Le Congrès américain est il en train de prouver qu’il est possible de reprendre le contrôle de nos destins face aux géants de la tech ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Le Congrès américain est il en train de prouver qu’il est possible de reprendre le contrôle de nos destins face aux géants de la tech ?
©DR

GAFAM

C'est une journée pour le moins compliquée pour les entreprises de la tech. Ce mercredi 5 septembre, les hauts responsables de Google, Facebook et Twitter sont convoqués devant deux commissions parlementaires aux États-Unis. Facebook sera représenté par sa numéro deux, Sheryl Sandberg, Twitter par son PDG, Jack Dorsey. Concernant Google, le cofondateur Larry Page a fait savoir qu’il ne souhaitait pas répondre à la convocation.

Bernard Benhamou

Bernard Benhamou

Bernard Benhamou est secrétaire général de l’Institut de la Souveraineté Numérique (ISN). Il est aussi enseignant sur la gouvernance de l’Internet à l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne. Il a exercé les fonctions de délégué interministériel aux usages de l’Internet auprès du ministère de la Recherche et du ministère de l’Économie numérique (2007-2013). Il y a fondé le portail Proxima Mobile, premier portail européen de services mobiles pour les citoyens. Il a coordonné la première conférence ministérielle européenne sur l’Internet des objets lors de la Présidence Française de l’Union européenne de 2008. Il a été le conseiller de la Délégation Française au Sommet des Nations unies sur la Société de l’Information (2003-2006). Il a aussi créé les premières conférences sur l’impact des technologies sur les administrations à l’Ena en 1998. Enfin, il a été le concepteur de « Passeport pour le Cybermonde », la première exposition entièrement en réseau créée à la Cité des Sciences et de l’Industrie en 1997.

Voir la bio »

Atlantico : On sait que les élus Républicains demeurent très suspicieux vis-à-vis de la Silicon Valley. Cette fois-ci, la possibilité de sanction a été révélée. Le pouvoir politique américain, est-il en train de montrer qu’il est capable d’encadrer les géants de la tech ? Les politiques, comprennent-ils vraiment les enjeux techniques qui se jouent ici ?

Bernard Benhamou : "Capable", le terme est un peu fort… Je dirai que nous assistonsà une prise de conscience tardive. Nous parlons ici de risques avérés de polarisation de l’opinion publique. Nous avons en effet constaté que pour être audible, un discours sur internet se doit d’être plus radical que celui de la majorité. Cela amène à exprimer des positions plus radicales. Nous savons cela mais sommes-nous pour autant face à une prise de conscience politique majeure ? Cela commence à peine. Il y a deux versants de l’échiquier. On le voit aux États-Unis avec Donald Trump qui lui-même joue des divisions au sein même de son camp et au-delà. Mais est-ce que pour autant l’ensemble de responsables qui sont devenus conscients de l’urgence à agir de manière à éviter que les grandes plateformes ne soient capables de faire dérailler le processus démocratique, c’est moins évident… Nous devons aller vers une plus grande régulation mondiale sur les données etune plus grande transparence des algorithmes tout en préservant les principes fondamentaux de nos démocraties et c’est encore loin d’être le cas.

Quant à savoir si les politiquescomprennent-ils les enjeux techniques, en fait, c‘est très variable, même aux États-Unis. Au sein même du Congrès, aussi bien à la chambre qu’au Sénat, on voit bien qu’il y a des maîtrises des dossiers très différentes. Certains élus comme le Sénateur Mark Warner sont très pointus et ont eu une carrière dans les technologies et d’autres qui sont encore très flous quant au mécanisme de fonctionnement des grands acteurs de la Tech. En particulier, dès qu’il est question de la régulation des algorithmes ou encore des phénomènes de radicalisation sur Internet. Nous voyons bien que pour certains, tout cela reste très nouveau. Quand il est question comme aujourd’hui de tout ce qui peut être relatif au fait de favoriser de manière hyper-ciblée tel ou tel type d’opinion sur internet, nous observons encore un déficit de maîtrise.

