerie de 1986 sur l’investissement locatif privé, la loi SRU 2000 et son article 55 qui impose des logements sociaux dans toute la France hors rural profond, la loi DALO (droit au logement opposable) qui initie une séquence toujours en cours du priorisation des publics pauvres ou fragiles dans l’accès au logement social, la loi climat résilience (ZAN et interdiction des passoires énergétiques).

L’ouvrage « Le logement en France » avait proposé quelques orientations possibles pour une politique du logement globale :

  • préserver la liberté de choix et son corollaire la propriété privée et respecter l'équilibre entre dimensions privées et collectives de l'enjeu logement ;

  • ne plus construire la politique du logement sur la base d'une méfiance a priori des mécanismes d'autorégulation afin de trouver un nouvel équilibre entre marché et gestion administrée ;

  • maîtriser la surintervention publique basée sur un modèle normatif et fiscal restreignant justement la liberté de choix et en outre particulièrement instable ;

  • rechercher un équilibre entre les différents droits sur le logement : droit de propriété, droit au logement, droit patrimonial ;

  • préserver le caractère principalement privé de l'enjeu logement ; l’argent public particulièrement rare peut sans doute être utilisé avec plus d’intérêt dans d’autres domaines.

Marc de Basquiat : Le rapport du CPO daté de décembre 2023 fournit déjà une base de réflexion pour les responsables politiques qui arriveront aux affaires le mois prochain. Ils devront poursuivre une réflexion de fond pour décider les grands axes. L’objectif ici est de créer un consensus entre gens raisonnables – le parti Horizons semble avoir une longueur d’avance – ce qui exclut a priori la participation des associés du « nouveau Front populaire » à ces travaux. 

Une fois agréé un schéma ambitieux, les différentes administrations et des experts par domaines devraient approfondir l’analyse de faisabilité et le calendrier. Le plan d’action résultant devra être validé par le parlement avant une mise en place qui se déclinera probablement sur une décennie.

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