Le lent suicide d’Hollywood<!-- --> | Atlantico.fr
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L'enseigne emblématique d'Hollywood au sommet du mont Lee, au nord de Los Angeles.
L'enseigne emblématique d'Hollywood au sommet du mont Lee, au nord de Los Angeles.
©JOE KLAMAR / AFP

Déclin

Hollywood peine à renouveler sa production cinématographique, en témoigne l'âge des franchises les plus suivies et diffusées ces dernières années.

Michel  Bampély

Michel Bampély

Michel Bampély est docteur en sociologie de la culture à l'EHESS. Ses recherches portent sur les pratiques artistiques et les industries culturelles. Après avoir collaboré avec des maisons de disques comme Universal, Sony ou EMI, il dirige actuellement le label Urban Music Tour.
Sa thèse en sociologie, sous la direction de Jean-Louis Fabiani est intitulée "Sociologie des cultures urbaines : de la prise en charge des cultures urbaines par les industries créatives et les pouvoirs publics à leur transmission pédagogique dans l'enseignement supérieur".

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Atlantico : Hollywood peine à renouveler sa production cinématographique, en témoigne l'âge des franchises les plus suivies et diffusées ces dernières années. Certains des personnages sur lesquels s'appuient les producteurs et les réalisateurs sont âgés de plus d'un siècle ! Comment expliquer, aujourd'hui, cette tendance à se contenter de la créativité du millénaire précédent dans l'offre culturelle actuelle ?

Michel Bampély : La tendance actuelle de Hollywood à s'appuyer sur des franchises anciennes, certaines ayant plus d'un siècle, s'explique par une saturation du marché similaire à celle des années 1950 avec les séries westerns. À cette époque, malgré des avancées technologiques et culturelles notables, les chaînes américaines persistaient à produire des séries western en masse, un genre déjà épuisé. La saturation de contenu a conduit à une baisse d'intérêt, notamment parmi les jeunes générations, marquant le début de la fin pour ce type de production. Aujourd'hui, Hollywood reproduit ce schéma en recyclant des personnages historiques et des franchises vieillissantes, entraînant une lassitude croissante du public face à un manque d'innovation créative.

La persistance de cette stagnation créative réside en grande partie dans le vieillissement des icônes et des formules narratives employées par Hollywood. Des figures emblématiques telles que Harrison Ford, représentant des franchises comme Indiana Jones, continuent d'occuper le devant de la scène bien au-delà de l'âge où elles peuvent incarner de manière crédible des héros d'action. Cette dépendance aux vieilles gloires résulte d’une frilosité face à la prise de risque et au renouvellement des idées. Elle illustre également une priorité accordée à la fidélisation d'un public nostalgique plutôt qu'à l'attraction de nouvelles générations. Par conséquent, les productions actuelles apparaissent souvent fades et redondantes comparées à certains récits plus innovants d’autrefois.

Hollywood privilégie les franchises établies pour garantir une sécurité financière et des revenus prévisibles, limitant ainsi les risques associés à la production de nouveaux contenus originaux. Comme le souligne le réalisateur Matthew Vaughn, "les grosses franchises ne marchent plus comme avant, alors qu’elles ont alimenté le système durant des années... Ces types n’ont pas développé de scénarios et de films originaux depuis si longtemps que je doute qu’ils sachent encore comment faire." Pour que Hollywood puisse réellement revitaliser son offre culturelle, il est crucial qu'elle surmonte ces inerties et mise sur des idées novatrices et des voix nouvelles.

Dans quelle mesure peut-on penser que ce manque de créativité et de sang neuf est-il susceptible de peser sur l'industrie cinématographique, sur le temps long ? Que dire par exemple, de l'exemple du genre "Western" et de son déclin ?

Le manque de créativité et de sang neuf dans l'industrie cinématographique, tel que révélé par la prolifération de suites, de remakes et d'adaptations, pourrait exercer une influence significative sur son avenir à long terme. Pour l'année 2024, plusieurs suites sont produites parmi lesquelles "Dune : deuxième partie" en février, "SOS Fantômes - La Menace de glace" et "Godzilla X Kong" en avril, "Bad Boys 4" en juin, "Deadpool 3" en juillet, "Joker - Folie à Deux" en octobre, et "Mufasa - Le Roi Lion" en décembre.

