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Jean-Luc Mélenchon et plusieurs autres membres de La France Insoumise, photo AFP
Jean-Luc Mélenchon et plusieurs autres membres de La France Insoumise, photo AFP
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Cynisme électoral

L'extrême-gauche française se montre aujourd'hui indulgente avec des groupes réactionnaires et terroristes. Un paradoxe qu'il n'est peut-être pas si dur d'expliquer...

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Depuis le début de la guerre à Gaza, une partie de la gauche est indulgente, voire complaisante avec des groupes non seulement terroristes, mais surtout réactionnaires tels que le Hamas et le Hezbollah. N’est-il pas paradoxal que l’extrême gauche soutienne des groupes aux antipodes des valeurs qu’elle est censée défendre ?   

Jean Petaux : Toute la question ici réside dans la nature des valeurs de l’extrême-gauche. Celles-ci sont bien difficiles à définir et à circonscrire. Pour de nombreuses raisons évidemment. Et, parmi celles-ci, il est une réponse qui surclasse toutes les autres dans la définition des valeurs de l’extrême-gauche c’est sa grande diversité politique, de culture, de référentiel idéologique, diversité exprimée par de très nombreuses chapelles qui se sont souvent détestées et même violemment combattues, encore aujourd’hui d’ailleurs. Une certaine extrême-gauche, celle à laquelle LFI (entendu ici comme organisation et son « lider massimo », Jean-Luc Mélenchon, se réfèrent est celle des « Lambertistes », des trotskystes sectaires et dogmatiques, capables de s’impliquer dans des manœuvres toutes plus cyniques les unes que les autres et professant une détestation assumée de tous ceux qui, à gauche, ne pensent pas comme eux. Dans les soutiens que cette gauche-là accordent à quelques alliés, soutiens parfois acrobatiques, figure au moins une constante : l’anticolonialisme. Peu importe que ce terme-valise, à même d’englober toute forme de captation d’un territoire ou d’une communauté par un autre Etat, une autre nation ou une autre communauté, soit devenu une sorte de stigmate destiné à frapper tel ou tel État désigné comme « colonialiste » quand d’autres, bien que se livrant ou s’étant livré à des actes comparables, passent « à travers les gouttes » de tel ou tel « tribunal global » : taxer une entité étatique de « colonialisme » c’est, de nos jours, la frapper d’infamie. Rien d’étonnant alors qu’une certaine partie de ceux qui se disent « de gauche », comme J.L. Mélenchon, attaquent ainsi Israël, l’accusant de ce mal infâme et se retrouve, du même coup, « alliés objectifs » des fous furieux et religieux du Hamas et du Hezbollah, « proxis » et surtout « nervis » de leurs maîtres iraniens et ayatolliens.

Dans un tel contexte, tous obsédés qu’ils sont de montrer leur critique à l’égard de l’Etat hébreu, le chef de LFI et ses adjoints  ne se soucient pas de savoir si la doctrine du Hamas et du Hezbollah voue aux gémonies de l’enfer les valeurs défendues par LFI… Peu importe que le Hamas soit porté par une idéologie liberticide, rétrograde, antiféministe et, accessoirement antisémite, alors que, de fait, on est, dans ce cas, au cœur du noyau idéologique de ce parti. « Les ennemis de mon ennemi sont, de facto, mes amis » : même s’ils défendent des idées aux antipodes de celles que l’on affiche. Et l’on se doit d’ajouter : « Peu importe que ces idées soient aux antipodes des nôtres, si cela doit me permettre d’obtenir quelques voix en plus, en provenance de certains musulmans qui voteront aux Européennes du 9 juin prochain… ».

Au bout du compte, le paradoxe s’efface devant le cynisme et l’électoralisme.

L’historien Georges Bensussan a même été jusqu'à comparer Jean-Luc Mélenchon à Jacques Doriot.  Est-ce que comme lui, vous pensez que l’extrême gauche française représente le plus grand risque d’un retour du fascisme dans notre pays ?  

