Le courage et le sens du devoir des membres de la BRI lors des attentats de l’Hyper Cacher et du Bataclan<!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo prise le 9 janvier 2015 montre des membres des forces de l'ordre prenant position près de l'Hyper Cacher à Saint-Mandé.
Une photo prise le 9 janvier 2015 montre des membres des forces de l'ordre prenant position près de l'Hyper Cacher à Saint-Mandé.
©ERIC FEFERBERG / AFP

Bonnes feuilles

L’ouvrage « Forces spéciales et unités d'élites, au cœur de leurs émotions » est publié sous la direction de Teddy Palassy aux éditions Solar. 15 opérateurs des meilleures unités militaires et des forces de l'ordre françaises ainsi qu'un ex-otage du Bataclan témoignent. Réussir une mission périlleuse a fait partie de leur quotidien ainsi que leur devoir. Extrait 1/2.

Teddy Palassy

Teddy Palassy

Teddy Palassy est un ancien membre des forces spéciales. En parallèle de son nouveau métier, il décide, avec l’aide d’anciens opérateurs comme lui, de créer l’association "Forces Spéciales Coaching". Son but : préparer physiquement, moralement et intellectuellement de futurs candidats pour les unités du commandement des opérations spéciales, mais aussi de la police, gendarmerie, pompiers ou pour des métiers de la sécurité.

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Forces Spéciales Coaching

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Forces Spéciales Coaching est la seule association à avoir réussi à réunir des opérateurs d’autant d’unités différentes. Ce positionnement unique lui permet d'attirer des milliers de personnes en recherche d'optimisation physique et mentale pour développer leur efficacité opérationnelle.

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La colonne est en place sur la porte d’accès livraison de l’Hyper Cacher, l’effraction chaude est notre top inter, la tension est palpable. Le dernier message radio que nous avons reçu pendant que la colonne se met en place est le suivant : « Les gars, on va y aller, il y a de l’explo à l’intérieur… »

Je me souviens des jours qui ont précédé l’assaut de l’Hyper Cacher, notamment le 7 janvier, date de la terrible action meurtrière sur Charlie Hebdo où des policiers parisiens ont également trouvé la mort. À cette époque, je faisais partie de la brigade d’intervention, une des composantes de la BAC. Cet ensemble, piloté par la BRI, est immédiatement activé. La traque vient de commencer pour plusieurs jours… La France n’a pas vécu d’attaque de cette ampleur sur la capitale depuis bon nombre de décennies.

Sur cette période nous passons la plupart du temps en « lourd » (pour un opérateur, « s’équiper en lourd » signifie porter gilet, casque et matériel d’intervention), à vérifier les différents points sur lesquels nos objectifs peuvent se trouver. Nous intervenons en Picardie avec le RAID et le GIGN pour fouiller une zone importante, composée essentiellement de villages, où les deux terroristes semblent se trouver.

L’équipement lourd devient de plus en plus contraignant dans ce type de configuration de fouille où du matériel plus léger, tel que des porte-plaques, est plus adapté pour les opérateurs. Mais à cette « époque », qui n’est pas si lointaine, les groupes d’intervention de la Police nationale évoluent essentiellement sur des crises en milieu urbain, pour la plupart localisées dans des bâtiments ou des maisons. Physiquement, je me trouve dans la catégorie des « chats maigres » : 1,71 m pour 65 kg ; avec le matériel (armement, équipement, gilet et casque lourd), j’atteins facilement les 90 kg. Le soir, fatigué, je demande à ma compagne de me masser les trapèzes pour m’aider à récupérer ; le poids du gilet lourd et surtout du casque met mon physique à rude épreuve.

Au fil des jours, mon état de fatigue s’accentue, sans toutefois être problématique. Je dors plutôt bien, malgré cette situation qui accapare mes pensées. Les phases de sommeil semblent être moins réparatrices lorsqu’il y a une tension sous-jacente. Inconsciemment je suis aux aguets de la moindre sonnerie, du moindre signal pro‑ venant de mon smartphone allumé H24…

Outre l’aspect opérationnel il me faut expliquer la situation à mes proches, en employant des mots abordables pour les plus jeunes qui ne comprennent pas, ou mal, ce qu’il se passe. À mon domicile, je n’ai jamais évoqué ce type d’intervention en présence de mes enfants. Beaucoup d’informations, souvent les mauvaises, circulent dans les établissements scolaires et il faut répondre un minimum à certaines questions. J’ai en mémoire un dessin de mon fils représentant une équipe de foot dont les joueurs ont la tête coupée, etc.