À l’heure actuelle, nous sommes encore le nez collé sur le scandale Cambridge Analytica. Il y a une vraie crainte de la part de l’ensemble des responsables politiques (en France y compris) de voir des manipulations à grande échelle se répéter. Cela s'est produit et ça risque de se reproduire pour les prochaines élections de mi-mandat aux États-Unis en novembre prochain. Il y a urgence.

Quels sont les enjeux de cette convocation ? Est-ce là un moyen pour les institutions d'affirmer leur autorité sur les firmes de la Tech ? Le peuvent-elles vraiment ou sommes-nous là face à une opération de communication publique ?

Il y a les deux dimensions. Il est vrai que lorsque l'on assiste à une demande de certains Républicains d’une plus grande représentation des contenus conservateurs au sein de plateforme comme Facebook et Twitter, c’est étrange, car ce sont des demandes qui de base venaient de l’autre bord.

Il y a d'ailleurs très peu d’arguments qui permettent d’être certain que des contenus sont plus ou moins représentés en fonction de leur idéologie.

Il faut comprendre que des plateformes comme Google, Facebook ou Twitter sont presque agnostiques d’un point de vue politique. Ce qui les intéresse avant tout, c’est de créer une forme d’addiction pour fidéliser leurs usagers et ainsi valoriser leurs contenus publicitaires.

Prenons le cas de You Tube. Plusieurs sociologues comme Zeynep Tufekciont étudié le fait que plus les contenus étaient "hard", plus les gens restaient devant longtemps et consommaient de fait la publicité entre les vidéos. L’intérêt de Google n’est pas d’être d’un côté ou de l’autre de l’échiquier politique ou même de favoriser les extrémistes religieux. Son intérêt est que les gens consomment de la publicité. Par définition, tous contenus qui leur permettront de faire cela seront pour eux positifs. Les algorithmes qu'ils développent pour leurs plateformes vont exclusivement dans ce sens.

Ce qu’il faut, c’est aussi être en mesure de détecter le plus rapidement et contrer plus efficacement ceux qui vont répandre de manière quasi industrielle telle ou telle rumeur, ou fausses informations, dans le but de diviser l’opinion et faire avancer tel ou tel intérêt politique.

Comme le rappelait Yuval Noah Harari (Homo Deus), les technologies par le mécanisme d’hyperconcentration des pouvoirs favorisent désormais l’émergence de dictatures. Nous avons intérêt à prendre la mesure de cette re-centralisation des pouvoirs autour des grands acteurs de l’internet et de cette tendance à faciliter le contrôle et la manipulation politique. L’exemple chinois de la notation de la totalité individus via le « Crédit Social » est à ce titre inquiétant et révélateur des dérives politiques de cet hypercontrôle des opinions via les systèmes technologiques et en particulier les systèmes d’intelligence artificielle.

Concrètement, quels pourraient être les enjeux pour la France et les pays européens ? Cette opération serait-elle de nature à inciter les gouvernants européens à faire de même ?

Je rappelle qu’au-delà des États-Unis, la société Cambridge Analytica était présente dans 37 pays et en Europe c’était étrangement l’Angleterre et l'Italie sur lesquels ils se sont concentrés. Pour la campagne sur le Brexit et sur les élections italiennes qui ont vu la montée en puissance des partis populistes. Alors oui, il y a aussi des enjeux cruciaux pour l’Europe. D’autant plus que désormais des forces importantes sont à l’œuvre au niveau international (en Russie, aux États-Unis ou en Chine) pour favoriser la désintégration européenne. Lorsque l'on écoute l’ambassadeur américain à Berlin, celui-ci disait "mon métier, c’est de faire en sorte que des Salvini soient élus partout en Europe"…

Certains diront que la propagande est aussi vieille que la politique. C’est vrai. Mais le problème, c’est que les outils dont nous disposons aujourd'hui sont infiniment plus puissants que tout ce que nous avons connu jusqu’ici. Nous sommes sur un mode beaucoup plus quantifiable et efficace.Nous avons besoin de créer non seulement des contres mesures pour éviter que les processus démocratiques « sous influence » ne deviennent la norme et que les scrutins politiques ne soient plus pollués par des interventions étrangères. C’est un risque avéré et c’est la condition sine qua nonde la persistance d’un paysage démocratique européen.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !