La vie avec les hommes pourrait bien faire grandir le cerveau des chiens après l’avoir longtemps réduit <!-- --> | Atlantico.fr
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Plus une race de chien est génétiquement éloignée des loups, plus la taille relative de son cerveau augmente.
Plus une race de chien est génétiquement éloignée des loups, plus la taille relative de son cerveau augmente.
©Angela Weiss / AFP

Effets de la domestication

Les mammifères domestiqués ont traditionnellement un cerveau plus petit que celui de leurs ancêtres vivant à l'état sauvage. Mais des scientifiques hongrois et suédois ont constaté que la complexité de la vie sociale humaine contemporaine aurait inversé la tendance chez les chiens.

Eniko Kubinyi

Eniko Kubinyi

Eniko Kubinyi est chercheuse, Family Dog Project, département d'éthologie, université Eötvös Loránd, Budapest. Bénéficiaire d'une subvention de démarrage de l'ERC pour l'étude du vieillissement cognitif chez les chiens.

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Atlantico : Vous avez récemment publié une étude intitulée Evolution of relative brain size in dogs - no effects of selection for breed function, litter size, or longevity. Pourquoi le processus de domestication tend-il à réduire la taille du cerveau des animaux concernés ?

Eniko Kubinyi : Le cerveau est un organe qui consomme beaucoup d'énergie et, si l'environnement le permet, son volume diminue au sein d'une espèce. C'est pourquoi les espèces domestiquées ont des cerveaux plus petits que leurs ancêtres, et les chiens ont des cerveaux relativement plus petits de 20 à 24 % que ceux des loups. Cela a été le cas tout au long de l'histoire de la domestication des chiens, sauf au cours des deux derniers siècles, car, étonnamment, les races modernes, établies après l'apparition des premiers clubs d'élevage, ont un volume cérébral relatif plus important que les races dont l'histoire remonte à plusieurs milliers d'années. Il est probable que la pression sélective a changé et que les races modernes doivent relever davantage de défis dans l'environnement urbanisé actuel.

Cette information peut nous aider à comprendre pourquoi les races anciennes (comme les chiens de traîneau) se comportent différemment, par exemple, des chiens de berger ou des chiens de chasse (labrador, vizsla).

Le cerveau des animaux domestiqués peut être jusqu'à 20 % plus petit que celui de leurs ancêtres sauvages. Cela s'explique probablement par le fait que la vie des espèces domestiquées est moins difficile et plus simple que celle de leurs homologues sauvages. L'homme offre un environnement sûr ; il n'y a pas de prédateurs et il n'est pas nécessaire de chercher de la nourriture ou des partenaires. Le cerveau est énergétiquement coûteux. S'il est moins nécessaire, en réduisant sa taille, l'énergie libérée peut être utilisée pour produire plus de descendants, plus de lait, de graisse ou de viande, ce qui est important pour les animaux domestiques.

Vous avez constaté que le cerveau du chien semblait se développer à nouveau après la domestication. Comment l'avez-vous mesuré ?

Nous avons scanné le crâne des chiens à l'aide d'un scanner. Sur la base de ces images, le vétérinaire Kálmán Czeibert a reconstruit les cerveaux (les moulages endocrâniens) et déterminé leur volume exact. Cette collection a été complétée par la banque de cerveaux et de tissus canins ELTE, qui a permis de vérifier les volumes cérébraux à l'aide de vrais cerveaux. Au final, des données ont été recueillies sur 865 individus représentant 159 races de chiens, dont 48 spécimens représentant des loups.

La croissance se fait-elle d'une manière particulière ?

Dans cette étude, nous n'avons mesuré que le volume total du cerveau et ne disposions d'aucune information sur la surface ou le volume des régions cérébrales. Nous suggérons que les études futures dans le domaine de l'évolution du cerveau chez les chiens se concentrent sur les changements agissant sur des régions particulières du cerveau afin de découvrir les liens potentiels entre la morphologie du cerveau et d'autres caractéristiques.

À quoi peut-on attribuer ce phénomène ?

Contrairement aux attentes, le rôle originel des races, la taille moyenne des portées et l'espérance de vie sont indépendants de la taille du cerveau. Nous avons été surpris de constater que plus une race de chien est génétiquement éloignée des loups, plus la taille relative de son cerveau augmente. Les résultats montrent que l'élevage des races de chiens modernes s'est accompagné d'une augmentation de la taille du cerveau par rapport aux races anciennes. Nous ne pouvons que spéculer sur les raisons de ce phénomène. Peut-être que l'environnement social plus complexe, l'urbanisation et l'adaptation à davantage de règles et d'attentes ont provoqué ce changement, qui affecte toutes les races modernes. Ces conclusions sont étayées par des recherches indiquant que les races anciennes connues pour leur indépendance sont moins attentives aux signaux humains et aboient moins, présentant ainsi des différences dans la communication visuelle et acoustique par rapport aux races modernes.

Quelques mots sur la domestication du chien : Le chien a été domestiqué à partir d'anciens loups. Certaines races sont proches des loups sur le plan génétique (races anciennes), tandis que d'autres en sont plus éloignées (races modernes), voir la figure ci-dessous. La domestication des chiens a commencé il y a environ vingt-cinq mille ans, mais pendant dix mille ans, les deux espèces, chiens et loups, ne différaient pas en apparence. De nombreuses races anciennes (plusieurs milliers d'années), comme les chiens de traîneau, ressemblent encore aujourd'hui à des loups, dont elles sont d'ailleurs génétiquement plus proches. Cependant, la transition vers la sédentarisation, l'agriculture, le pastoralisme et l'accumulation de richesses a offert diverses tâches aux chiens : chiens de garde, chiens de troupeau, chiens de chasse et même chiens d'appartement. Mais la plupart des 400 races connues aujourd'hui ne sont apparues que depuis la révolution industrielle, principalement au cours des deux derniers siècles, lorsque l'élevage de chiens est devenu un hobby de plus en plus répandu (depuis le premier Kennel Club, créé en 1873). Ce sont les races dites modernes.

Peut-on supposer que les chiens ont un "cerveau social" qui se développe au contact de l'homme ?

L'hypothèse du cerveau social, c'est-à-dire l'idée qu'un environnement social plus complexe entraîne une sélection positive sur les capacités cognitives sociales par le biais d'une augmentation de la taille du cerveau, est une hypothèse importante dans le domaine de l'évolution du cerveau. Les interactions sociales entre les chiens et les humains pourraient avoir contribué à l'augmentation de la taille du cerveau observée chez les races de chiens ayant une parenté lointaine avec le loup. À l'appui de cette idée, certaines races qui sont plus étroitement liées aux loups présentent des capacités de communication interspécifique visuelles et acoustiques plus faibles que la plupart des races modernes. Par exemple, elles suivent moins bien les gestes de pointage de l'homme, elles sont plus indépendantes et elles aboient moins. 

Parenté génétique des races de chiens :

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