Le vendredi 9  janvier en fin de matinée, nous nous projetons pour fouiller des lieux susceptibles de servir de planque aux terroristes. Un long cortège de véhicules de police arpente les rues en direction de la zone. La tension est palpable au niveau de la population qui s’écarte pour nous laisser passer comme elle ne l’a jamais fait auparavant. Le spectre du terrorisme est omniprésent dans les rues de la capitale. La veille, sur la commune de Montrouge, une policière intervenant sur un accident de la voie publique a été abattue d’une balle d’AK-47 dans le dos ; un de ses collègues est également grièvement blessé.

Treize heures, l’attaque de l’Hyper Cacher vient de commencer, nous recevons immédiatement pour instructions de nous rendre sur place ; une multitude d’informations circule sur nos smartphones, radio-police fonctionne parfaitement en parallèle de la voix officielle.

Sur le périphérique, la circulation est saturée et, très vite, nous nous trouvons dans l’incapacité d’avancer. Une seule solution s’offre à nous : continuer notre progression à pied, laissant nos véhicules dans le flot de la circulation, sous le regard médusé des automobilistes. Je n’ai pas vraiment de souvenir précis concernant mon état émotionnel en cet instant, le fait d’être en mouvement, dans l’action, empêche de se poser trop de questions. Mais une chose est certaine en tout cas, nous partons sur une situation de crise majeure avec une multitude d’otages.

La porte de Vincennes n’est qu’à une centaine de mètres, nous commençons à relever les collègues des différents services qui se sont postés autour du magasin afin de couvrir les accès.

Je me trouve en premier lieu le long de la rampe d’entrée du périphérique nord au niveau de la porte de Vincennes. Hormis la fatigue dont je parlais précédemment, je me sens bien, eu égard aux événements. Pour les opérateurs, une longue période d’attente commence, nous nous sommes dissimulés derrière une rambarde de béton pour nous protéger en gardant un appui feu sur la porte d’accès arrière du magasin, la porte principale étant couverte par le RAID. Pour nous prémunir du sol mouillé, nous disposons au sol quelques cartons qui traînent le long de la rampe, histoire de ne pas avoir « le cul mouillé ». Je garde sur mon bureau une photo de cette phase d’attente plutôt atypique.

En arrière-plan, des collègues ont dévalisé la station-service à proximité pour que nous puissions nous sustenter un minimum avec les moyens du bord ; des Mars, des chips… de la malbouffe que nous sommes contents de trouver dans ces conditions.

Cette phase ne m’a pas paru particulièrement contraignante. Nous avons l’habitude d’attendre sur les interventions – qui, parfois, durent des heures. Sur mon point, nous patientons en silence, il ne me semble pas y avoir de tension particulière dans le groupe ; cependant je ne sais pas ce que ressentent mes camarades. Je consulte ponctuellement mon portable en évitant de répondre à mon entourage proche, préférant rester dans ma bulle.

Sur la rampe, le chef de colonne, qui allait devenir mon chef de groupe une fois à la BRI, demande deux gars pour renforcer la colonne qui se trouve au-dessus de nous le long du magasin. Je saisis cette opportunité pour bouger avec un copain de la BI ; il me semble que nous serons mieux placés en haut que le long du périphérique, où je commence à trouver le temps pesant. À cet instant je ne pense pas à un placement stratégique sur l’intervention mais simplement à la possibilité de bouger sur une autre zone.

Arrivés sur la partie supérieure, avec mon collègue nous rejoignons le groupe qui se trouve en configuration d’assaut d’urgence. On nous informe que le terroriste semble disposé à libérer un otage ; je crois me souvenir qu’il s’agissait d’un enfant. Les préparatifs pour assurer une éventuelle sortie se mettent en place. La tension monte d’un cran. Cependant cette libération n’aura pas lieu. Peu de temps après, une information capitale nous parvient : « le terroriste a de l’explo ». Je ne me souviens pas avec exactitude à quel moment cette information a été donnée (avant ou après l’annonce de la sortie potentielle d’un otage), mais ces quelques mots donnent naissance à un ressenti nouveau. Une sensation de malaise s’empare immédiatement de moi ; elle part du ventre et remonte au niveau de mon crâne d’un seul coup, une réaction difficile à expliquer même aujourd’hui. Cependant, la cause est claire pour moi : la peur de cet inconnu, l’explosif. La BRI travaille depuis un certain temps sur cette thématique avec des dépiégeurs d’assaut ; à la Brigade d’intervention nous avons eu une formation sur ce sujet, à laquelle je n’ai pas encore pu assister.

Intervenir sur un individu armé ne me pose pas de problème ; j’entends par là que travailler sur un homme armé est plus commun pour nous que de travailler sur un kamikaze avec des explosifs. La méconnaissance de ce type de matériel, de ses effets, me met ponctuellement dans le rouge en amont de l’intervention. Dans un milieu confiné, nos protections balistiques ne seront pas efficaces face à des explosifs capables de souffler la structure.

Je ne me sens pas dans le match, obnubilé par cette information qui pollue mon esprit et mon travail. Je suis présent mais je subis factuellement des mots… car à ce moment nous n’avons qu’une information, et reste à savoir si elle est bonne. Lorsque nous commençons à évoluer vers la porte d’entrée, la tension est toujours omniprésente ; je suis dans l’action physiquement mais avec un sentiment perturbant de blocage qui interfère en partie sur mes moyens et je ne sais pas comment m’en débarrasser.

Nous devons lancer l’assaut quand le collègue du RAID fait sauter la porte métallique arrière donnant sur la réserve du magasin. Paradoxalement, l’élément le plus limitant pour moi devient salvateur dans l’action.

L’opérateur du RAID déclenche l’effraction sur la porte, l’explosion me paraît forte malgré la distance et mon casque antibruit électronique. Toute la pression tombe instantanément, d’un seul coup, un reset complet. La colonne BRI se met immédiatement en marche pour lancer l’assaut ; la distance pour parvenir à la porte me semble énorme (l’effraction à l’explosif nous imposait de nous tenir éloignés). Avec deux collègues de la Brigade d’intervention nous nous trouvons face à la porte, derrière les véhicules en stationnement, tandis que l’ensemble de la colonne s’apprête à investir le magasin. En nage, derrière le bouclier de Benoît et Éric, je vois l’entrée en partie au travers de l’Eotech de mon G36 ; notre position n’est pas judicieuse car nous oublions la présence du THP qui se tient en couverture façade. Au niveau de l’accès, le constat est simple  : la colonne ne pourra pas passer, une multitude de débris jonche le sol et l’encadrement de porte. La BAC ne peut pas entrer dans le magasin en premier comme prévu. Une rafale provient de la réserve ; je suis incapable de dire si elle nous est destinée… machinalement, nous nous décalons tous sur la gauche. Quelques secondes plus tard j’entends une série de tirs et d’explosions provenant de l’entrée du magasin où les gars du RAID, nous sachant bloqués, donnent l’assaut. Je ne suis pas capable de livrer un quel‑ conque ressenti physique ou émotionnel sur cette phase de l’assaut tellement j’étais focalisé sur l’action. Sur le côté droit, je vois furtivement un collègue au sol qui se fait tirer par des opérateurs en direction du périphérique.

Benoît, qui se trouve devant moi avec un bouclier, s’avance et le jette au sol pour commencer à évacuer les débris qui jonchent le sol. La colonne commence à progresser dans l’entrée de la réserve tout en la déblayant. Les tirs viennent de cesser à l’entrée du magasin. Étant dans l’incapacité d’entrer, je me dirige avec d’autres opérateurs, vers l’angle de la rue situé à une dizaine de mètres de mon point. Quand je passe l’angle du magasin, je tombe sur un corps adossé à l’Hyper Cacher, celui du terroriste qui vient d’être neutralisé par le RAID. Je le regarde furtivement en poursuivant ma progression.

