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Le choix cornélien de la Manif pour Tous et de la France de Johnny Hallyday : suivre la révolte des classes populaires ou rejoindre l’alliance des bourgeoisies
©PASCAL GUYOT / AFP

Bonnes feuilles

Gabrielle Cluzel publie "Enracinés !" aux éditions Artège. Cet essai rappelle ce qui peut encore unir la société française, sa langue, sa culture, ses romans familiaux, ses clochers et ses soldats que les Français plébiscitent, ses bonnes manières même ! Extrait 2/2.

Gabrielle  Cluzel

Gabrielle Cluzel

Gabrielle Cluzel est journaliste, rédactrice en chef de Boulevard Voltaire, et auteur. Elle a publié « Adieu Simone, les dernière heures du féminisme » aux éditions Le Centurion. 

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Une partie de cette France est sortie de ses gonds pour protester dans la rue par deux fois. La première c’était en 2012, avec la Manif Pour Tous. Essentiellement des catholiques urbains cadres supérieurs. Ils sont rentrés dans leurs pénates sans avoir rien obtenu, et après avoir essuyé une répression sévère. 

Pour eux, pas de mots assez durs. Ramassaient-ils les papiers gras, évitaient-ils les parterres de jonquilles, qu’on les accusait encore de ne pas être en lévitation : non mais regardez comme ces sagouins ont piétiné le gazon ! Qu’ils remboursent ! En février 2013, Bertrand Delanoë a demandé 100 000 euros au collectif de La Manif Pour Tous pour les dégâts occasionnés sur la pelouse du Champ de Mars. Le pire est que, s’il avait pris la fantaisie à la mairie de Paris ou à la préfecture de police de leur intimer l’ordre de ne manifester à l’avenir qu’en chaussettes, je crois qu’ils se seraient exécutés… 

Car, comme si l’écrit le psychanalyste Michel Schneider, l’État est devenu big Mother, il s’agit alors, pour eux, de la marâtre de Cendrillon ou de la Mère Thénardier. Ils sont Cosette, l’enfant bouc émissaire, qui ne sait plus quoi faire pour qu’on l’aime et qui ne finit pas de ne plus s’aimer lui-même, persuadé qu’il doit bien être un peu fautif pour qu’on l’exècre à ce point.

La deuxième fois, c’était à l’automne 2018 avec les Gilets jaunes. Des manifestants issus de milieux plus populaires et de villes plus modestes. Beaucoup de petits patrons, d’artisans, de paysans parmi eux. La France de Johnny. C’était pour cela, d’ailleurs, que les rendez-vous étaient fixés le samedi, et non en semaine comme lorsque les syndicats défilent pour défendre les acquis sociaux des salariés et des fonctionnaires. 

In fine, ils ont vu leur « manif bon enfant » kidnappée, défigurée et démonétisée par l’extrême gauche. 

Certains ont imaginé, et espéré, une convergence dans la rue entre cette France de Johnny et cette France… appelons-la, pour la rime au risque de la caricature, « d’Amaury ». 

Pour Patrick Buisson, cette alliance serait le seul moyen de changer de paradigme. Il l’appelle de ses vœux. 

Pour Éric Zemmour, les héritiers de la Manif Pour Tous doivent « choisir leur camp. Rejoindre l’alliance des bourgeoisies, ou suivre la révolte des classes populaires ». De la même façon que Michéa a vu dans la jonction d’une France libérale et d’une France libertaire (dont l’élection d’Emmanuel Macron serait le point d’orgue) l’illustration des deux faces du ruban de Möbius, ces deux France – populaire et conservatrice – seraient un autre ruban de Möbius : les livres d’Alice Ferney, répondent aux chansons de Gauvin Sers (Les Oubliés) et de Trois Cafés gourmands (À nos souvenirs), dégageant la même nostalgie heureuse, teintée d’esprit d’enfance, d’une ancienne France. 

La France de Johnny ne verse guère dans le sociétal. Elle a fait, jadis, bon accueil à l’hédonisme de Mai 68, qui a rencontré un désir de supplément de vie facile auquel aspiraient ces Français « modestes ». Elle a aussi abandonné la religion, dans laquelle elle ne voyait plus qu’une suite d’interdits contraignants, ne gardant qu’une religiosité sentimentale, trop superficielle pour passer les générations. Elle a, d’ailleurs, en général, peu d’enfants auxquels elle a peu transmis, laissant ce soin à l’Éducation nationale et à la télé. La télé est d’ailleurs devenue l’hôte permanent, distillant toute la sainte journée la même doxa. La détestation dont elle a fait soudain l’objet au moment des Gilets jaunes n’est pas un hasard… comme un compagnon pervers narcissique qui vous a longtemps envoûtée et que soudain vous voulez chasser de votre vie. 

