Le FN s’attaque à l’insécurité culturelle : mais à quoi ressemble-t-elle à hauteur des électeurs du parti ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le FN s’attaque à "l’insécurité culturelle".
Le FN s’attaque à "l’insécurité culturelle".
©Reuters

Nouveau terrain de chasse

L'insécurité est une thématique récurrente du Front national. Sa présidente Marine le Pen souhaite rattraper son retard dans le domaine culturel en lançant "Le collectif Culture, libertés et création" (Clic) mardi 2 juin sous les couleurs du Rassemblement bleu marine.

Valérie  Igounet

Valérie Igounet

Valérie Igounet est historienne, chercheuse associée à l'Institut d'histoire du temps présent (CNRS). Valérie Igounet est l’auteure d’Histoire du Front national. Le parti, les hommes, les idées (éditions du Seuil, 2014) et anime le blog francetvinfo "Derrière le Front. Histoire, analyses et décodages du FN".

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Lorrain de Saint Affrique

Lorrain de Saint Affrique

Lorrain de Saint Affrique est un ancien journaliste.

Proche du Front national, conseiller en communication de Jean-Marie Le Pen de 1984 à 1994, secrétaire départemental du FN dans le Gard et conseiller régional du Languedoc-Roussillon, de 1992 à 1998. Il avait été écarté du FN en 1994 à l’occasion d’un conflit avec Bruno Mégret. Il a publié Dans l'ombre de Le Pen (Hachette Littératures) en 1998. A la suite de l’exclusion de Jean-Marie Le Pen du FN, il renoue avec celui-ci : depuis le 1er octobre 2015, il exerce la fonction d’assistant parlementaire du député au Parlement européen, en charge des questions de presse.

 

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Atlantico : Comment le terme "d'insécurité culturelle" raisonne-t-il dans la tête d'un électeur du Front National ? Comment cet électorat définit-il le concept d'insécurité culturelle ? Selon l'électorat, qu'associent les électeurs quand on leur parle de ce concept ?

Valérie Igounet : Selon moi, ce qui parle le plus à l'électeur dans ce concept est le mot d'insécurité. L'électorat du Front National, comme tout électorat, est vaste. Le terme d'insécurité culturelle peut rencontrer un écho et une écoute dans un milieu intellectualisé, éduqué, et qui dispose de la perception d'un monde intellectuel. Ils pourront associer la culture à l'identité et au récit national. Ces électeurs ne voient pas l’intellectuel français leur offrir ce qu'ils attendent. En revanche, l'électorat populaire et ouvrier qui vote aujourd'hui pour le FN ne trouve pas d'intérêt particulier dans ce concept.

Chaque électeur, quand il vote, pense à des thèmes récurrents. Au FN, un de ces thèmes est le thème de l'insécurité, sur lequel le mot culture peut venir se placer. L'électeur du FN d'aujourd'hui ressent une peur et une insécurité. Le parti utilise la même sémantique pour l'insécurité culturelle, mais je pense que cela fera partie d'un tout. Lesélecteurs du FN ne votent paspour le parti principalement pour le concept d’insécurité culturelle.

Le FN n'a pas de véritable offre culturelle pour le moment. Il exploite et rebondit sur ce terme, mais reste dans la critique de l'offre des intellectuels français en général. La société intellectuelle n'est pas du tout tournée vers le FN. Le parti surfe donc sur ce concept d'insécurité en général, pour offrir autre chose. On verra ce que le "Collectif culture, création et liberté" lancé par Marine Le Pen a à leur offrir.

Lorrain de Saint Affrique : C’est un universitaire venu de la gauche socialiste, Laurent BOUVET, qui depuis quelques années popularise le concept d’insécurité culturelle. A le lire, on déduit qu’il fait porter à sa propre famille de pensée, principalement, la responsabilité du déclin de ce qu’il appelle « le commun », par l’excessive sanctification des aspirations différencialistes. Dans les manifestations du Front National, un slogan résume tout : « On est chez nous ! ». Il y a quelques années, Marine LE PEN avait fait le pari que la question de l’Islam au sens large orienterait de plus en plus les comportements électoraux, et qu’à condition d’éloigner autant que possible le soupçon de racisme et d’extrémisme, les gains politiques seraient conséquents : elle semble assurée de pouvoir maintenant compter sur un socle de 5 à 6 millions d’électeurs. La gravité des conflits qui ensanglantent le monde musulman, l’évocation d’un califat universel terroriste et conquérant renforcent jour après jour l’idée que la menace se rapproche, et ceux qui, à droite, évoquent qui un « ennemi de l’intérieur », qui une « 5ème colonne » dispensent les frontistes d’inventer des sous-titres à une actualité qui paraît valider leurs prévisions alarmistes. Ensuite, il y a les succès d’édition qui nourrissent en arguments parfois - mais pas toujours - spécieux un esprit public tourmenté. Le thème de l’insécurité, s’agissant des personnes et des biens, appartenait depuis des décennies au corpus frontiste ; le lien avec l’immigration était sans cesse réaffirmé. Mais l’idée qu’un gouvernement de gauche veuille, en plus, « manipuler » les programmes scolaires en compliquant l’accès aux humanités et en dénaturant l’histoire nationale va jouer un rôle d’accélérateur d’indignation, y compris dans les milieux populaires.

