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Le délicat bilan des droits de l'Homme face à l'évolution de la société
©DANIEL JANIN / AFP

Bonnes feuilles

Après la Seconde Guerre mondiale, les droits de l'homme apparaissaient comme une promesse universelle de paix et de justice. Aujourd hui, ils sont devenus un champ de bataille idéologique. Car les droits de l'homme sont d'abord le reflet de notre conception de l'homme. Or, celle-ci a beaucoup changé depuis la rédaction de la Déclaration universelle, en 1948. Alors que cette déclaration d'après-guerre s'inspirait encore des droits naturels, l'affirmation de l'individualisme a généré de nouveaux droits antinaturels, conduisant aujourd 'hui à l'émergence de droits transnaturels qui promettent le pouvoir de transformer la nature. Grégor Puppinck publie "Les droits de l'homme dénaturé" aux éditions du Cerf. Extrait 2/2.

Grégor Puppinck

Grégor Puppinck

Grégor Puppinck est directeur de l' European Centre for Law and Justice (ECLJ). 

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1948‑2018 : 70 ans après, l’heure est au bilan. 

Le système institutionnel de protection des droits de l’homme s’est développé, tant en Europe qu’au sein des Nations Unies. De nombreux mécanismes ont été instaurés, mais peu sont effectifs. À vrai dire, ils ne fonctionnent que dans les pays de culture occidentale ; et encore, à l’exclusion des droits sociaux. Ailleurs, ils restent un discours, de plus en plus rejeté, comme un reste de l’héritage colonial. C’est aussi contre la « colonisation idéologique  des plus forts et des plus riches », selon les mots du pape François (discours du pape François à l’occasion des vœux du corps diplomatique accrédité près le Saint‑Siège, 8 janvier 2018. en ligne sur le site du Vatican), ou contre l’impérialisme culturel  d’un Occident décadent que des pays d’Europe centrale et orientale rejettent les droits de l’homme, après en avoir pourtant rêvé pendant les décennies de plomb (même en France et en Suisse, des politiciens emboîtent le pas, ayant reconnu là une tendance de fond dans l’opinion. De fait, je me souviens d’un jour où, lors d’une réunion d’experts au Conseil de l’Europe, quelques représentants de gouvernements devisaient de cette crise, disant qu’il fallait « tenir » et « faire le dos rond » quelques années, et laisser passer la vague des critiques). Les critiques viennent aussi d’Europe occidentale, en provenance des rangs souverainistes et conservateurs. À Strasbourg, une ombre nouvelle plane sur l’avenir de la Cour : à force de s’élever, elle est devenue une cible. 

Que sont devenus les droits de l’homme pour que des peuples longtemps opprimés les dédaignent à ce point ; pour qu’ils voient en eux une nouvelle oppression, un danger mortel pour leur civilisation ? Ils seraient devenus un pou‑ voir anti‑démocratique et un dissolvant de toute appartenance familiale, religieuse, culturelle et nationale, une collection de faux droits individuels à la débauche et à la mort. Même l’église s’en méfie à présent, renouant avec son ancienne critique. Quant aux musulmans, ils les méprisent ; pire, ils ont rédigé leur propre Déclaration Islamique des Droits de l’Homme (1990) fondée sur la loi islamique, dont s’inspira ensuite la Ligue des états arabes pour rédiger en 2004 sa propre Charte arabe des droits de l’homme. L’association des nations d’Asie du Sud‑Est (ASEAN) fit de même en 2012, en adoptant une Déclaration des droits de l’homme de l’ASEAN. Ces déclarations particulières furent critiquées par le haut‑Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU en ce qu’elles sont, au moins pour partie, contraires aux normes des Nations unies. De fait, les droits de l’homme n’ont pas tenu les promesses du personnalisme. Pourquoi l’auraient‑ils fait d’ailleurs, car il n’y avait personne pour les y contraindre ? Le revêtement personnaliste, qui donnait quelque consistance à l’homme des droits de l’homme, s’est érodé sous l’usure des revendications, laissant réapparaître un être nu, désincarné. 

Certes, la culture occidentale a fini par l’emporter sur le collectivisme des anciennes républiques soviétiques, mais, une fois rompu l’équilibre de la Guerre Froide, les droits de l’homme n’ont su nous préserver des excès inverses de l’individualisme. Contraception, avortement, divorce, porno‑ graphie, euthanasie, homosexualité, eugénisme : toutes ces pratiques, largement prohibées après‑guerre, sont à présent des droits, et leur critique un interdit. Un renversement complet s’est produit depuis 1948. Pourquoi ? Comment ? Cette révolution est‑elle une trahison, une escroquerie ? On peut le croire lorsque l’on voit aujourd’hui des juges prendre le contre‑pied de l’intention déclarée des rédacteurs de 1948. Faut‑il en finir avec le système des droits de l’homme, qui ne serait qu’un vestige idéologique d’une époque déjà révolue ? C’est ce que l’on entend de plus en plus souvent (en témoigne l’audience rencontrée par le livre de Jean‑Louis Harouel, Les droits de l’homme contre le peuple, Paris, Desclée de Brouwer, 2016). 

Nous ne sommes plus dans le monde d’après‑guerre. Depuis les trente Glorieuses, il y a eu 1968, 1989 (la chute du communisme), 2001 (le choc avec l’islam), 2007 (la crise financière mondiale) et à présent la crise migratoire. Quant à la prochaine crise, elle pourrait bien être celle des instances européennes. L’époque confiante du couple Mitterrand‑Kohl paraît aussi paisible qu’antédiluvienne. Un temps révolu.

Nous sommes entrés dans une nouvelle époque, située bien au‑delà des droits de l’homme de 1948. Que s’est‑il passé ? Suivant quelle logique ont‑ils évolué ? Comprendre la transformation des droits de l’homme, c’est comprendre celle de l’homme depuis 70  ans, et c’est esquisser l’avenir. Car les droits de l’homme ne sont autres que le reflet de l’idée que la société se fait de l’homme.

Extrait de "Les droits de l'homme dénaturé" de Grégor Puppinck, publié aux éditions du Cerf

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