La Russie est-elle encore détachable de l'axe des puissances autoritaires ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Xi Jinping et Vladimir Poutine, en juin 2019.
Xi Jinping et Vladimir Poutine, en juin 2019.
©Alexei Druzhinin / Sputnik / AFP

Nouvelle guerre froide

Un sommet bilatéral entre Joe Biden et Vladimir Poutine se tiendra le 16 juin à Genève. Il sera consacré aux tensions diplomatiques entre les Etats-Unis et la Russie, qui se rapproche de plus en plus de la Chine.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Pierre Verluise

Pierre Verluise

Docteur en géopolitique, Pierre Verluise est fondateur du premier site géopolitique francophone, Diploweb.com.

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Atlantico : Alors que va se tenir un sommet americano-russe, les relations entre la Russie de Poutine et les Etats Unis de Joe Biden sont loin d’être au beau fixe, la Russie semble bien arrimée à l’axe des puissances autoritaires. Comment s’explique cette posture ? Est-elle inébranlable ?

Cyrille Bret : Depuis les traumatismes de la dissolution de l’URSS en 1991 et la "décennie de l’humiliation » des années 1990, la Fédération de Russie a cherché à restaurer tout à la fois son statut de grande puissance sur la scène internationale, le fonctionnement de son appareil d’Etat et la centralité du pouvoir. Lire les relations internationales comme une opposition entre le camp des démocraties et le camp des régimes autoritaires est un prisme profondément américain. Du point de vue russe, les tensions internationales ne mettent plus aux prises deux systèmes comme au temps de la Guerre Froide. Pour Moscou n’y a pas d’un côté la « Ligue des démocraties » que l’OTAN devait devenir pour l’administration Bush et, de l’autre, les régimes autoritaire, comme il y avait le Monde libre face au monde communiste. Pour la Fédération de Russie, les relations internationales doivent être considérée comme un champ de rivalités où les ambitions nationales se heurtent les unes aux autres. Cette vision est notamment popularisée en Russie par les essais de Starikov. La Fédération de Russie  aborde donc les relations avec les Etats-Unis sous l’angle réaliste et non pas sous l’angle idéologique. Les principes de souveraineté nationale et de non-ingérence priment toutes les autres considérations dans cette grammaire des relations internationales. Face à Joe Biden, Vladimir Poutine ne se comportera pas en héraut des régimes forts mais comme le leader d’une puissance récemment affaiblie qui défend ses intérêts - par tous les moyens - face à la superpuissance américaine. C’est pour cette raison que les points de vue entre présidents le 16 juin prochain seront difficilement conciliables.

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Pierre Verluise : La Russie a une histoire. Cette histoire est marquée par l’autoritarisme, durant les siècles du tsarisme, voire le totalitarisme durant la période soviétique (1917-1991). Les années Gorbatchev (1985-1991) ont été un faux semblant cynique de démocratisation afin de capter des crédits occidentaux pour tenter de maintenir le régime soviétique en vie. Il a fini par imploser. La décennie 1990 avec B. Eltsine a été particulièrement chaotique en Russie – notamment pour des raisons économiques liée à la faillite d’une économie planifiée en transition vers une supposée économie de marché. Elle était en fait largement tombée aux mains des maffias alliées à la néonomenklatura. Les quelques avancées de la démocratie durant les années Eltsine, restent associées dans la mémoire de nombreux Russes à la perte de l’empire, au chaos économique et à cette pseudo démocratisation. Dès lors la « démocratie » telle qu’ils l’ont connue reste peu attractive pour le plus grand nombre. Ce qui n’empêche pas l’existence d’oppositions, locales ou réduites. Depuis plus de vingt ans, V. Poutine fait de l’humiliation de la disparition de l’URSS et plus encore des années Eltsine et de la dénonciation de « l’Occident » du carburant pour consolider son emprise sur la société, via un discours sur la puissance. Il réécrit l’histoire, notamment de la Seconde Guerre mondiale, gommant l’alliance entre l’Allemagne nazie et le régime soviétique (août 1939 – juin 1941) qui a mis le feu aux poudres du monde. Il a été servi – involontairement – par G. W. Bush qui a provoqué une envolée des prix des hydrocarbures avec son opération en Irak. Ce qui a rempli les caisses de l’État qui avait remis la main sur les ressources naturelles, au moins de manière indirecte. Les Russes ont alors découvert durant la décennie 2000 la société de consommation, sans la démocratie.

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Y-a-t-il des conditions sine qua none à ce revirement russe ? 

Cyrille Bret : Il n’y aura pas de revirement russe sur les intérêts nationaux russes. Il peut éventuellement y avoir un réchauffement entre puissances. Mais, dans ce cas, la Russie demandera des concessions importantes de la part des Etats-Unis. Premièrement, elle exigera que ses affaires politiques intérieures (emprisonnement de Navalny, manifestations, répression, etc.) restent du domaine intérieur et ne fassent pas l’objet de sanctions américaines. Deuxièmement, elle demandera des garanties maximales sur la non extension de l’OTAN en Ukraine, dans le Caucase et dans la Baltique (Suède, Finlande). Troisièmement (mais la liste n’est pas exhaustive), elle n’opérera de rapprochement avec les Etats-Unis que si ceux-ci démantèlent les sanctions contre la Russie, réintègrent la Russie dans le G7 et restaure un dialogue stratégique avec la Russie à parité. On voit que ces conditions sont pour le moment inacceptables pour Washington.