En se reposant sur des récits préexistants déjà familiers au public, Hollywood risque de compromettre son pouvoir d'innovation et de captiver les spectateurs. Cette tendance à privilégier la sécurité financière en réutilisant des franchises établies peut conduire à une standardisation des films et à une perte de diversité créative. De plus, l'épuisement progressif des franchises et des personnages célèbres pourrait entraîner une diminution de l'attrait du public pour les productions, mettant ainsi en péril la rentabilité de l'industrie dans le temps.

À mon sens, ce manque de créativité observé à Hollywood, symbolisé par la prédominance des suites, remakes et adaptations, évoque le déclin des westerns dans le cinéma américain. De la même manière que la saturation du marché des westerns dans les années 50 et 60 a fini par lasser le public en raison de la répétition des mêmes schémas narratifs, la tendance actuelle à privilégier les productions sûres au détriment de l'innovation risque d'aliéner un auditoire en quête de nouveauté et d'originalité. En somme, les deux phénomènes illustrent les défis auxquels l'industrie cinématographique est confrontée lorsqu'elle privilégie la sécurité commerciale au détriment de la créativité artistique, ce qui peut conduire à un désintérêt progressif de la part du public.

Le déclin du genre western est également lié aux stéréotypes raciaux et sexistes persistants, qui ont aliéné une partie du public moderne. Les représentations simplistes des Amérindiens comme des ennemis à abattre, l’effacement historique des Afro-Américains et des femmes comme des figures passives, ont rendu le genre moins attrayant pour un public diversifié et exigeant, en quête de récits plus inclusifs et nuancés. Cette stagnation dans la représentation des minorités et des genres a contribué à l'érosion de l'intérêt pour le western. Enfin, les films de western ont été concurrencés au cinéma par les polars, le cinéma d'action, et les blockbusters de science-fiction. À la télévision, les séries policières et les drames modernes ont gagné en popularité, tandis que les westerns crépusculaires et les spaghetti westerns italiens ont transformé la perception du genre.

Faut-il s'attendre à un déclin des franchises les plus populaires à l'heure actuelle, comme cela a pu être le cas pour d'autres genres par le passé ?

Le déclin des films de super-héros semble emprunter la même voie que celui des westerns. Après une période faste jusqu'au milieu des années 2010, marquée par des succès retentissants comme "Avengers", "Wonder Woman" ou "Black Panther", une certaine lassitude semble s'être installée chez les spectateurs. Cette "fatigue des super-héros", évoquée depuis le début des années 2010, pourrait être attribuée à une saturation du marché, avec une moyenne de trois films de super-héros par an depuis un quart de siècle, sans compter les séries dérivées. Comme le western dans les années 1950, avec sa surproduction jusqu'à 54 films en 1958, cette prolifération a fini par conduire à un désintérêt du public. Pour prévenir un déclin irréversible, Disney a récemment annoncé qu'il ralentirait la cadence des productions de la franchise Marvel. Le PDG de la société, Bob Iger, a déclaré le 7 mai 2024 que le nombre de films prévus se limiterait désormais à deux ou trois par an pour le cinéma.

Kevin Feige, à la tête du Marvel Cinematic Universe (MCU), reste confiant malgré les préoccupations concernant une éventuelle saturation du marché des films de super-héros. Dans une récente intervention, il a souligné la richesse et la diversité des histoires disponibles dans les comics Marvel, comparant la situation à celle des adaptations cinématographiques de romans classiques. De son côté, James Gunn, président de DC Studios et réalisateur de la trilogie "Guardians of the Galaxy", évoque la fatigue des super-héros, insistant sur l'importance d'un ancrage émotionnel solide, pour éviter que les films ne se réduisent à de simples spectacles d'effets spéciaux. Cette approche guide sa vision pour les futures productions de DC Studios, mettant l'accent sur la narration et les personnages avant le divertissement et les scènes d'action.