Si elle rechigne, par bon sens et réflexe de survie, à se dissoudre dans le mondialisme qu’on lui impose, si l’idée de marier deux hommes ou deux femmes l’a instinctivement heurtée en 2012, elle n’a pas les outils philosophiques ni l’armature intellectuelle pour en protéger sa progéniture, elle peine à conceptualiser son point de vue et donc à le défendre. Elle ne l’exprime, de loin en loin, que par son bulletin de vote que, étant secret, elle n’a pas à justifier. Et puis elle est sortie en gilet jaune.

Qu’en est-il de l’autre, la France d’Amaury ? Dans le journal allemand Der Spiegel, Michel Houellebecq évoquait à l’automne 2017 « le remarquable retour du catholicisme ». Les manifestations contre le mariage pour tous ont été, pour lui, « l’un des moments les plus intéressants de l’histoire récente » : « c’était un courant souterrain qui est remonté soudainement à la surface ». 

De fait, c’est bien de « courant souterrain » dont il faut parler. Depuis les années 1970, la foi, comme une petite flamme tremblante, a été transmise par certains, on l’a dit, dans l’intimité familiale, et hors de tout écran radar. Non par goût du secret, mais parce que les médias ne parlent jamais d’eux, ou parce que, diabolisés (confer le procès en sorcellerie intenté à François-Xavier Bellamy lorsqu’il a été désigné tête de liste aux élections européennes), ils ont pris l’habitude de faire profil bas. 

LMPT a initié une porosité entre diverses « chapelles » qui se toisaient jusque-là en chiens de faïence. Comme les Gilets jaunes, sur les ronds-points, ils ont fraternisé sur le pavé, formant désormais une force de frappe, toujours policée, mais d’une remarquable efficacité. Ils ont ainsi fait tourner à leur avantage, par leur mobilisation organisée, certaines consultations institutionnelles comme, en 2018, les états généraux de la bioéthique et la consultation nationale du CESE. Ils ont su aussi très vite réunir leurs troupes contre la PMA. 

Cette France d’Amaury est, en sus, en forte croissance démographique : on aura noté que si les Gilets jaunes, la France de Johnny, compte plutôt des adultes faits… les effectifs de la Manif Pour Tous sont très jeunes. 

Guilluy, en 2013, disait LMPT appartenir à l’élite mondialisée. Est-ce bien vrai ? Si le noyau dur de ces manifestants, ceux que l’on retrouve aujourd’hui contre la PMA, possède les codes de la bourgeoisie huppée, on pourrait appeler cela bien souvent de la misère dorée. Si, du fait de leurs études et de leur métier, ils sont plus favorisés que les Gilets jaunes, si une certaine forme d’éducation les rend réticents à descendre dans la rue pour réclamer de l’argent ou protéger des acquis sociaux – ils ne manifestent que pour défendre, estiment-ils, le bien commun –, ils ont pris les réformes fiscales et familiales de plein fouet. Leur ribambelle d’enfants, leur salaire unique souvent, du fait d’un abandon de carrière lié à des maternités successives et à la volonté de se consacrer à l’éducation de leur progéniture, en les appauvrissant matériellement, les a purifiés et détournés d’un vice de caste : le goût du lucre, moins catholique que protestant… comme de ce libéralisme qui leur est souvent reproché. 

Ils gardent un attachement à l’immobilier – synonyme d’enracinement –, qui lui aussi n’est pas financièrement encouragé. Mais la centrifugeuse de la gentrification a éjecté nombre d’entre eux des grandes métropoles, et ceux qui s’accrochent désespérément s’entassent souvent dans de petits appartements. L’été, beaucoup ont dû renoncer au bord de mer, devenu trop onéreux, et reviennent à la campagne, soit qu’ils y aient des attaches, soit qu’ils aient fait le pari de se (ré)enraciner avec leurs enfants. Ils élisent une région familiale, ou un coin qu’ils estiment porteur du fait par exemple de la proximité d’une abbaye rendant la pratique religieuse dynamique et l’environnement social familier. La Vendée, par son Puy du Fou, aussi, est un pôle d’attraction. 

Ils sont, pour reprendre la terminologie de David Goodhart, les « some » : somewhere et something, de quelque part croyant en quelque chose contre leurs cousins anywhere et anything.

Pour retrouver un premier extrait du livre de Gabrielle Cluzel, publié sur Atlantico, cliquez ICI

Extrait du livre de Gabrielle Cluzel, "Enracinés !", publié aux éditions Artège

Lien vers la boutique : ICI

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