À l’intérieur, il y a pas mal de particules en suspension, suite à l’assaut ; les corps des victimes jonchent le sol au milieu des denrées qui sont éparpillées sur toute la surface ; le magasin est en piteux état. Les opérateurs du RAID continuent à évacuer les otages qui sont cachés au niveau inférieur du magasin. J’ai l’impression que cela va relativement vite. Je me sens bien, eu égard à mon stress post-assaut, aucune émotion particulière ne m’envahit, hormis de la compassion pour les victimes qui se trouvent à proximité.

Une fois les otages évacués, ou pendant l’évacuation, je ne me souviens pas précisément, un des dépiégeurs d’assaut de la BRI, Clem, capte notre attention en nous demandant d’évacuer le magasin sans délai. Son collègue, Franck, vient de localiser le sac de bâtons de dynamite du terroriste. Lors de l’assaut, pas mal de bâtons se sont retrouvés disséminés dans le magasin. Il leur faut main‑ tenant sécuriser la zone rapidement ; il y a suffisamment de matière pour faire s’effondrer le bâtiment.

Une fois dehors j’apprends que le collègue blessé est un opérateur de la BI ; la balle a, semble-t-il, traversé son mollet. Ses jours, comme ceux des collègues RAID blessés, ne sont pas en danger.

Mon téléphone sonne à maintes reprises et les vibrations se propagent dans tout mon gilet lourd. Je prends enfin le temps de répondre. Mathieu, le parrain de mon fils, jeune lieutenant sur Paris, vient aux nouvelles pour rassurer ma compagne qui n’ose appeler… Ils ont, comme toute la France, assisté à l’assaut en direct par l’intermédiaire des médias.

Après l’intervention, nous restons sur place en attente des autorités venues saluer l’action des forces de police, puis je retourne au service avec les collègues de mon unité, la BI, à quelques encablures dans le bois de Vincennes. La BRI rentre au Quai des Orfèvres où elle sera accueillie par l’ensemble des flics de la Police judiciaire qui les applaudissent lors de la montée des fameux escaliers du 36.

De notre côté, nous décidons de passer la soirée ensemble, histoire de ne pas rentrer « comme ça » chez nous. Après avoir reconditionné notre matériel, nous nous dirigeons vers nos vestiaires respectifs pour prendre une douche et nous changer avant de sortir. En arrivant devant mon casier, je m’assieds pour enlever mes chaussures d’intervention. Devant moi, je constate qu’il y a quelques marques rouges au sol, des marques de crampons  : mes semelles sont couvertes de sang et de matière organique. Je me souviens de cette image car je bloque un instant en les regardant. Après avoir pris la douche et m’être changé, je sors du vestiaire pour rejoindre le groupe dans notre bureau. Au passage, je dépose les chaussures dans une poubelle ; je ne me voyais pas les nettoyer et les remettre par la suite !

Après l’Hyper Cacher, mon niveau de paranoïa monte d’un cran ; le spectre du « terro » reste omniprésent en ce début d’année 2015, nous savons que la menace est permanente. Cette paranoïa me touche plus dans ma vie privée que professionnelle. Je ne souhaite pas que ma compagne et mes enfants aillent dans des lieux tels qu’un cinéma ou une salle de spectacle. Le Bataclan me donnera raison. En arrivant sur le championnat de France de tir quelques mois plus tard, je retrouve bon nombre de collègues venant de toute la France, qui n’ont donc pas vécu directement les événements parisiens. À ma grande surprise ils sont encore plus paranos que moi, ce qui, je dois dire, ne manque pas de me rassurer ; en plus de leurs armes de tir sportif, la plupart portent leur 20221 constamment sur eux. C’est à ce moment-là que j’ai pris conscience de la nécessité de redescendre d’un cran ; ils me renvoient quelque part ma propre image, et je ne veux pas cela. Cependant, je ne réussis pas à le faire aussi rapidement que je le souhaite. D’autant plus que l’année 2015 est loin d’être terminée…

Dans cette même année, j’interviens également sur le Bataclan avec la Brigade anti-commando. Mon état d’esprit est complètement différent de ce qu’il était lors de l’action sur l’Hyper Cacher. Cependant, il y a un point commun : j’ai parfois des difficultés à me situer par rapport à la chronologie et la temporalité lors de l’intervention.

Extrait du livre « Forces spéciales et unités d'élites, au cœur de leurs émotions », publié sous la direction de Teddy Palassy aux éditions Solar

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