J’ai une profonde admiration pour Georges Bensoussan qui a fait preuve d’un courage extraordinaire en publiant il y a 22 ans maintenant « Les Territoires perdus de la République », livre qu’il faut relire aujourd’hui car il est bien en deçà, hélas, de la réalité qui est la nôtre en 2024. Georges Bensoussan a été honni, détesté, marginalisé pour ses écrits. Souvent par une gauche bien-pensante et prétentieuse. Souvent aussi, comme pour faire bonne mesure, par une droite idiote (c’est son habitus), inculte (c’est son malheur) et lâche (c’est son fil conducteur). Pour autant, je ne partage pas du tout sa comparaison avec Jacques Doriot. Nul n’a besoin de faire ainsi un « grand bond en arrière » en faisant ainsi référence à l’ancien dirigeant communiste, « patron » de ce qui n’est pas encore « la Seine-Saint-Denis » avant 1935 et qui va sombrer dans la collaboration la plus honteuse avec les Nazis jusqu’à sa mort accidentelle à Mengen, en territoire allemand à Mengen (Wurtemberg) le 22 février 1945.

Mélenchon ne sera jamais Doriot tout simplement parce que le premier n’aura jamais à faire ce qu’a fait le second : trahir son pays. Que le chef de LFI montre des signes évidents de fatigue nerveuse ; qu’il laisse libre-court à des réflexes nauséabonds en matière de stigmatisation d’Israël, flirtant constamment avec les précipices du racisme, de l’antisémitisme, tous les observateurs et analystes qui disposent de leur liberté de jugement, en conviennent. Mais il en va des comparaisons comme du langage des fleurs, on leur fait dire ce que l’on veut. Et, de surcroît, à trop vouloir établir des correspondances dans l'Histoire, on dessert la cause que l’on défend. Georges Bensoussan a mieux à faire que de traiter Jean-Luc Mélenchon de Jacques Doriot.

Plus problématique encore se présente la « montée en généralité » qu’autorise cette comparaison. Puisque Mélenchon serait un nouveau Doriot, ses amis et lui n’auraient de cesse que de se comporter comme leur « mentor » et, pire, appliqueraient la même stratégie que l’ancien leader communiste, expulsé du PCF en 1935 : ils seraient les fourriers du retour du « fascisme à la française ». Là encore cette forme de syllogisme n’a aucun sens. En revanche que Mélenchon et LFI, au moins son noyau de fidèles adorateurs de « Gourou-Jean-Luc », par leur stratégie stupide, soient les meilleurs agents électoraux de l’extrême-droite, involontairement (espérons-le), c’est l’évidence.

Au sujet de la guerre entre Israël et le Hamas, la France Insoumise utilise un lexique repris par des personnages comme Frédérique Châtillon. Le journal Rivarol a même salué Jean-Luc Mélenchon pour ses prises de positions. Est-ce que LFI ne devrait pas s’inquiéter d’être sur la même ligne que l’extrême droite antisémite ? 

Dans une remarquable tribune publiée dans les colonnes du journal « Le Monde » daté du 20 avril 2024, Eva Illouz, sociologue franco-israélienne de très grand talent et directrice d’études à l’EHESS et Derek Penslar, professeur d’Histoire juive à Harvard ont dit, bien mieux que ce je pourrai dire, que la « gauche ne sait plus parler de ce qui se passe au Proche-Orient ». Je m’empresse de dire qu’il aurait été plus pertinent sans doute de parler d’une forme de gauche, sans, malheureusement, que cette gauche empêtrée dans ses contradictions, tel Gulliver empêtré dans les fils qui entravent ses mouvements, ne soit « résumable » à LFI. Ce qui est manifeste aujourd’hui c’est que J.L. Mélenchon va continuer dans la surenchère victimaire, allant jusqu’à s’assimiler aux Palestiniens victimes des délires suprématistes de quelques ministres d’extrême-droite du gouvernement Netanyahou.

Cette posture n’inquiètera jamais Mélenchon et quelques unes et quelques uns de ses « sicaires ». Tout au contraire. En revanche elle finira, y compris dans les rangs de LFI (les plus intelligents et les moins sectaires, tels que le député de la Somme, François Ruffin), par en rebuter plus d’un. L’avenir le dira. En l’état actuel du débat, LFI a enclenché la machine à exclure et à marginaliser. C’est de cela dont ses leaders, tous ses leaders, doivent prendre conscience. Et c’est, sans conteste, une source, chez ceux-là, d’inquiétude. Sentiment totalement étranger à JL. Mélenchon et à sa garde rapprochée, même si, de plus en plus, la musique, les paroles et l’interprétation de la « ligne politique » rend de plus en plus ténue la ligne de partage entre le « brun » et le « rouge méluche ».

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