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Le dilemme LREM : comment construire un parti en état de marche tout en restant dans la soumission à la pensée complexe d’Emmanuel Macron ?
©AFP

Injonction contradictoire

Le fonctionnement interne d​e LREM, totalement sous l'emprise du président de la République, va à l'encontre de la notion même de parti politique​, celle-ci étant de proposer un rôle intermédiaire entre le peuple et le gouvernement.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Le 18 novembre prochain, l'élection de Christophe Castaner, seul candidat en lice à la direction de LREM (une décision prise par Emmanuel Macron) aura lieu lors de la Convention du parti à Lyon. Une situation qui a pu créer quelques tensions en interne, notamment lorsque le sénateur LREM Julien Bargeton a indiqué "À mon avis, il serait souhaitable qu'il ne reste pas au gouvernement". Plus globalement, en quoi le fonctionnement interne d​e LREM, totalement sous l'emprise du Président, peut-il être considéré comme paradoxal avec la notion même de parti politique​, celle-ci étant de proposer un rôle intermédiaire entre le peuple et le gouvernement ? Quelles sont les carences du parti en la matière ?

Jean Petaux : Ce qui est en question ici c’est la nature et la forme du parti politique que vous imaginez.  Il n’y a jamais un seul type de partis politiques. Le premier, Maurice Duverger en son temps (années 50), a fait la distinction entre « partis de masse » et « partis de cadres ». On peut même imaginer que bien avant lui, Roberto Michels le sociologue italien que l’on classe volontiers à droite, au sortir de la Première guerre mondiale, travaillant sur la social-démocratie allemande (le SPD), trouve dans le grand parti allemand, représentant de la classe ouvrière, tendance «  réformiste » par opposition au Parti Communiste allemand après 1921, affilié au Komintern, le ferment de la fameuse « loi d’airain de l’oligarchie » telle que Michels va la définir.

On peut tout à fait accorder crédit au politique britannique, Vincent Wright, très fin connaisseur par ailleurs de la vie politique française, qui fit de nombreux séjours en France en particulier en tant que professeur invité à Sciences Po Bordeaux dans les années 1980 – 1990. Wright distingue deux types de partis politiques dans son ouvrage : “Comparative party models : rational-efficient and party demarchy” (1971), Le parti efficace-rationnel (Rational efficient model), comprenons aujourd’hui en France, « La République en marche » (LREM) se caractérise par le fait qu’il met l’accent sur les échéances électorales en mettant peu en avant les critères idéologiques. Wright ajoute que ce type de parti se contente de « peu » d’idéologie. Ce qui peut se traduire de la façon suivante : les élus sont peu « chouchoutés » et le parti se réveille surtout en période électorale.

Donc LREM n’a peut-être pas vocation à être le relais ou l’intermédiaire entre le peuple et le gouvernement tel que vous l’imaginez dans votre question. Si tel est le cas et si aucune « formuie » ne vient compenser ce déficit sans doute congénital, on peut tout autant concevoir que LREM cesse d’être considéré comme la « courroie de transmission » du président Macron, au profit d’une image ou d’une représentation plus simple : LREM est destiné à emporter les élections. C’est «une » « machine électorale essentiellement. On voit bien la « filiation », elle est américaine et bouscule largement la culture et la tradition française en matière d’ingénierie institutionnelle en France.  

En quoi la problématique découlant de la verticalité du parti est-elle accentuée par l'idée de la "pensée complexe" d'Emmanuel Macron, créant ainsi une impression de décalage entre les prises de décision du Président et un "service après-vente" devant être "géré" au jour le jour par les cadres du parti ? 

Sans négliger l’impact de la pensée complexe du président Macron sur le rythme des saisons, le mouvement des étoiles et le réchauffement climatique, on peut aussi considérer que la pensée complexe du président n’a rien à voir dans la situation actuelle. La difficulté à laquelle est confrontée LREM est celle qu’ont connu, avant elle, des partis comme l’UNR, le PS lorsque l’une ou l’autre de ses formations occupait le pouvoir législatif.  Si le PS a débuté sa « décennie heureuse » (entre 1977 et 1987) par une longue série de succès ininterrompue au moins jusqu’à la victoire de Mitterrand en 1981 ; à l’inverse, l’UDR n’est jamais parvenue à s’implanter au plan local, en choisissant  plutôt à des contingences nationales avant d’être locales…

LREM peut-il fonctionner ainsi dans la durée ? Le parti ne sera-t-il pas contraint par la réalité à trouver un ancrage local, permettant d'irriguer le parti du bas vers le haut, et retrouver ainsi ce rôle d'intermédiaire ? 

La réponse à votre question est « non ». Non, en effet, LREM ne va pouvoir fonctionner sans un ancrage territorial. Mais, comme nous l’avons déjà dit, la capacité de résilience de ce nouveau type de parti politique est très forte. D’une certaine manière, LREM  va enfoncer le dernier clou » du « cercueil » à cette famille de partis politiques définis, par exemple, comme des «partis de cadres ». La réalité est bien plus simple : conçu pour l’ascension et la victoire d’un seul, candidat au fauteuil suprême, LREM n’a plus vraiment d’utilité aujourd’hui. Il resservira (ou pas..) à l’échéance prochaine, lorsqu’il faudra de nouveau se confronter au verdict des urnes. Et d’ailleurs en l’occurrence il n’est pas dit qu’Emmanuel Macron soit candidat en 2022 à sa propre réélection

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