Plusieurs genres cinématographiques ont connu des périodes de déclin au fil des décennies. Par exemple, le film noir, avec ses intrigues criminelles sombres, a vu sa popularité diminuer après les années 1950. De même, les films de guerre ont été moins présents après la Seconde guerre mondiale malgré quelques succès sporadiques. Les comédies musicales, qui étaient autrefois très populaires, ont également vu leur attractivité diminuer progressivement. De plus, les films d'espionnage ont connu une baisse de popularité après la guerre froide, bien qu'il y ait eu des tentatives de revitalisation avec des franchises comme Jason Bourne. Enfin, bien que les films d'horreur aient toujours eu un public fidèle, ils ont également connu des périodes de déclin, notamment dans les années 1980. Ces exemples illustrent la nature cyclique des tendances cinématographiques, où les genres montent et descendent en popularité au fil du temps.

Dans quelle mesure Hollywood peut-il encore s'appuyer sur la nostalgie pour s'en sortir financièrement ? Ce pari vous paraît-il viable, culturellement, créativement et également financièrement sur le long terme ?

La vague nostalgique qui imprègne notre société trouve également écho dans le domaine du cinéma, où de nombreux réalisateurs exploitent habilement ce thème pour créer des œuvres qui résonnent avec le public. Ces "films de nostalgie", rappellent des époques spécifiques ou des moments clés du passé, et offrent souvent une réflexion critique ou ironique sur les époques qu'ils représentent, tout en permettant aux spectateurs de revisiter des souvenirs ou des périodes révolues. Cette tendance témoigne de la capacité du cinéma à capturer et à manipuler le temps, l'espace et la mémoire à travers les images en mouvement, offrant ainsi une expérience immersive qui transcende les frontières du temps présent.

Cependant, alors que Hollywood se tourne de plus en plus vers la nostalgie pour garantir des succès financiers, cette stratégie peut poser des défis culturels et créatifs à long terme. Bien que les remakes, reboots et suites de franchises emblématiques puissent générer des revenus substantiels à court terme, cela risque de limiter l'innovation et d'étouffer la diversité artistique. En capitalisant sur la familiarité des spectateurs avec des propriétés intellectuelles bien établies, cette pratique favorise des formules éprouvées plutôt que de nouvelles idées et perspectives. Cette surutilisation de la nostalgie peut entraîner une stagnation créative, où les studios hollywoodiens préfèrent jouer la sécurité plutôt que de prendre des risques artistiques.

Pour conclure, je dirai que pour maintenir sa pertinence et sa viabilité culturelle, l'industrie cinématographique doit trouver un équilibre délicat entre la célébration du passé et la promotion de nouvelles voix et idées créatives. Bien que la nostalgie puisse offrir une valeur financière immédiate en exploitant la loyauté des fans envers les franchises bien-aimées, il est essentiel que les studios continuent à encourager l'innovation et à soutenir de nouvelles formes d'expression artistique. En embrassant à la fois le passé et l'avenir du cinéma, Hollywood peut espérer rester pertinent et inspirant pour les générations futures, en offrant un équilibre entre les rappels du passé et les visions de l'avenir.

La compétition acharnée entre Hollywood et les plateformes de streaming pour attirer les talents est devenue intense, chaque camp essayant de capter l'attention du public avec du contenu visuel. Cette rivalité contribue également au déclin des franchises traditionnelles, les plateformes de SVOD misant autant sur les fims de nostalgie que sur les nouveaux récits. Les talents sont attirés par des contrats lucratifs et une plus grande liberté créative est offerte par les plateformes, affaiblissant ainsi les studios classiques. En conséquence, Hollywood investit davantage dans ses propres services de streaming parfois au détriment de la qualité des grandes franchises. De plus, la préférence croissante du public pour le contenu accessible à domicile réduit l'impact des franchises cinématographiques traditionnelles, redéfinissant ainsi l'industrie du divertissement.

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