L'association de la culture et de l'insécurité séduit-elle une partie des électeurs ? Pourquoi cette culture est-elle en danger ? Historiquement, depuis quand les électeurs du FN peuvent-ils entendre un discours lié à l'insécurité culturelle ?

Valérie Igounet : Selon l'électorat, la réception et la perception du terme vont varier. L'insécurité est un mot fort couramment utilisé par le FN, depuis ses débuts. Il renvoie avant tout à une autre notion que l'insécurité culturelle. Les tracts, affiches et discours du FN sont porteurs de ce mot récurent. Le terme d'insécurité culturelle n'est pas encore prégnant dans ce discours. Quand on parle d'insécurité culturelle, c'est que l'on souhaite offrir autre chose. Le FN sait que c'est une des lacunes du parti. Le FN de Marine Le Pen fait ce que le FN de Bruno Mégret faisait dans les années 90, en créant des nouvelles structures, en recherchant des "intellectuels" représentatifs de nouveaux courants de pensée.

Depuis le milieu des années 90, la sociologie de l'électorat du FN a changé. À partir desannées 1995, on observe l'apparition d'un vote ouvrier de droite. Je ne pense pas que ces personnes entendent ce concept. Le ressort de leur vote est ailleurs.Mais dès les années 90, sous la houlette de Bruno Mégret et de Carl Lang, le FN propose une formation idéologique et sémantique des cadres et des militants. Le discours que le FN voulait porter était différent, pour arriver à proposer une offre intellectuelle et ouvrir un volet culturel.

Lorrain de Saint Affrique : L’incarnation du Front National par Jean-Marie LE PEN sur une période aussi longue doit beaucoup à l’ascendant culturel qu’il exerçait bien au-delà de sa sphère d’influence militante et même électorale. Ses discours, il aurait pu les improviser aussi bien en latin qu’en français ; tous les publics y compris les plus hostiles ressentaient cette densité romanesque que confère la connaissance. Pour reprendre l’expression « insécurité culturelle » les électeurs du FN ont été des pionniers dans la mesure où beaucoup se sentaient appartenir au camp des vaincus de l’Histoire : seconde guerre mondiale, décolonisation, déclassement économique, et même Vatican II, autant de ruptures douloureuses. Le renouvellement des générations ne suffit pas à dissiper, au contraire, le sentiment qu’une revanche française d’envergure est en gestation, qu’elle est légitime, de droit, probable, inévitable.

Comment ces électeurs souhaitent-ils préserver la culture française ? Pourquoi, aux yeux de certains de ces électeurs, la culture est-elle en danger ? Quels facteurs peuvent la menacer ?

Valérie Igounet : Pour de nombreux électeurs du FN, au-delà de la culture, c'est avant tout la France qui est en danger. Le domaine culturel ne sera pas le premier domaine pointé. Le premier, à l'heure actuel, sera le domaine de l'insécurité économique, ou politique. La culture me semble être un maillon faible dans la perception d'un électeur du FN. Et qu’est-ce que la culture ? Elle peut correspondre à diverses choses : les festivités estivales, un divertissement, un discours, un ouvrage, un lieu, un auteur, une offre et des références intellectuelles, etc. … Chacune de ces composantes parle à un électorat différent.

Lorrain de Saint Affrique : Américanisation, islamisation, déchristianisation, financiarisation, uniformisation, consumérisme destructeur du génie propre à la France… La liste n’est pas exhaustive où chacun selon sa sensibilité verra le danger qui le touche le plus. Cette même liste sur laquelle Marine LE PEN et ses équipes cochent les cases au gré de l’actualité. Une telle ambiance rend assez vaine une quelconque hiérarchisation des menaces ; c’est plus leur simultanéité qui façonne une angoisse collective. A cause du conflit qui oppose la présidente du FN à son père, ses ennemis donnent de la voix ; à l’exclusion des insultes, il arrive que ce soit drôle, et même instructif : « L’insécurité culturelle, c’est le sentiment qui s’empare de Marine LE PEN a chaque fois qu’elle passe devant une librairie ».

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