Pierre Verluise : Je doute qu’on puisse parler d’un « revirement » puisque l’URSS et la Russie n’ont jamais – jusqu’à preuve du contraire – eut pour ambition sincère et largement partagée de devenir une démocratie. Il ne faut pas confondre les mots et les faits, le vent et les réalités. Il manque en Russie des références, de larges appuis, bref le partage d’un idéal démocratique. En fait, il demeure beaucoup plus confortable pour les dirigeants, voire pour de larges pans de la population, de se complaire dans l’autoritarisme. Et de se donner dans les années 1990 et début 2000 des satisfactions faciles en écrasant la Tchétchénie. Lisez à ce sujet la journaliste russe Anna Politkovskaïa, Tchétchénie, le déshonneur russe, réed. Folio, 2005. Ou de se donner plus récemment des frissons en déstabilisant l’Ukraine depuis 2014 pour l’empêcher de construire aux portes de la Russie un pays démocratique engagé dans un rapprochement avec l’UE. Ce qui questionnerait l’autoritarisme russe. Pour ma part, j’ai toujours reconnu aux Russes le droit de choisir leur régime politique et je me suis toujours abstenu d’expliquer ce qu’ils doivent faire. C’est leur problème, leur pays, leur présent et leur avenir. Mais qu’ils s’abstiennent de nous raconter des salades.

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L’Occident, à commencer par l’Union européenne, a-t-il des arguments qui pourraient inciter la Russie à se rapprocher de son giron ? L’affichage de valeurs communes et d’enjeux civilisationnels ou de défis communs à relever pourrait-il avoir cet effet ?

Cyrille Bret : Durant les années 2000, la Russie a insisté sur son appartenance à l’espace européen. Le Président Medvedev et son Premier ministre, Vladimir Poutine, mettaient en évidence les convergences entre Russes et Européens : la menace islamiste, forte en Europe et en Russie; l’hégémonie américaine dans le monde; la symbiose énergétique entre l’économie européenne et la Russie. Il est vrai qu’à l’époque, la Russie se gardait d’actions hors de son territoire et conservait les apparences d’une démocratie occidentale classique. Aujourd’hui tout a changé : les guerres en Géorgie (2008), en Ukraine (2014) et en Syrie (2015) ont affirmé la capacité de la Russie à projeter sa puissance. Et le régime revendique le fait d’être « fort ». La lecture des relations européennes en terme de civilisation se fait toujours au détriment des intérêts des Européens. Soit les Européens affirment qu’ils font partie du camp des démocraties et ils se trouvent enrôlé dans les luttes des Américains. Soit les Européens soulignent leurs proximités évidentes et séculaires avec leurs voisins russes, turcs, arabes et maghrébins et ils sont alors contraints de traiter avec des régimes aux antipodes de leurs cultures politiques fondées sur la liberté individuelle. Ce qui pourrait rapprocher Russes et Européens (mais pas Américains) est d’un autre ordre.

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Pierre Verluise : La Russie est un État millénaire qui n’a aucunement l’intention de se rapprocher et encore moins d’intégrer le giron de l’UE. Cela voudrait dire s’asseoir sur son identité et sa souveraineté. Les Russes n’arrivent déjà pas à respecter leurs lois, s’imaginer qu’ils pourraient intégrer plus de 80 000 pages d’acquis communautaire à leurs législation et réglementation tient de l’auto-intoxication. Je ne vois pas quelles valeurs l’UE et la Russie auraient en commun. Certainement pas celles de l’article 2 du traité sur l’Union européenne, notamment la liberté, la démocratie, l’état de droit, les droits des minorités et la justice. Pardon, ce n’est pas rien.

L’Europe et Russie auraient-elles respectivement intérêt à un tel rapprochement ? Qu'est-ce qu’elles auraient à y gagner ou perdre ? 

Cyrille Bret : La Fédération de Russie aurait tout à gagner à une intégration progressive dans l’espace européen. Un rétablissement de l’accès aux marchés de capitaux, aux investissements, aux technologies civiles et aux marchés européens. Mais aussi une position de force face à la République Populaire de Chine. Aujourd’hui, l’alliance entre Moscou et Pékin est célébrée par les eurasistes. Mais la réalité peut inquiéter les Russes en réalité. Les ordres de grandeur sont tellement inégaux entre Chine et Russie que les intérêts russes auront bien du mal à être promus sur le long terme. Quant aux Européens, un rapprochement serait bénéfique s’il signifiait la fin des actions russes contre leurs intérêts.

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Pierre Verluise : Le rapprochement de l’UE et de la Russie est un serpent de mer de la désinformation manœuvrée par les Russes à distance depuis au moins deux décennies. Je ne pense pas qu’ils en veuillent vraiment, mais c’est une manière de faire baisser la garde à une partie des opinions publiques de l’UE. L’UE a tout à perdre à un rapprochement avec la Russie : sa liberté, sa sécurité, ce qui lui reste de démocratie, et son niveau de vie. Pour autant, la Russie restera très probablement à l’Est de l’Union européenne, nous avons donc à construire des relations aussi pacifiques et bénéfiques que possibles. Nous avons encore besoin de leurs hydrocarbures, ils ont encore besoin de les vendre, faisons quelque commerce, le moins déficitaire possible. Puisque depuis des décennies nous remplissons les caisses de la Russie. Celle-ci a par ailleurs développé des infrastructures et des ventes d’hydrocarbures vers la Chine. Ce qui est de bonne guerre. A deux décennies d’échéance, il sera intéressant de savoir qui de la Russie ou de la Chine l’aura emporté sur l’autre, notamment via les nouvelles routes de la Soie. Le plus probable est une victoire de Pékin.

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